La sixième édition a ratissé large en rassemblant un public de tout à¢ge. Samedi 21 novembre, un concert de louanges pour l'Orchestre Philharmonique et l'Association des amateurs de la musique andalouse. Qui a dit que la musique andalouse était ringarde ? Dépassée, bonne pour les matinées de fêtes religieuses ? Les rencontres Andalussiyat qui se sont tenues du 18 au 21 novembre ont prouvé tout à fait le contraire ! A l'Office des changes à Casablanca -lieu qui a accueilli les soirées officielles- la salle était archicomble (1 500 spectateurs pour une capacité d'accueil de 1 200). En effet, il n'y avait plus de place pour contenir le flux incessant des arrivants. Ils étaient de tout âge, dont beaucoup de jeunes, contrairement à ce que l'on pourrait penser ! Il a fallu rajouter des sièges, se serrer, les soirées évoluaient sous le signe du partage. Les premières rencontres se sont déroulées dans le respect de la pure tradition. Mercredi 18, un vibrant hommage a été rendu à Haj Mohammed Bouzoubaa, maître incontesté du Malhoun (dont le répertoire compte pas moins de 280 chansons). Les organisateurs de ces rencontres ont compris qu'il était important de valoriser ce patrimoine culturel et de le faire redécouvrir avec un regard neuf. Les R'batis ont, donc, eu le privilège d'une ouverture avec une formation talentueuse au théâtre Mohammed V : l'orchestre Abdelkrim Raïs, dirigé par maître Mohamed Briouel, s'est associé à celui des «Phan phares» (orchestre 55) de Rabat avec ses cuivres. De la musique pour les puristes et les iconoclastes Ces sixièmes rencontres, organisées par l'Association des amateurs de la musique andalouse, s'inscrivent dans l'air du temps. Un temps fait de mélanges et de fusions. «Nous venons de franchir une nouvelle étape dans Andalussiyat, explique le président de cette sixième édition, Abdelillah Guerouali. «Les cinq premières années ont permis la construction de ce rendez-vous musical, mais, là, nous passons à la consolidation et au développement d'Andalussiyat», se réjouit-il. Depuis 2004, l'association milite pour faire sortir la musique andalouse des cercles fermés. Car, malgré l'engouement visible que suscite cette musique, les orchestres traditionnels restent extrêmement marginaux et ont peu d'occasions de se produire. Cela alors que, paradoxalement, cette musique est riche d'un répertoire immense, jalousement conservé par des hommes et des femmes qui ont veillé à sa transmission depuis des générations. (Même si beaucoup de noubas ont été perdues). Mais si al'ala a résisté au temps, c'est parce qu'elle transmet toujours les mêmes émotions. Les puristes ont défendu le nécessaire respect de la tradition, mais avec des sensibilités diverses. Les chanteurs et musiciens de Dar El Gharnatia (Koléa-Algérie) ont exprimé la leur à travers la deuxième fusion organisée en compagnie de l'orchestre du conservatoire de Tétouan, vendredi 20 novembre. Au début, les instruments se cherchent et puis, rapidement l'alchimie se trouve une place. La musique fuse de partout, habite les lieux. Les nostalgiques se sont laissés emportés par cette musique qui a permis, en quelques instants, la communion. Textes puissants et denses, chantés dans un arabe littéraire très pur, tempo soutenu, notes langoureuses, le public s'est laissé emporté par les noubas d'lil, Zidane… avant d'annoncer l'Inciraf, pour que les musiciens puissent se retirer dans le respect des codes et de la tradition. Respect ! c'est le maître mot qui régit cette musique très codifiée. Et dans la liste des respects, il faut compter celui de la ligne monophonique. C'est à cela que nous avons goûté avec le groupe Maalouf Testour, de Tunisie. Le Maalouf, cette musique dont la racine viendrait de etta'lif (la composition), disent certains spécialistes, pour d'autres, il serait dérivé de l'expression ma'oulifa sama'ouhou, qui se traduit par «ce que l'on s'est habitué à écouter». Ces deux définitions se complètent et se rejoignent. Ce qui est certain, c'est que cette musique a su résister au temps et n'a jamais connu d'interruption et c'est ce qui fait sa force. Mais si l'époque est à la résurrection, elle est aussi à l'innovation. Pour fêter ses 50 ans d'existence, l'Association des amateurs de la musique andalouse s'est offerte un caprice, que tout le monde, d'ailleurs, s'est empressé de partager avec gourmandise. Le répertoire andalou s'est élargi et s'est même prêté au jeu des mélanges. Ce fut la troisième et la dernière fusion annoncée par les organisateurs. Celle de l'Orchestre philharmonique (sous la conduite de R'chid Regragui) et de l'Association des amateurs de la musique andalouse. Introduire l'harmonie dans la musique andalouse…. une entreprise audacieuse, risquée. Mais Didier-Marc Garnier, l'arrangeur, était bien outillé pour réussir une pareille entreprise. L'effet était, du moins, saisissant ! Andalussiyat a démontré que la formation traditionnelle a tout à fait l'épaisseur et le talent des grands. Echo fascinant de ces deux orchestres qui se répondent, se complètent, se jaugent sans se juger. Une salve d'applaudissements. Si la fusion a duré vingt minutes, il a fallu, selon le président, trois mois de tavail pour arriver à introduire l'harmonie (voir entretien ci-contre) dans la musique andalouse. Si la soirée d'ouverture a séduit, celle de la clôture a ému, entre autres, par la voix de Karima Skalli. La cantatrice radieuse, dans son caftan blanc, a su imposer le silence. Sa voix, fine, cristalline se nourrit tout autant de l'ancien que du nouveau. Skalli a chanté et rechanté Ya habibi taâla (musique de Mohamed Abdelouahab, interprétée par Smahane), ou encore a cappella Yatirou el hamamou, de Marcel Khalifa s'inspirant du poème de Darwich. C'est sur cette douceur que le public a quitté le Maghreb, pour voyager en compagnie du flamenco espagnol. Moreno de Fuentes et Jose Zafr ont tenu à nous rappeler cette autre évolution de la musique andalouse avant que ne retombe le rideau sur cette sixième édition d'Andalussiyat.