Voilà un mot souvent employé à tort et à travers. Est-ce se mettre à la place de l'autre ? … Oui, mais c'est un peu plus compliqué que cela. Détails sur une notion complexe, ambiguë et paradoxale. En philosophie et en psychologie, l'empathie est la faculté de s'identifier à quelqu'un, de ressentir ce qu'il ressent. L'étymologie (la racine de ce mot) est étonnante : selon le Petit Robert, le préfixe « em-en » vient du latin « dedans », tandis que le suffixe « -pathie » vient du grec « -pathos », « ce qu'on éprouve » – quoique que ce suffixe est le plus souvent associé à la douleur. Un mot d'origine gréco-latine, donc, pour lequel de nombreuses définitions ont été proposées. Pour les spécialistes des sciences humaines, le débat reste ouvert et il est encore difficile, aujourd'hui, de cerner tous les contours de cette notion. Une précision de taille, toutefois : l'empathie n'est absolument pas la sympathie, avec laquelle elle est souvent confondue. Neutralité et distanciation La sympathie est en effet un comportement réflexe, de type réactif, une sorte de mimétisme qui nous fait adopter l'expression de l'autre, ou, par identification, nous fait ressentir des sentiments de même nature. L'empathie, quant à elle, implique un mécanisme de recul intellectuel qui vise la compréhension des états émotionnels de l'autre. Une personne faisant usage d'empathie envers une autre peut comprendre ses sentiments et ses émotions, sans se faire parasiter par un état affectif ou émotionnel, qu'il soit « sympathique ou antipathique ». La personne empathique reste distanciée, impartiale et neutre. La définition la plus complète sur ce terme reste celle de Carl Rogers : selon ce psychologue américain, « l'empathie consiste à saisir, avec autant d'exactitude que possible, les références internes et les composantes émotionnelles d'une autre personne et à les comprendre comme si l'on était cette personne. » Voilà qui paraît simple, au premier abord. Mais en fait, rien de plus difficile : car se mettre à la place de quelqu'un d'autre génère forcément de l'affectivité. L'être humain n'est pas une machine… En effet, si l'empathie est prônée par de nombreux spécialistes de l'aide psy et de la communication, ces mêmes professionnels invitent souvent à trouver la bonne distance, à ne pas trop s'impliquer, à ne pas mettre trop d'affectivité. Et cette distance est parfois vitale dans l'exercice de certaines professions : imaginez l'état d'esprit d'un psychanalyste, à la fin d'une journée bondée de consultations, où tous ses patients sont venus lui conter leurs malheurs… Dilemmes de l'investissement D'où une ambiguïté, voire une contradiction gênante : se mettre à la place de l'autre génère forcément de l'affectivité, alors que garder ses distances conduit forcément à ne pas comprendre l'autre. Cruel dilemme : d'un côté, on entend qu'il faut comprendre, écouter, humaniser l'autre, et de l'autre, on enseigne aux professionnels en contact régulier avec des personnes nécessitant de l'aide (assistantes maternelles ou assistants sociaux, par exemple) de ne pas trop s'investir et de garder ses distances – car, évidemment, il faut aussi prendre soin de soi, éviter le stress, l'attachement, qui nuirait à l'objectivité du travail à accomplir, et qui pourrait produire, à terme, l'effet inverse de celui recherché (aider une personne en détresse, par exemple)… La notion d'empathie a fait l'objet de nombreuses réflexions de la part de théoriciens et praticiens de la relation. Ainsi, Carl Rogers la met en application avec l'écoute dite bienveillante (ou écoute active). Dans un ouvrage intitulé The Mating Mind, Geoffroy Miller défend le point de vue selon lequel l'empathie se serait développée parce que « se mettre à la place de l'autre » pour savoir comment il pense et va sans doute réagir constitue un important facteur de survie dans un monde où l'homme se trouve sans cesse en compétition avec ses semblables. Un autre théoricien de l'empathie, Jean-Louis Lascoux, est l'inventeur d'un nouveau terme, l'altérocentrage, qui définit une attitude et un comportement, lors d'une médiation, qui exclut toute adhésion aux émotions exprimées par un tiers : le médiateur, empathique, n'exprime pas d'interprétation et donc, globalement, ne s'identifie pas à l'autre. Il adopte la devise « ne pas prendre pour soi ce qui n'est pas soi. » Insondable nature humaine L'une des premières caractéristiques de l'empathie est d'être praticable à partir du moment où l'on admet, d'une manière ou d'une autre, l'incommunicabilité première entre les êtres humains. Chaque expérience de soi, du monde et des autres, est, en effet, unique. La seconde caractéristique de cette notion est que la reconstitution en soi de l'univers d'autrui s'élabore par approximations successives et non d'un seul coup. C'est un processus qui progresse par tentatives, par essais, erreurs ou rectifications. En fait, c'est, paradoxalement, la non-compréhension qui est le moteur intellectuel et affectif de l'empathie. Autrui est une énigme dont on cherche à déchiffrer la configuration. D'où cette dernière caractéristique, difficile à intégrer, mais indispensable : il n'y a pas d'empathie absolue, ni de compréhension totale de l'autre.