La période de transition fixée par la loi 65-00 prend fin en août prochain, un décret du Premier ministre viendra ou non la rallonger pour cinq ans encore. Un enjeu de deux milliards de DH pour les compagnies d'assurance privées. La généralisation est vitale pour l'équilibre du régime, mais plusieurs chantiers préalables n'ont pas été bouclés. Les salariés du secteur privé couverts, au titre de leur assurance maladie, par les compagnies privées, basculeront-ils, comme prévu par la loi, en août prochain, vers le régime de l'assurance obligatoire ou bénéficieront-ils d'une période supplémentaire de cinq ans ? La loi 65-00 régissant l'Amo prévoit en effet, dans son article 114, la possibilité de la reconduction du délai, accordé aux entreprises privées pour le basculement, mais contrairement à ce que pensent beaucoup l'option de ne pas rejoindre le régime général n'est pas automatique. Elle devait pour cela avoir l'aval du Premier ministre sous forme d'un décret. Or, jusqu'à présent, la Primature n'a pas pris de décision sur le sujet, alors que nous sommes à quatre mois de l'échance et que les uns et les autres doivent être fixés. D'un côté, l'Agence nationale de l'assurance maladie (Anam) et la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), gestionnaire délégué du système pour les salariés du privé qui militent pour la généralisation, seule issue selon eux pour que le système Amo, qui devrait connaître ses premiers déficits d'ici trois ans, soit viable grâce à l'élargissement de l'assiette des cotisations. De l'autre, les assureurs privés qui penchent pour la reconduction de la période de transition, avec en arrière pensée un enjeu économique majeur : un chiffre d'affaires annuel de deux milliards de DH, provenant des primes d'assurance maladie payées par les 350 000 salariés du privé qui n'ont pas encore rejoint l'Amo, le régime général de base. Plusieurs réunions se sont tenues à ce sujet –dont la dernière, il y a une dizaine de jours-, et les versions divergent. Pour les uns, promesse a été faite pour cinq ans de grâce supplémentaire, pour les autres, aucune décision n'a été prise. Contactés par nos soins, tous ces intervenants préfèrent rester discrets «étant donné la délicatesse du dossier». Les syndicats insistent : "il faut généraliser" Il faut dire qu'au-delà de l'enjeu organisationnel et économique, il y a également un volet social dont il faut tenir compte, celui des syndicats. Certaines centrales accusent les assureurs d'«avoir fait pression sur les pouvoirs publics afin de sauvegarder, pour une durée de 5 années supplémentaires, le chiffre d'affaires de la branche maladie». Pour les syndicats, la non-application de l'article 114, réglementant la question, contribue à maintenir une couverture médicale à deux vitesses pour les salariés du secteur privé et constitue une injustice allant à l'encontre du principe d'une couverture médicale généralisée. Ils citent particulièrement le cas de nombreuses entreprises qui paient une couverture médicale privée au profit de leurs cadres, mais n'en font pas bénéficier leur personnel ouvrier, un problème qui serait solutionné par une Amo qui est obligatoire. Généraliser, l'Amo, d'ici quatre mois est-il une option réaliste ? Si l'Anam et la CNSS, interrogées par La Vie éco, ont refusé de se prononcer sur le dossier, les assureurs eux, par le biais de leur fédération, ne tiennent tout autant pas à se prononcer officiellement. Sous couvert d'anonymat, cependant, des hauts cadres de compagnies sont plus prolixes. Pour eux, et contrairement à ce que l'on dit, «le basculement des 350 000 familles assurées vers la CNSS risque de déséquilibrer à la fois le régime de l'Amo dans sa globalité ainsi que l'équilibre financier de la Caisse» (voir encadré). Sans compter, ajoutent-ils, que «la CNSS n'a pas suffisamment d'expérience en matière de couverture médicale et doit donc faire ses preuves avant l'arrivée des nouveaux assurés habitués à la célérité du traitement des dossiers et à une couverture plus importante». Assureurs : des craintes seulement pour la qualité des prestations ? Au-delà de leurs inquiétudes pour la viabilité du régime de couverture médicale de base et pour la satisfaction des assurés, la reconduction de la période transitoire pour les assureurs constituerait une bouffé d'oxygène dans la mesure où ils continueront à gérer, pendant 5 ans encore, le portefeuille maladie qui représente un chiffre d'affaires annuel de 2 milliards de DH. Il faut rappeler qu'au cours des six derniers mois, ils n'ont pas ménagé leur peine pour obtenir ce report ou inciter à la recherche d'autres solutions qui leur permettront de sauvegarder une partie de leur business. A cet égard, ils avaient même diligenté une enquête pour recueillir l'avis des entreprises sur l'Amo. Publiée dans La Vie éco du 27 novembre 2009 (www.lavieeco.com), cette dernière avait, sans surprise (aurait-elle été rendue publique si elle avait été défavorable aux positions des assureurs ?), révélé que sur 657 sociétés interrogées, 98 % se montraient réticentes à rejoindre le régime de l'Amo et 75 % souhaitaient la reconduction d'une période transitoire de cinq ans. Les entreprises ont également reproché au nouveau régime l'insuffisance du panier des soins et la limitation de la liste des médicaments remboursés : 2 497 médicaments sur les 5 000 commercialisés sur le marché. Leur réticence s'explique, en outre, par l'exclusion des soins dentaires pour lesquels les compagnies privées offrent une couverture. Dans cette affaire, il n'y a pas que l'intérêt des assureurs qui est en jeu. Le report du basculement généralisé vers une Amo, certes généreuse avec une prise en charge déplafonnée de la chirurgie et hospitalisation, mais dont le panier de soins est limité tout autant que le taux de remboursement et qui ne couvre pas les soins dentaires, pose la question de l'offre de soins complémentaires. Qui va rembourser les soins dentaires par exemple si tout le monde passe chez l'Amo ? Lors de la mise en place du régime, les assureurs avaient bien parlé de mettre en place des produits complémentaires au régime de base, mais, depuis, trois compagnies seulement sont passées à l'acte avec une offre trop faiblement étoffée pour constituer un palliatif suffisant. Auront-elles le temps de proposer des produits ? Polycliniques CNSS, Pharmacie CNOPS, TNR, des chantiers en suspens Dans le même ordre d'idées, on ne manquera pas de relever l'actuel blocage des discussions pour le renouvellement de la tarification nationale de référence (TNR). Les discussions sont aujourd'hui au point mort étant donné que l'Anam, soucieuse de l'équilibre des organismes gestionnaires, ne semble pas favorable à une révision à la hausse des tarifs de référence. Les prestataires de soins, en particulier les médecins, refusent de continuer à travailler avec les tarifs fixés par la convention nationale. Avec cela, et parallèlement à la généralisation de l'Amo, des problèmes d'ordre légal continuent d'exister. C'est l'exemple du retard pris sur le projet de gestion déléguée des 13 polycliniques de la CNSS. Le dossier est aujourd'hui mis en veilleuse suite à l'échec des négociations avec le groupe espagnol USP Hospitales, soumissionnaire retenu suite à l'appel d'offres lancé en 2006 par la CNSS. Du retard est aussi concédé dans la réforme de la pharmacie de la Cnops. Un nouveau schéma de gestion de la pharmacie est toujours au stade de la réflexion car le souci, pour la caisse, est de garantir l'accès aux médicaments au prix actuel, soit 40% moins cher que le prix public Maroc (PPM). Il faut rappeler que le retrait des deux caisses des prestations de soins est prévu par l'article 44 de la loi 65-00 qui leur accorde un délai de grâce devant expirer en août 2010. Au final, la généralisation de l'Amo à tous les salariés du privé est-elle possible d'ici août 2010 ? Théoriquement, c'est faisable, mais l'ampleur des chantiers, aussi bien légaux qu'organisationnels à boucler d'ici là, est énorme… Affaire à suivre.