l'homme de loi reçoit les deux couples, mais il constate immédiatement un changement notoire : il y a eu permutation. L'époux du premier couple est maintenant accompagné par la dame du second couple, et celle du premier couple est aux bras du second mari. I l est de notoriété publique qu'il existe dans chaque ville du Royaume, et au sein de chaque tribunal, une section spécialisée dans les affaires relevant du statut personnel. On y traite les cas de divorce, succession ou encore tutelle de mineurs. D'une manière générale, les magistrats spécialisés qui ont la charge de ce secteur veillent à l'application effective de la Moudawana, et demeurent l'ultime recours pour tout ce qui a trait à la famille. L'histoire suivante a eu pour cadre l'un de ces tribunaux, où les justiciables sont beaucoup plus sensibles et nerveux que devant les juridictions «normales», où se plaident les litiges classiques de la vie courante (chèques, loyers, contrats en tout genre, etc). Un couple se présente donc chez un avocat réputé de la place (ancien bâtonnier de l'ordre, détail important), l'informe de sa décision de divorcer et le charge d'engager la procédure ad hoc. Les époux sont d'accord entre eux, ils n'ont pas d'enfants et souhaitent un résultat rapide. Aucun problème, les rassure l'homme de loi, les démarches ne traîneront pas. Pendant qu'il entreprend les premières formalités, un second couple demande à être reçu, et explique à son tour sa volonté (commune aux deux époux) de mettre un terme à leur mariage. Voilà donc l'avocat chargé de deux missions quasi similaires, qui se rend au tribunal déposer les requêtes aux fins de divorce par consentement mutuel. En sa qualité d'ancien bâtonnier, il a droit à un traitement privilégié et, afin de lui éviter maints allers et retours pour les besoins de la procédure, le magistrat en charge des divorces fixe la même date, pour l'audience de conciliation, préalable obligatoire à toute demande de rupture du contrat de mariage. De retour à son cabinet, il avise les deux couples de la date prévue, et les invite à le rejoindre le jour dit, afin qu'il les accompagne au tribunal. Ce qui fut fait, et voilà les intéressés qui se retrouvent dans sa salle d'attente, puis se rendent au tribunal, patientent avant de rencontrer le magistrat, puis échangent ( chaque couple de son coté) des réflexions avec leur avocat. Comme prévu, la conciliation a échoué, et le juge va donc convoquer à nouveau les parties pour engager les modalités techniques de la séparation ( et accessoirement, toujours par égard à l'avocat, décide d'une date commune pour les deux dossiers). Les deux couples se croisent à nouveau chez le juriste : ils ont déjà lié connaissance, et comparé leurs situations respectives. Ils retournent donc au tribunal pour les besoins de la procédure. Nouvelle entrevue avec le magistrat qui finalise les détails de chaque dossier, et les invite à revenir une troisième fois, pour entériner définitivement la rupture du contrat de mariage. Grâce à la compétence de leur avocat, les deux couples sont satisfaits du déroulement des évènements : moins de deux mois se sont écoulés depuis le début de la procédure, le magistrat mène rondement les deux dossiers et, pour chaque couple, l'heure de la délivrance approche. Enfin, c'est le grand jour, le juge va leur remettre l'ordonnance de divorce, et clore ce chapitre. Accompagnés de leur avocat, ils attendent que le greffier les introduise à tour de rôle, auprès du juge puis, munis du précieux document, prennent congé du juriste, qui a parfaitement accompli sa mission à la grande satisfaction des intéressés. Toutefois, rendez-vous est pris avec l'avocat, pour une date ultérieure, car il reste quelques menus détails à régler concernant les frais et honoraires inhérents à cette procédure. Et là, surprise ! le jour venu, l'homme de loi reçoit les deux couples, mais il constate immédiatement un changement notoire : il y a eu permutation. L'époux du premier couple est maintenant accompagné par la dame du second couple, et celle du premier couple est aux bras du second mari ! L'avocat n'en revient pas, mais tout ce joli monde semble bien détendu, et s'explique. Les deux couples ne se connaissaient pas, et ont fait connaissance (sommairement) dans sa salle d'attente ; puis lors des différentes audiences, lors des attentes, des pauses, ils ont papoté, entre hommes, entre femmes, échangé des confidences, et disserté sur leurs vies de couple respectives. Le fait que les déplacements au palais de justice se fassent aux mêmes dates a fait naître un courant de sympathie, puis de connivence entre personnes traversant une difficulté similaire et, de fil en aiguille, on s'est découvert des atomes crochus, des similitudes, … qui ont donné naissance à une envie de vivre ensemble et de reconstruire une vie à deux. L'avocat fut invité aux deux mariages, secrètement ravi que son intervention sur ces dossiers connaisse une fin heureuse. Ce qui nous prouve que le palais de justice n'est pas qu'un lieu de souffrance et de déchirements, mais qu'il peut également servir de cadre à des histoires merveilleuses.