Les deux pronoms n'ont de sens que par rapport à des normes culturelles. Le vouvoiement réduit la dimension affective dans les relations professionnelles. Le passage du «vous» au «tu» marque l'évolution favorable d'une relation. « Est-ce que nous pouvons nous tutoyer» ? Dans nos relations professionnelles, on a souvent été obligé de répondre à cette requête au beau milieu d'une discussion avec une personne que l'on rencontre pour la première fois. C'est que l'interlocuteur veut briser la glace pour vous mettre à l'aise ou mieux faciliter les échanges. On comprend ainsi toute la complexité qui entoure l'utilisation des pronoms «tu» ou «vous» quand on s'adresse à une personne, surtout dans le cadre professionnel. Le sujet est d'autant plus délicat que le vouvoiement est hérité du français, langue de travail dans l'essentiel des entreprises de la place, alors que, même s'il existe comme «règle grammaticale, il n'est pas marqué au niveau du l'usage général», fait remarquer le sociologue Ahmed Al Motamassik. Ce faisant, il y en a beaucoup qui ont tendance à passer de «tu» à «vous» et vice versa sans en mesurer toutes les conséquences. En effet, ce n'est pas si simple parce que chaque pronom a une signification. Dans la langue française, l'usage du tutoiement et du vouvoiement relève des règles du savoir-vivre. «Ce sont des marqueurs hiérarchiques et sociaux» , souligne M. Al Motamassik. «Le «tu» et le «vous» sont des outils linguistiques qui permettent de gérer la proximité et la distance entre les individus. Le vouvoiement permet de montrer son respect à la personne à qui l'on s'adresse. Le passage du «vous» au «tu» est un rituel courant qui marque l'évolution favorable d'une relation», précise Mouhsine Benzakour, enseignant chercheur en psychologie sociale. C'est donc une question de culture et de politesse que de savoir lequel des deux utiliser dans une communication orale, sachant que dans tous les courriers professionnels l'usage du «vous» est généralisé. Le vouvoiement réduit la dimension affective Avec un inconnu, mieux vaut commencer tout de suite avec le «vous» qui marque non seulement la distance mais aussi le respect. Le tutoiement intempestif peut être considéré comme une agression. «Je ne tutoie jamais une personne qui m'est étrangère, surtout quand il s'agit d'une dame», confie ce commercial, pourtant au contact facile. En matière de management, la deuxième personne du pluriel offre une plus grande flexibilité. Elle réduit la dimension affective dans les relations et permet, notamment dans les périodes de crise, de mieux gérer les relations avec les collaborateurs. C'est aussi une règle à appliquer dans «une relation client/fournisseur», conseille M. Benzakour, et avec les partenaires sociaux. Au demeurant, le vouvoiement renforce l'autonomie, tandis que son pendant, le tutoiement, peut faire basculer une relation dans un registre de proximité et pousse souvent à la désinvolture. Cette démarche prudente est impérative parce que, très souvent, il s'avère difficile de revenir au vouvoiement après avoir accepté le contraire. En général, le recul marque un conflit ou un rejet. C'est comme si l'on passe subitement de l'usage du prénom pour interpeller une personne à monsieur et madame. Sur le terrain, le constat est que dans de nombreuses entreprises, et sans qu'il y ait aucune règle écrite, la deuxième personne du pluriel s'impose verticalement et dans les deux sens, c'est-à-dire entre supérieur hiérarchique et collaborateur. Cette manière de communiquer est très marquée dans les entreprises dirigées par des cadres formés à l'école française ou par des Français. Néanmoins, la hiérarchie est souvent tolérante avec le petit personnel, d'un niveau intellectuel moins élevé, qui a du mal à cerner les subtilités de la langue française. En revanche, chez les cadres de l'école anglo-saxonne, on ne s'embarrasse pas de trop de précautions linguistiques parce que, dans cette culture, on ne se sert pas du vous pour s'adresser à une personne. Tout dépend de la culture d'entreprise Compte tenu de l'imbrication des cultures dans l'entreprise marocaine, on ne peut toutefois pas parler de règle absolue. On l'a déjà souligné par ailleurs : les deux pronoms n'ont de sens que par rapport à des normes culturelles. De plus, celles-ci évoluent. Ici comme dans d'autres environnements, les jeunes sont plus enclins à se tutoyer, tant en privé que dans le milieu professionnel. «Même en France, les lignes ont bougé et les gens se tutoient plus facilement», relève M. Al Motamassik qui dit préférer de loin l'usage de la deuxième personne du singulier qui reflète un management collaboratif, «un pouvoir partagé», comme il l'évoque, plus précisément, à celle du vous qui est davantage en vigueur dans une organisation de type pyramidal, «directif». Cependant, l'usage et l'acceptation du tutoiement par le management peut cacher une volonté de manipulation. Quoi qu'il en soit, c'est la culture d'entreprise qui détermine la manière de s'adresser à un interlocuteur. Pour illustration, il arrive que des collègues d'un même service se tutoient et vouvoient ceux d'un autre service. Dans ce cas, l'utilisation du «tu» exprime l'appartenance à un même milieu et le «vous» est exclusif -il fixe une limite territoriale virtuelle- mais ne signifie nullement une absence de collaboration avec autrui. De même, dans de petites entreprises, où «le patron exerce les mêmes tâches que ses employés, le tutoiement vient facilement pour marquer une proximité face à un travail pénible», fait remarquer Mouhsine Benzakour. Il en est de même dans les start-up qui, d'ailleurs, sont à l'origine de la réduction de certains formalismes dans la sphère professionnelle (travail à distance, habillement décontracté…), la communication, la recherche et les PME familiales. Mais dans toutes les cultures, il y a aussi une communication non verbale qui marque la distance ou le respect : l'intonation de la voix par exemple.