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USFP : crise d'élites et absence de leadership
Publié dans La Vie éco le 26 - 10 - 2009

Les résultats du parti de la rose aux différentes élections sont en nette régression.
L'USFP absent à un moment où le champ politique national est en ébullition.
Tiraillements internes, absence de leader charismatique, perte de relais sur le terrain, mode de fonctionnement hermétiqueÂ..., les causes du recul.
Encore une polémique sur le retrait de l'USFP du gouvernement. Ces dernières semaines, plusieurs cadres du parti de la rose sont montés au créneau pour appeler au retour à l'opposition afin de se concentrer sur cette reconstruction du parti qui n'en finit pas depuis plus de deux ans. Sortie du gouvernement ? L'USFP qui a passé 11 ans au sein de la majorité gouvernementale, qui a mené le gouvernement de 1998 et aurait pu prétendre à gérer celui de 2002, n'arrive pas à s'y faire. Mais ce débat n'est que l'arbre qui cache la forêt, selon l'expression d'un membre du bureau politique. Le parti de Abderrahim Bouabid traverse indéniablement la phase la plus critique de son histoire. Après les résultats décevants aux législatives de 2007 puis aux communales de 2009, il vit une mutation qui risque d'être fatale pour son avenir. «Il s'agit d'une crise profonde… soit il dépérit soit il réalise un sursaut salvateur», alerte Larabi Jaïdi, membre du conseil national du parti (voir entretien en page suivante). Le même constat est fait par Ali Bouabid, membre du bureau politique du parti. «Les urnes nous ont infligé une cuisante défaite en 2007 puis en 2009», estime-t-il avant de conclure qu'«il est temps de se retirer du gouvernement pour se concentrer sur la reconstruction du parti».
En réalité, la crise couvait depuis 2007 déjà. Les résultats des législatives étaient un véritable choc pour le parti. Alors qu'il était premier durant les précédentes législatives, l'USFP s'est classé 5e à l'issue du vote. Pour M.Elyazghi, à la tête du parti après une longue période pendant laquelle il a joué l'éternel second, l'USFP a essuyé une cuisante défaite sans parler de plusieurs autres ténors du parti qui ont échoué à conserver ou à conquérir leur siège de député. Driss Lachgar, Mohamed Achaari, Nezha Chekrouni, Abderrafie Jawahiri, Taïb Mounchid et autres ont été sanctionnés par les électeurs. Pour de nombreux socialistes, l'expérience de dix années de pouvoir a sérieusement affecté la popularité du parti. Et une nouvelle participation au gouvernement aurait mécaniquement des effets négatifs sur son ancrage au niveau de la société et accentuerait davantage sa crise. Du coup, des voix se sont élevées pour appeler à une reconstruction du parti.
Recul du parti et de ses relais
Mais pour certains observateurs, la situation est plus grave encore. Elle va au-delà de l'image ou des succès des notables du parti. Les échecs électoraux successifs sont d'autant plus alarmants que «l'USFP ne s'est jamais aussi mal classé même lors des échéances électorales qu'il qualifiait de non transparentes et de truquées», signale Ghassan Lamrani, chercheur en sciences politiques. Premier en 1993 avec 48 sièges sur 222, puis en 1997 avec 57 sur 325 et en 2002 avec 50 sièges, le parti réalise le score le plus mauvais de son histoire en 2007 avec 38 sièges sur 325. Le recul est flagrant en termes de voix obtenues en 2007 qui était de 408 945, soit 8,7% de l'ensemble des voix, contre 821 641 en 1993 (13,9%). Pire, le parti qui dominait les grandes et moyennes villes n'en garde qu'une seule présidence, à savoir Agadir. Ses organisations de masse n'ont pas été mieux loties. La représentativité de son aile syndicale, la Fédération démocratique des travailleurs (FDT), a enregistré un recul notable dans les secteurs clés tels l'enseignement, la santé et les PTT, qu'elle dominait pendant des années. Quant à l'organisation de la jeunesse du parti, autrefois citée en exemple, elle n'a pas échappé au même sort. Désormais, la jeunesse ittihadie est «quasi-absente dans son principal champ d'action qu'est l'université, contrairement à la jeunesse de l'extrême gauche qui se maintient relativement et rivalise avec la jeunesse islamiste», précise M. Lamrani.
Bref, une véritable déroute. Les causes ? Elles sont nombreuses. A commencer par l'absence d'un véritable leader. Depuis quelques années, le parti souffre d'une absence remarquable d'un meneur charismatique et de figure emblématique qui pourrait conduire le navire socialiste à bon port. «Bien qu'Abderrahmane Youssoufi ne bénéficiait pas de l'unanimité, il avait au moins cette capacité de mobiliser et d'imposer le respect même auprès des représentants des pouvoirs publics», témoigne un militant. «Le parti a besoin d'un leadership qui sache trouver les modes, les liens et les mobilisations», estime M. Jaïdi. Le parti est toujours en quête d'une icône politique comme celle de Abderrahim Bouabid capable de mobiliser les militants autour d'un projet de société clair. Le processus de production des élites ne dégageant jusqu'à présent aucun dirigeant de cette stature a fait que la direction du parti est assurée, officiellement, par un premier secrétaire dont l'image de ministre couvre celle de leader partisan, et, réellement, par un collectif composé essentiellement de cinq personnalités. Lesquelles composent pour décréter des décisions qui ne font pas l'unanimité au sein du parti et qui, du coup, provoquent souvent des contestations ici et là.
Il faut chercher aussi les causes au niveau idéologique. «Les fondements de l'idéologie socialiste même ont été remis en cause après la faillite du socialisme tiers-mondiste et le démantèlement du système communiste», indique M. Lamrani. Or, contrairement aux partis socialistes dans certains pays comme la Suède et l'Espagne qui ont réussi leur mutation vers une social-démocratie, l'USFP s'est enlisé pendant ce temps-là dans des luttes internes qui ont vidé le parti de toute charge idéologique. Résultat : les adeptes qui défendaient avec conviction les principes de la gauche radicale ont été évincés. Noubir Amaoui, Mohamed Sassi et Mohamed Hafid ont été poussés vers la sortie. Juste après, ce fut le tour des militants de ce qu'on pourrait appeler la social-démocratie de quitter le navire après avoir été «utilisés» dans la guerre contre la gauche radicale. «Le drame de l'USFP est qu'il a vécu pendant plusieurs années sur un fonds de commerce qui est le socialisme sans en connaître les valeurs et l'essence, sachant que même les dirigeants qui se sont succédé à la tête du parti ne les ont jamais assimilés, c'est pourquoi leur discours était souvent un mélange d'idées populistes, panarabes, voire islamistes», déplore un membre du conseil national.
Un parti hermétique
Aujourd'hui, plusieurs militants se battent encore pour mettre à flot un parti en déperdition. Au sein du bureau politique ainsi que des autres instances du parti, ils mènent le combat. Mais la tâche n'est pas aisée. Car les dirigeants du parti ont, pendant tout ce temps-là, façonné un système qui devient imperméable à tout aspirant à la responsabilité. Dans toutes les instances du parti, le mode de fonctionnement est tel que tout militant de base éprouve une grande difficulté à accéder aux postes de responsabilités supérieures. «Le mode de fonctionnement des anciennes élites n'a pas produit un modèle de rapprochement avec la société et les exemples de villes comme Marrakech et Casablanca où le parti n'arrive pas à trouver les relais» sont édifiants, estime M. Jaïdi. Les dirigeants ont ainsi développé une forme de militantisme qui se base sur la consolidation de leurs réseaux personnels tout en évitant que de nouveaux venus remettent en cause les équilibres établis et les intérêts qui vont avec. L'USFP est devenue ainsi tellement hermétique que les chances d'y faire carrière apparaissent restreintes pour ne pas dire inexistantes pour tous ceux qui ont intégré le parti après 1995. Beaucoup de députés et de présidents de communes élus dans les années 80, si ce n'est 70, sont toujours en place. Et ils se battent bec et ongles pour continuer à se représenter au nom du parti. L'exemple du premier secrétaire est à ce propos parlant. Abdelouahed Radi est député et président d'une commune dans le Gharb depuis plusieurs décennies. L'espace est fermé, sauf pour les membres de la famille des dirigeants et les riches. D'ailleurs, la seule vraie ouverture a été faite il y a trois ans. Elle visait les notables des différentes régions du pays. L'objectif était de récolter le maximum de voix pour garantir une place au gouvernement. Ainsi des noms comme, entre autres, Zahraoui à El Jadida, Derham à Laâyoune et Chbaâtou dans la région de Meknès Tafilalet ont fait leur entrée dans le parti socialiste ! Des sièges de députés ont été assurés à des épouses de notables dans le cadre de listes nationales.
En un mot : le souci majeur pour le parti est devenu la course aux sièges. La lutte des places remplace désormais celle des classes. Quitte à ce que le parti soit coupé des revendications et du vécu quotidien des groupes sociaux qui le soutenaient traditionnellement tels les ouvriers, les enseignants, les fonctionnaires de la santé et de la poste et où le parti disposait d'un fort ancrage. Au moment où le parti de Bouabid régresse, le champ politique, lui, avance à grande vitesse. Le Parti de la justice et du développement (PJD) et surtout le phénoménal Parti authenticité et modernité (PAM) gagnent du terrain et des sièges. Ils lui ravissent le contrôle des villes et se positionnent comme deux grandes forces politiques. Les performances spectaculaires du PAM lors des récentes élections ont enfin acculé les dirigeants de l'USFP à assouplir leur position vis-à-vis de ce qu'il qualifiait péjorativement jusque-là de Al Wafid Al Jadid (le nouveau venu). Alors qu'il donnait la ferme consigne à ses militants de ne pas s'approcher du PAM, au risque de représailles, les dirigeants du parti de la rose changent complètement de ton. «Le PAM est une donnée réelle, c'est un acteur qui existe maintenant», indique Hassan Tariq, membre du bureau politique. Certains n'écartent désormais même pas l'idée de s'allier à Al Wafid Al Jadid. «Pourquoi pas ? D'ailleurs qu'est-ce qui le différencie du RNI ou de l'Istiqlal ?», s'interroge un autre membre du bureau politique. Voilà qui augure de changements radicaux dans la stratégie d'alliance du parti de la rose. Mais la question qui s'impose : est-ce que cela suffirait-il à remettre l'USFP sur l'échiquier politique ? Si oui, pour combien de temps ?


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