Une affectivité bien dosée renforce la solidarité et favorise la performance. Non contenue, elle peut gravement perturber le fonctionnement de l'entreprise. Pour éviter les quiproquos, on doit définir un code de conduite et des critères de gestion des ressources humaines connus de tous. Vous vous sentez psychologiquement proche du collaborateur qui vient du même milieu social que vous ou encore de celui avec qui vous partagez les mêmes valeurs, les mêmes passions ou encore les mêmes ambitions. Vous aimez bien partager des moments de bonheur avec votre manager pour qui vous avez de l'admiration. Beaucoup d'entre nous se reconnaissent dans ces attitudes, et pour cause. Nous passons en effet plus de la moitié de notre temps utile au travail. Cela crée des liens. Cette proximité est souvent prolongée en dehors de l'entreprise. Des pots ou des déjeuners pris ensemble, des soirées cinéma, un bout de chemin fait ensemble en voiture ou à pied après le bureau, une petite visite familiale suite à un événement (décès, naissance ou mariage)…, les occasions de renforcer les relations personnelles ne manquent pas. Il n'est pas rare non plus de voir des personnes qui se sont connues chez un même employeur devenir inséparables dans leur vie privée ou même fonder un foyer. Quand deux personnes sont sur la même longueur d'onde, leur collaboration ne peut qu'être fertile, donc bénéfique pour l'entreprise. Des liens forts faussent parfois l'objectivité Bon nombre de gens le reconnaissent, l'affectivité a bien sa place au travail. Ce n'est donc pas un hasard si les experts en management ont encouragé les incentives ou séminaires d'entreprise pour construire ou renforcer des liens entre collègues ou au niveau de toutes les lignes hiérarchiques, de sorte à créer des synergies, même si l'objectif n'est pas de susciter une véritable amitié. Tout cela pour dire qu'une bonne ambiance facilite les initiatives, renforce la solidarité et favorise la performance. Cependant, n'oublions pas que notre lieu de travail n'est pas non plus le café du coin. Si affinité et même familiarité sont parfois utiles pour fluidifier la relation entre collègues, il faut savoir garder une attitude professionnelle, conseille Jamal Amrani, DG du cabinet Jadh. «Trop souvent, les salariés sont dans une logique affective trop humaine. Ils donnent, voire se donnent, et attendent en retour une reconnaissance. Ceux-là se trompent de registre !», analyse Ahmed Al Motamassik, sociologue d'entreprise. Selon lui, non seulement le plaisir de travailler doit rester une affaire privée, mais il faut se départir de la relation sentimentale qui prend trop souvent le dessus. «Parce qu'ils étaient des amis, deux anciens collègues se dressaient contre tout le monde. En réaction à ce comportement, d'autres se sont constitués en petits groupes pour pouvoir mieux se soutenir. Nous avons fini par tomber dans des conflits personnels récurrents. Le patron a alors été obligé de taper du poing sur la table», explique un employé d'une société de services informatiques. Gérer l'affectivité suppose que l'on sache contrôler ses émotions Le problème ne se limite pas à ces conflits personnels vécus dans toutes les entreprises. Le plus grave, c'est quand le patron tombe dans le piège de l'affectivité. Non contenue, celle-ci peut gravement perturber le fonctionnement de l'entreprise. Par exemple, quelle attitude un manager doit-il adopter si un collaborateur trop proche – sentimentalement – commet une première erreur dommageable à l'entreprise, puis une seconde, puis une troisième? Lui conservera-t-il toute son affection et son estime ? Ce collaborateur comprendra-t-il son revirement éventuel ? Pour Al Motamassik, des liens forts faussent parfois l'objectivité. Comment s'en prémunir ? Il convient de définir les règles du jeu dès le départ et ce, en mettant en avant les notions d'efficacité et de performance. C'est ce que préconise Jamal Amrani. Il explique que «le fonctionnement de l'entreprise doit être analysé en terme de création de richesse et de valeur, quelles que soient les relations entre les individus. Dans le cas contraire, l'échec est garanti». On ne peut suivre une telle logique que si le terrain est balisé. Idem pour Karim El Ibrahimi, DG du cabinet RMS, qui souligne que «les liens affectifs sont importants. Nous sommes solidaires entre nous quand il s'agit de surmonter une crise. Mais, en parallèle, nous devons respecter trois principes: respect des engagements, rigueur dans la gestion des projets et responsabilité dans la gestion de l'entreprise. Un client n'est pas en mesure de comprendre nos problèmes internes si on ne respecte pas nos engagements». Selon les spécialistes, gérer l'affectivité suppose aussi que l'on contrôle ses émotions. D'après le psychologue américain Daniel Goleman, auteur de plusieurs best-sellers dont L'Intelligence émotionnelle au travail, la différence entre un cadre compétent et un cadre excellent se joue sur la capacité à mettre à profit son intelligence émotionnelle une forme d'intelligence qui suppose la capacité à contrôler ses sentiments et ses émotions et ceux des autres. Les salariés ayant cette aptitude sont en phase avec leurs signaux intérieurs et plus facilement en harmonie avec leur entourage professionnel. «Les personnes les plus ouvertes sont celles qui sont en lien avec leurs émotions et celles des autres. Elles se connaissent bien et font preuve d'empathie avec leur entourage professionnel», précise pour sa part Souad Fares, responsable communication et relations presse au Centre d'études et de recherches en sciences humaines et sociales (CERSHSO). Mais réduire l'affectivité ne doit pas déshumaniser les relations en entreprise. Cependant, «le manager doit savoir qu'en exagérant les liens affectifs dans les relations de travail, les collaborateurs deviendront prisonniers de lui et prisonniers de l'entreprise, et la rupture peut avoir des conséquences graves sur l'entreprise», note Al Motamassik. Il faut donc toujours chercher à obtenir l'adhésion, pas la soumission. «N'essayez pas de courtiser. Ne cherchez pas non plus à être craint ou aimé, mais plutôt à être suivi», conclut-il.