Un projet de loi antidopage est présenté au Parlement. Le texte veut prévenir, contrôler, interdire et sanctionner la pratique de dopage. Au lieu d'une Agence nationale contre le dopage aux standards internationaux, le projet compte instituer une commission nationale présidée par un magistrat. Le bodybuilding est le sport le plus touché par le dopage au Maroc. Certaines substances utilisées à fortes doses sont très dangereuses et peuvent entraîner la mort. Mieux vaut tard que jamais. Ayant en effet pris du retard par rapport à d'autres pays pour se pourvoir d'une législation nationale de lutte contre le dopage, le gouvernement marocain met le paquet pour accélérer l'adoption du projet de loi 51-08 relative à «la lutte contre le dopage dans la pratique sportive» soumis au Parlement en juillet dernier. Le texte du projet est actuellement en examen devant la commission des affaires sociales de la première Chambre, et tout indique que son vote interviendra au plus tard lors de la session du printemps prochain. Il était donc plus que temps que le Maroc ait une loi régissant le domaine, non pas uniquement en raison de l'ampleur du phénomène dont quelques cas ont entaché l'image du pays sur la scène internationale, mais parce que le Maroc est signataire aussi des principales dispositions internationales en la matière, dont la Convention internationale de lutte contre le dopage entrée en vigueur le 1er février 2009, et le code de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Il lui restait l'essentiel cependant : une loi nationale en la matière, un laboratoire national de contrôle antidopage et une Agence nationale de lutte contre le dopage. Pour l'instant, les pouvoirs publics semblent d'abord vouloir se concentrer sur l'aspect législatif. Comportant 40 articles, le projet actuellement à l'étude s'articule autour de cinq axes : prévenir, interdire, contrôler, sanctionner et instituer une Commission nationale dédiée à la lutte contre le dopage. Des dérogations à l'interdiction de quelques substances selon des modalités réglementaires sont prévues par le projet de loi Le volet prévention consiste à inciter fédérations, associations et sociétés sportives à mettre en place un programme annuel de sensibilisation et d'information. Il s'agira aussi de «contrôler toute substance et produit délivrés aux sportifs à titre de médicament, nourriture ou autres afin de s'assurer qu'ils ne contiennent pas des substances interdites». L'interdiction consiste, elle, à prohiber l'utilisation de substances «de nature à améliorer artificiellement les capacités du sportif». Lesquelles ? Là, le projet de loi laisse le soin à l'administration de les déterminer après la consultation de l'ordre des médecins et des organismes internationaux compétents en la matière. Mais il y aura des dérogations à cette interdiction puisque des sportifs peuvent être autorisés à utiliser des substances interdites à des fins thérapeutiques. Qui donne ces autorisations ? Le projet ne dit pas grand-chose à ce sujet non plus se contentant simplement d'édicter que les autorisations pour utilisation à des fins thérapeutiques (AUT) seront données, comme le stipule l'article 10, «selon des modalités réglementaires». Cela pose problème comme le signale l'Association marocaine de sensibilisation contre le dopage dans le sport (AMSDS) : «De telles autorisations doivent plutôt être données en conformité avec le troisième standard international. L'athlète marocain Jamal Chatbi, contrôlé positif lors des derniers championnats du monde, n'ayant pas eu cette autorisation, en a payé les frais». Rappelons que le troisième standard international est un texte annexe au code mondial antidopage créé par la Convention internationale antidopage de l'UNESCO qui date de 2005. Quant au contrôle, il peut, selon l'article 12 du projet de loi, être effectué «dans tout espace sportif ou en dehors de celui-ci, à l'occasion ou en dehors de compétitions sportives, de manière inopinée ou programmée par l'administration». Qui s'occupera de ce contrôle ? L'article 13 stipule : «Outre les officiers de la police judiciaire agissant dans le cadre des dispositions du code de procédure pénale, ce contrôle peut être effectué par des agents de l'administration, dûment assermentés et commissionnés à cet effet». Le quatrième volet du projet de loi est relatif à la Commission nationale de prévention et de lutte contre le dopage, laquelle sera chargée, selon l'article 23, de tout le travail de prévention, de contrôle et de lutte contre le dopage. Cet article se trouve aujourd'hui le plus objet à polémique notamment de la part de l'AMSDS. Le président de cette dernière, Lahcen Karam, estime qu'il vaut mieux créer une Agence nationale aux standards internationaux inspirés de l'Agence mondiale antidopage, au lieu d'une simple commission. Pour M. Karam, il faut que ce soit «une agence, avec un rôle de gendarme, dotée d'une semi indépendance du pouvoir exécutif, présidée par un magistrat et managée par un haut cadre du ministère de la jeunesse et du sport». Agence ou commission ? C'est le Parlement qui tranchera sur ce point. Le cinquième et dernier volet du projet de loi antidopage porte sur les sanctions qui seront infligées aux contrevenants à cette loi. Le projet de loi prévoit deux types de sanctions : disciplinaires et pénales (voir encadré). Ces dernières, qui peuvent aller de trois à quatre ans de prison et des amendes s'élevant jusqu'à 100 000 DH, sont considérées par certains parlementaires comme excessives et peuvent subir des amendements. Plusieurs athlètes nationaux, dont Brahim Boulami, sont contrôlés positifs et suspendus au niveau international La promulagation d'un loi antidopage répond-elle à un souci de s'aligner sur les standards internationaux ? Ou est-elle une urgence face à des pratiques de dopage trop répandu au Maroc ? En tout cas, au ministère de la jeunesse et du sport, on ne s'inquiète pas outre mesure, et le Maroc, contrairement à d'autres pays, serait relativement épargné. C'est du moins le point de vue du Dr Mohamed El Houmiri, chef de division de la médecine du sport au ministère. «Pour estimer réellement l'ampleur du phénomène, explique-t-il, il faut faire des prélèvements biologiques sur les sportifs, les faire analyser dans des laboratoires accrédités par l'Agence mondiale antidopage (AMA), et compter les cas positifs parmi les échantillons prélevés. Les cas révélés au Maroc sont isolés et sont le fruit de contrôles effectués par les Fédérations internationales au cours des manifestations sportives internationales». Normal : les cas avérés sont, en l'absence d'une instance nationale, le résultat de contrôles effectués par des instances internationales au cours de compétitions mondiales. Les derniers cas en date de dopage que l'opinion publique a retenus avec désolation remontent au mois d'août 2009 à l'occasion des championnats du monde d'athlétisme organisés à Berlin. Il s'agit de Mariem Alaoui Selsouli, qui avait déclaré forfait pour la finale du 1 500 m et qui avait subi un contrôle antidopage positif à l'«erythropoïétine» (EPO recombinante) ou encore de Jamal Chatbi qui avait dû renoncer à la finale du 3 000 m steeple après avoir subi un contrôle positif à un anabolisant dénommé clenbuterol, à la veille de la compétition. Tous les deux ont été suspendus par la Fédération internationale d'athlétisme (FIA), la première pour deux ans, le deuxième pour trois ans. Une autre Marocaine, Saida Mehdi (800 m) a été suspendue par la même Fédération le 8 août 2009 toujours à cause d'un contrôle positif lors d'un meeting à Paris. Rappelons que d'autres athlètes marocains ont subi le même sort. Parmi eux Hamid Ezzine (3 000 m steeple) suspendu pour une durée de 2 ans pour avoir manqué au contrôle antidopage. La même sanction pour contrôle positif ou de refus de se soumettre à des prélèvements a été prononcée contre les Marocains Aïssa Dghoughi, Rachid Ghenmouni et Abdelhadi Habassa. L'affaire du champion marocain Brahim Boulami remonte, elle, à 2002, quand le 15 août de cette année, à la veille du meeting «Weltklasse» à Zurich, il a subi un contrôle antidopage positif à l'erythropoïétine recombinante (r-EPO). Il fut alors suspendu pour une période de deux ans malgré ses dénégations. Cette série, peu réjouissante, de cas de dopage de nos athlètes n'empêche pas le Dr El Houmiri de rester optimiste. Pour lui, plutôt que de parler de dopage, «il faut parler de conduites dopantes chez certains de nos sportifs souvent par ignorance». Cela veut-il dire que les Marocains se dopent sans avoir l'intention de le faire ? En tout cas, la substance la plus utilisée par nos sportifs, si l'on en croit le Dr El Houmiri, «serait par excellence le cannabis, sachant que cette substance est interdite seulement pendant la compétition et qu'elle est souvent consommée dans un cadre festif mais pas à visée de dopage. Le maâjoune, produit exclusivement marocain, contient de l'huile de cannabis, le principe actif du cannabis (la tetrahydrocanabinole), qui, une fois ingérée n'est éliminée que trois semaines plus tard». Cette version d'un soi-disant dopage à la marocaine ne semble pas pour autant convaincre tout le monde. A commencer par l'AMSDS qui pense que les sportifs marocains abuseraient de substances beaucoup plus dures, et le feraient souvent pour développer leurs performances physiques. Née en 2005 pour développer un sport clean de tout dopage, l'AMSDS a produit dans le cadre d'une stratégie de travail à moyen terme 2007-2012 un rapport, résultat d'investigations de terrain. Dix disciplines sont visées par cette stratégie, et selon M. Karam, le président de cette association, le première qui souffre du fléau du dopage serait le bodybuilding (la musculation). La situation serait d'autant plus alarmante dans ce sport que tous les âges sont concernés. On y consomme des substances mélangées à des colorants, et autres hormones de croissance, le tout emballé et vendu librement, sans parler des produits pharmaceutiques de contrebande à base de protéines ou d'hydrates de carbone vendus au marché noir. Plus que cela, «dans plusieurs salles de sport, il y a des jeunes qui consomment en toute impunité des hormones en guise de compléments alimentaires destinés à l'origine aux animaux, comme les chevaux et les chiens». Plus grave : quelques outils comme la seringue sont utilisés pour se doper, ce qui constitue un risque de contamination au sida et à l'hépatite virale. Le domaine de l'athlétisme, bien qu'avec une moindre ampleur, n'est pas épargné par des pratiques de dopage selon M. Karam. «C'est le deuxième sport qui en est le plus touché au Maroc», dit-il. Toutes ces substances dopantes, cannabis, anabolisants, diurétiques ou autres entraînent le même résultat : un danger, sinon plusieurs, sur la santé. Ces dangers, confirme M. El Houmiri, sont variés «et ce, en fonction de la substance consommée, de la dose, de la fréquence de consommation, de l'état de santé du sportif … Cela va de quelques troubles mineurs jusqu'à la mort en passant par les maladies cardiovasculaires, les cancers, le diabète sucré, les dysmorphies, les troubles morphologiques, etc». L'association a d'ailleurs saisi en septembre dernier le Conseil supérieur des oulémas pour une fatwa sur le caractère haram du dopage. Et elle vient de saisir également le Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH) pour un avis sur la question.