Le président de la Commission sociale de la CGEM et membre du CA de l'OIT estime que l'inclusion des livreurs en tant que salariés n'est pas nécessairement la solution. Il milite pour un modèle hybride mêlant indépendance et protection sociale. Vous avez assisté le mois dernier à un conseil de l'OIT où il a notamment été question du statut des livreurs auto-entrepreneurs ? Où en sont ces discussions ? Effectivement, le conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail (OIT) vient d'adopter une décision d'aller vers une approche normative pour étudier la nature de la relation de travail dans les économies de plateformes. Je voudrais préciser que cette approche normative retenue par l'OIT devrait se traduire soit par des recommandations, soit par une convention internationale en la matière qui, une fois validée par les instances de gouvernance de l'OIT, serait soumise aux Etats pour ratification. Plusieurs pays ont légiféré sur cette question, dont la France et l'Espagne qui ont requalifié les contrats de prestation pour éviter le salariat déguisé. Puis est venue la directive de l'Union européenne du 2 février dernier. Quelle a été l'approche adoptée ? La directive de l'Union européenne datant de décembre 2021 et adoptée par le Parlement de l'Union le 2 février dernier a consacré la présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes numériques. Mais il reste à la transformer en loi et des désaccords existent au sein des pays de l'UE sur cette présomption réfragable de salariat. Certains Etats de l'UE ont estimé que l'approche des cinq critères européens sur huit ne constitue pas une option équilibrée et acceptable, car elle conduirait à un «statut de salarié par défaut» pour les travailleurs des plateformes. Doit-on nous acheminer nous aussi vers une obligation de salariat, s'agissant des livreurs, ou vers un modèle hybride. Et lequel serait-il? A mon avis, on ne doit pas être contraints au Maroc de nous acheminer nous aussi vers cette présomption de salariat ou de choisir entre deux statuts uniquement : soit une relation de travail régie par un contrat de travail et donc soumis à la législation du travail, soit une relation de prestation sous un contrat d'auto-entrepreneur, régi par le droit civil et commercial. Personnellement, je trouve qu'il y a d'autres voies ou alternatives pour réglementer, de manière prudente et réaliste, la nature de la relation de travail dans les économies de plateformes et je propose pour ce faire trois options: 1. Consécration du principe de la présomption d'indépendance pour les travailleurs des plateformes numériques, si ces derniers réunissent un certain nombre de critères. Ils peuvent être résumés en certains principes de non-subordination, de non-exclusivité, de rémunération variable et non fixe, etc. C'est une proposition qui s'inspire de la philosophie de la directive européenne, mais avec un esprit différent, et qui consacre plutôt l'indépendance de la relation de travail et en maintenant la même approche de requalification en cas de non-respect de certains critères. 2. Créer un nouveau statut pour les travailleurs indépendants non salariés opérant dans les économies de plateformes et qui exigerait un socle minimum de protection sociale à garantir et à exiger en faveur de cette population. C'est-à-dire d'aller vers une option hybride, et pour cela, il faudra créer une autre sous-catégorie d'indépendants, avec un traitement sur le plan fiscal et social différent des deux catégories classiques que nous utilisons jusqu'à présent. 3. Aller vers le droit conventionnel au lieu de solliciter le droit législatif. Ceci implique de laisser la liberté aux entreprises souhaitant opter pour une relation de travail au lieu du statut d'indépendant, contractualiser des conventions collectives spécifiques à cette nouvelle économie de plateforme et qui ne relèveraient pas du modèle exigé par la législation du Code du travail, pour offrir plus de flexibilité nécessaire à ces modèles économiques en leur exigeant un minimum de protection sociale à garantir.