Recettes de la ville, patrimoine communal, gestion des déchets, mobilité urbaine... Tout y passe avec l'édile de la métropole qui signe un temps de passage remarquable dans le pilotage d'une ville aussi dynamique que monstrueuse. Entre une urgence à gérer, deux dossiers à traiter et trois parapheurs à signer... Nabila Rmili nous fixe rendez-vous vendredi tard dans l'après-midi. Son temps ne lui appartient plus depuis qu'elle a été élue, en octobre 2021, sous les couleurs du RNI, présidente du Conseil de la ville de Casablanca. «J'ai oublié Nabila la femme ! Là je me consacre exclusivement à cette lourde responsabilité», nous confie la maire de la capitale économique. «J'aime cette ville ! J'y suis née et j'y ai grandi ! Et là j'ai l'opportunité de contribuer à améliorer les conditions de vie de mes concitoyens. Nous allons faire le maximum et avec plus d'esprit de responsabilité de la part des Casablancais, nous arriverons à améliorer tant de choses», poursuit-elle sur ce ton rassurant, typique du médecin qui a établi le bon diagnostic. Habituée à la gestion des crises (notamment celle du Covid), docteur Rmili a dû affronter des fièvres de gouvernance à donner des sueurs froides, mais son traitement pour la métropole semble donner des premiers résultats rassurants. A l'issue de sa première année de pleine activité, la maire signe un record inégalé depuis la création du Conseil de la ville il y a 18 ans : des recettes communales dépassant le seuil psychologique de 4 milliards de dirhams. Et il y a encore à faire : Casablanca a un potentiel de recettes (et de dépenses) au-delà de 7 milliards de dirhams, selon les projections établies par son équipe. De quoi couvrir les besoins grandissants d'une métropole budgétivore qui a subi des décennies de mauvaise gestion, pour ne pas dire de dilapidation. Avec l'équipe en place qui finalise son Plan d'action communal, une nouvelle dynamique est enclenchée à travers une multitude de projets et de réformes. De quoi espérer une rémission pour le poumon économique du Royaume. Passage au scan avec l'édile de la ville. Les recettes de la ville ont augmenté de près de 600 millions de dirhams à fin 2022. A quoi est due cette performance record ? Dès son installation, le Conseil a pris conscience que Casablanca avait un énorme potentiel de recettes et que c'est une nécessité de les améliorer, car elles restent malgré tout insuffisantes pour couvrir les dépenses. C'est une ville avec un budget potentiel dépassant les 7 milliards de dirhams. Nous avons donc fixé un plan d'action qui s'étale sur 5 ans avec pour objectif d'améliorer les recettes de 40% à cette échéance, de manière à trouver les moyens de mieux servir les habitants de la métropole. Quelles sont les niches qui ont permis d'atteindre ce montant de 4,2 MMDH ? Il faut savoir que les taxes de la ville sont à 67% collectées par la DGI et le Trésor. Le Conseil a travaillé avec ces administrations de sorte à baisser notre reste à recouvrer, entre autres, au niveau de la taxe professionnelle, et ce, tout en lançant le chantier d'assainissement en amont de notre assiette fiscale. Au sein même de la Commune, nous nous sommes focalisés sur les 23% de taxes que nous recouvrons directement, comme celles sur les terrains non bâtis, sur les débits de boissons ou encore les redevances sur l'affichage publicitaire, les enseignes de banques, le stationnement... Nous avons fait un focus sur plusieurs taxes et nous nous sommes attelés à assainir les dossiers en souffrance. Il faut rappeler que si ces taxes n'ont pas été payées pendant plusieurs années, c'est parce qu'il y avait de réelles problématiques. Il fallait donc réviser les conventions et éclaircir les choses. Cela a donné ses fruits et le travail continue. Quels rôles ont eu les différents présidents d'arrondissements dans cet effort d'amélioration des recettes ? L'exécution de notre plan d'action repose sur l'implication des présidents des arrondissements. Désormais, ils ont chacun un objectif de recettes propre à leur arrondissement. Les présidents ont obtenu la prérogative de trancher sur l'occupation des domaines publics, pouvoir qu'ils n'avaient pas auparavant et qui les a responsabilisés par rapport au recouvrement des recettes. Surtout que la plateforme «Rokhas» permet désormais de calculer exactement la superficie consacrée à cette occupation du domaine public et de chiffrer le potentiel. Grâce à cela, une nette amélioration a été constatée dans ce sens : nous avons pratiquement atteint 75% de notre objectif. Comment se présente l'année 2023 en matière de recettes ? 2022 était une année d'urgence. Mais maintenant que nous avons enclenché une dynamique, nous avons plus de maîtrise sur notre assiette et nous pouvons démarrer 2023 sur de bonnes bases. Quand bien même nous aurions enregistré une hausse de 17% de recettes, celles-ci restent insuffisantes et il faut explorer d'autres niches. Par exemple, 40% des Casablancais ne paient pas la taxe communale. De plus, de nouveaux quartiers ont vu le jour dans la métropole sur lesquels aucun travail n'a été effectué. Le logement social, de son côté, n'a pas encore commencé à s'acquitter de cette taxe communale. Cette année, nous comptons également nous pencher sur la valorisation du patrimoine de la ville. Où en est justement l'étude lancée il y a quelque temps par Casa Patrimoine au sujet des biens communaux ? Casablanca est riche d'un point de vue patrimoine communal. C'est ce qui nous vaut d'ailleurs la confiance de la Banque mondiale qui nous accompagne via un crédit directement lié aux objectifs. Casa Patrimoine est chargée de recenser l'ensemble de ce patrimoine : immobilier, voirie, espaces verts... Et cette année, il est question de revoir les valeurs locatives comme nous le permet la loi. Nous avons des villas sur le boulevard Zerktouni louées à 50 DH, alors qu'aujourd'hui nous avons la possibilité de monter des OPCI pour créer des plateaux de bureaux par exemple. Pareil pour Lissasfa où un dossier traîne depuis plus de 30 ans. D'où la nécessité de traiter là encore les projets en souffrance. Casablanca compte devenir une ville qui produit et il est grand temps aujourd'hui de valoriser ces projets en envisageant leur vente pour qu'on puisse lancer autre chose. Car il n'est pas question d'utiliser l'argent du patrimoine pour les dépenses courantes. Si on vend, c'est pour acheter un autre bien ou monter un autre projet. En même temps, l'amélioration de ces recettes repose sur une SDL qui s'appelle Casa Mawarid, qui n'est pas encore opérationnelle... Nous avons lancé un appel à candidatures pour la nomination du directeur de cette SDL dont la création a été décidée en 2018 mais qui est restée inerte jusqu'à l'arrivée du nouveau Conseil. Une fois que le directeur sera nommé, il va devoir suivre avec nous le plan d'action que nous avons déjà préparé. Quel bilan faites-vous du travail de la police administrative, elle aussi impliquée dans le recouvrement des recettes ? J'étais vice-présidente quand nous avons lancé l'idée de la police administrative telle qu'elle est aujourd'hui avec ses 150 agents opérationnels. Je peux témoigner qu'elle a joué un rôle fondamental en matière d'amélioration des recettes par son travail de porte-à-porte pour sensibiliser le contribuable, sans parler de son apport, en amont, en matière de recensement du potentiel de la commune. Comment améliorer la citoyenneté fiscale des Casablancais ? De notre côté, nous œuvrons à leur faciliter la tâche au maximum. La majorité des taxes sont déclaratives et peuvent être payées via des plateformes numériques. Le citoyen n'a plus besoin de se déplacer pour aller payer sa taxe, encore moins d'attendre la notification. Les Casablancais doivent aider la ville à percevoir les taxes déclaratives au moment opportun pour que nous puissions avoir les recettes nécessaires afin de les servir et améliorer leurs conditions de vie. De nombreux projets sont achevés mais toujours pas ouverts, pour ne citer que le théâtre et le zoo. Un blocage quelque part ? Les travaux du théâtre sont aujourd'hui finalisés, mais il reste la question de sa gestion. Nous sommes sur cette phase préparatoire qui inclut aussi l'acquisition de certains équipements. Pour ce qui est du zoo, une étude récente a relevé la nécessité de revoir certains paramètres, liés notamment à la sécurité. Ce qui a donné lieu au lancement de travaux secondaires. Mais Casa Events travaille déjà sur un appel à manifestation d'intérêt afin de désigner une société gestionnaire pour cette future installation. Il faut préciser que la gestion d'un zoo est toujours déficitaire. Même le tarif que vous avez entendu de 50DH reste insuffisant et la ville va devoir subventionner le déficit de cette entité importante pour l'offre de divertissement de la ville. Plusieurs applications ont été lancées pour un investissement de 60 MDH, rien que cette année, mais Casablanca est encore loin d'être une smart city ? Il faut d'abord préciser qu'il y a énormément d'acquis. Nous avons des plateformes qui tournent bien comme «Rokhas» qui a permis de numériser les autorisations de construire, les permis d'habiter, les ouvertures de commerce, les tranchées télécoms ou d'assainissement. Certaines redevances sont même payées en ligne. Il y a aussi le déploiement de «Chikaya» pour que les citoyens nous aident à aller vers l'avant. Nous avons également introduit le «e-parapheur» pour les échanges entre les différents membres de l'administration. Un effort considérable a été fourni, mais il reste beaucoup à faire, notamment en matière de formation de personnel. Casablanca compte 10.000 employés avec un potentiel d'encadrement de 14% seulement, vu la prédominance de fonctionnaires proches de l'âge de la retraite. Un gros travail doit se faire sur les 5 ans à venir par rapport aux ressources humaines de la ville. Nous avons la responsabilité de laisser à nos successeurs une vraie administration forte qui peut servir au mieux le citoyen casablancais. Où en est le Plan d'action communal de Casablanca ? Il sera soumis au vote lors de la prochaine session du Conseil. Nous en sommes à la phase de la finalisation et de budgétisation. La direction des collectivités territoriales nous a donné un grand coup de pouce en matière de financement. Avec la région aussi, nous sommes sur la même longueur d'onde et nous allons nous entraider pour le montage financier de l'ensemble des projets. Nous avons fait le choix de faire de Casablanca, la blanche, une ville qui tend vers le vert. Cela va être notre slogan. Et pour y parvenir, plusieurs projets sont en cours de lancement. Avant de devenir blanche ou verte, Casablanca doit d'abord gagner en propreté... Aujourd'hui, le nettoyage de la ville nous coûte à lui seul un milliard de dirhams. Nous sommes d'ailleurs en train de revoir le contrat avec le délégataire pour améliorer encore plus la propreté de la ville. Mais au-delà du budget alloué à la collecte de déchets, nous travaillons actuellement sur le système d'enfouissement. Nous avons fermé l'ancienne décharge pour en ouvrir une nouvelle, sur 260 hectares, où nous comptons construire une usine de traitement et de valorisation des déchets. Elle devrait voir le jour en 2025. Le volet de réutilisation des eaux usées, pour faire face au stress hydrique, est tout aussi fondamental. Un potentiel important d'eau est déversé actuellement dans la mer, que nous pouvons utiliser pour, au final, disposer d'un réseau qui irrigue les 500 hectares d'espaces verts de la ville et peut-être même pour un usage industriel. Nous allons également avoir des stations climatiques que nous comptons implanter pour suivre la pollution et le taux d'émission de CO2. Il est de notre devoir de laisser à nos petits-enfants un climat de vie agréable à Casablanca. Tous ces chantiers seront-ils pilotés par Casa Baia ? La mission de cette SDL est de veiller à la bonne marche du secteur d'assainissement et de faire le suivi et le contrôle pour avoir une ville propre. Actuellement, elle travaille aussi sur la création de la «Police de l'environnement». Cela figure parmi les prérogatives d'une mairie selon l'article 100 de la loi 113-14. Je pense que le stade de sensibilisation menée jusque-là par la Police administrative est dépassé. Cette police de propreté, qui va démarrer en février, aura le pouvoir de verbaliser. Une amende de 100 dirhams va être appliquée en cas d'atteinte à la propreté de la ville. Casablanca nous appartient à tous et, donc, il nous appartient à tous de veiller à sa propreté. Et pour les dépôts des déchets inertes alors ? La gestion de ce type de déchets ne fait pas partie des prérogatives propres de la ville, mais nous ne pouvons pas laisser les choses telles qu'elles sont. Casa Baia vient de lancer un appel d'offres pour le ramassage de quelque 90.000 tonnes de déchets. Nous allons mettre à la disposition des citoyens des bacs métalliques sur certaines artères de la ville, pour y mettre ce type de déchets, que la société en question va devoir ramasser, comme ce qui se fait partout dans le monde. C'est une nouvelle mission que nous allons assurer malgré nous. Une taxe sera présentée lors de cette session relative aux déchets ménagers inertes, au m2, et on prévoit aussi une taxe pour les travaux ménagers. Elle était limitée à 500 DH mais devrait passer à 1.000 DH. La mobilité urbaine et l'état de la voirie sont un calvaire pour les Casablancais. Quels sont vos projets pour y remédier ? Il y a d'abord ces grands projets structurants qui vont bientôt démarrer, notamment la 3e et 4e ligne du tramway, en plus du Bus à haut niveau de service (BHNS). Nous travaillons également sur une nouvelle convention avec l'ONCF pour avoir un RER à Casablanca. Casa Aménagement travaille de son côté sur le programme Casa Ouest, objet d'une autre convention de 2 milliards de dirhams, et qui va permettre de désengorger la zone Nouaceur, Hay Hassani et Casa Anfa. Ce sont de nouvelles routes qui vont être tracées en plus du raccordement à d'autres quartiers de la ville. Et puis, il y a bien sûr un travail d'entretien de la voirie qui coûte très cher à la ville. Nous consacrons à cela un budget de 100 MDH en cette année, contre 40 MDH auparavant. Mais nous sommes encore loin du compte. Selon nos calculs, il va nous falloir 700 MDH pour l'entretien de la voirie. Un objectif que nous espérons atteindre avec l'amélioration de nos recettes. Quid du volet culturel ? Bien évidemment, c'est un sujet très important. Nous disposons de plusieurs complexes culturels qui sont sous-utilisés. Nous allons lancer un «festival des talents casaouis» pour libérer le potentiel de chaque arrondissement. Nous voulons lancer un festival de «Ayta» et de musiques anciennes. Nous sommes en train de chercher une signature pour Casablanca de manière à ce qu'elle puisse avoir son festival de renommée. Nous voulons une ville dynamique, ouverte sur son environnement et où il fait bon vivre. Et ce fameux Complexe Mohammed V, il va rester en perpétuels travaux lancés par Casa Events ? Que devient d'ailleurs le projet du grand stade de Casablanca ? L'état actuel du stade est bon. Je viens de signer une convention avec les deux clubs (Wydad et Raja) que Casablanca est fier de compter. Cela dit, je pense qu'un grand stade s'impose, mais il ne peut être qu'en dehors de Casa. C'est un projet qui va nécessiter 200 ha, qu'il sera difficile de trouver dans la ville. Les grands stades, partout dans le monde – et comme on l'a vu récemment au Qatar – sont à proximité de la ville et non à l'intérieur. Ce projet ne figure pas dans le PAC, car il est l'objet d'une réflexion globale menée avec plusieurs entités, notamment le département des Sports. PROFIL La première femme à la tête de la mairie de Casablanca avait déjà été vice-présidente du Conseil. Médecin rigoureux, elle s'était distinguée par sa gestion de la pandémie alors qu'elle était directrice régionale de la Santé. Un département où elle a fait toute sa carrière.