Il est beaucoup question ces temps-ci de la réforme de la Justice, notamment après le dernier discours du Trône dans lequel le Souverain a lancé des idées de changement et de réajustement. Mais que faut-il changer, par quoi commencer, comment résoudre les innombrables problèmes posés : modification des textes, formation des magistrats, équipement et infrastructures ? Peut-être conviendrait-il d'abord de procéder à un regroupement général des tribunaux, aujourd'hui disséminés un peu partout dans nos villes ? Car un tel éparpillement lèse les citoyens dans leurs recours à la justice. Confronté à une affaire requérant l'intervention des tribunaux, le citoyen profane ne sait pas où s'adresser : tribunal d'instance, prud'hommes, pôle pénal, ou commercial ? Où est situé le tribunal : Anfa, Ain-Sebâa, Hay-Hassani ou Ben-M'sik ? Cet éparpillement n'est pas sans entraver aussi le travail des fonctionnaires : dossiers volumineux à transférer d'une Cour à l'autre, services disséminés au gré des bâtiments, agents en nombre insuffisant, etc. A Casablanca par exemple, pas moins de sept tribunaux sont dévolus à la gestion des litiges et contentieux en tout genre, ce qui ne facilite guère la tâche, non seulement aux justiciables, mais également à tous les intervenants professionnels (magistrats, avocats ou experts). Le tribunal de première instance est situé idéalement au centre ville, jouxtant la wilaya : on y traite les affaires civiles (d'un montant inférieur à 20 000 DH), mais tout ce qui concerne le statut personnel (mariage, divorce, ou succession) relève d'une annexe située aux Habous. Les affaires plus complexes (délits, crimes) sont de la compétence d'un pôle pénal situé lui bd. des FAR, dans le bâtiment abritant jadis la Cour d'appel ; ce service vient d'être déménagé dans de nouveaux (et splendides) locaux, au sein du complexe administratif de Aïn-Sebâa : ce qui pose de sérieux problèmes aux justiciables pour s'y rendre ! Veut-on déposer un recours contre un arrêt pénal ou civil ? Il convient alors de se rendre à l'autre bout de la ville, plus exactement à Hay-Hassani, près de l'ancien aéroport d'Anfa où a été érigée la Cour d'appel de Casablanca. Le législateur a aussi instauré un tribunal de commerce destiné à traiter et soulager les contentieux commerciaux. Celui de Casablanca est une véritable œuvre d'art. Boiseries sculptées, zellidjes multicolores, lustres immenses, mosaïques colorées et marbre à tous les étages font la joie des touristes en visite, mais pas de climatisation dans les salles d'audience ni dans les bureaux, parking exigu pour fonctionnaires et avocats (mais inexistant pour les justiciables), peu d'ordinateurs, imprimantes fatiguées, photocopieuses en panne. Du coup, outre l'éloignement (car il est situé à Ben-M'sik), le manque d'organisation, la chaleur étouffante rendent difficile et approximative la qualité des prestations offertes : longueurs des procédures, taxes judiciaires élevées, personnel peu motivé contrastent avec l'apparat offert par le bâtiment ! Le tribunal administratif est consacré aux litiges opposant l'Administration aux citoyens ; ajoutons les tribunaux de Benslimane et Mohammédia (entrant dans le ressort juridictionnel de Casablanca), et l'on aura fait le tour complet des bâtiments affectés à la Justice dans notre ville, ce qui aura quand même nécessité une bonne dose de patience, et pas loin d'une journée entière ! Une saine administration de la Justice qui réponde aux besoins des citoyens souffre d'un tel éparpillement. En général et dans chaque cité, on trouve deux tribunaux, comme par exemple à Paris ( le Palais de justice trône sur l'Ile de la Cité), ou…à Marrakech ( ou il est niché non loin des remparts). Dans l'imaginaire collectif on apprécie la stabilité et la durée, le tribunal occupe une place spéciale dans la psychologie populaire : c'est là où l'on se rend pour se plaindre, c'est là où des spécialistes vont étudier les litiges, enfin, et surtout, c'est l'endroit où l'on va dire le Droit, où se pratique la Justice depuis des lustres. Certes dans les villes citées des aménagements ont été apportés, sous forme de décentralisation de certains services, délocalisation pour d'autres prestations , créations de locaux de proximité( justice d'arrondissement désengorgeant les Palais de justice principaux), modernisation des lois, rationalisation des procédures, mais LE bâtiment principal demeure LE symbole de la Justice dans la cité, celui vers lequel on converge instinctivement dès qu'il y a problème. A Casablanca, le fait d'avoir autant de tribunaux s'avère contre-productif par rapport au but recherché, qui est donc une saine application de la justice : pléthore de fonctionnaires obligés de parcourir des kilomètres entre deux services, dossiers égarés en chemin, centres de décisions dispersés (un parquet à Aïn-Sebâa, un autre bd. des Far, un troisième au tribunal de commerce) nuisant à une unification des procédures, magistrats empilés à deux ou trois dans des bureaux parfois exigus, équipements disséminés, justiciables promenés dans tous les coins de la ville, difficultés d'accès (peu de taxis acceptent d'aller au pôle pénal d'Aïn-Sebâa voire à la Cour d'appel de Hay-Hassani : trop loin disent-ils !)… La réforme de la Justice est une nécessité pour un Etat de droit, et doit donc être accessible à tous dans les meilleures conditions. Pourquoi ne pas envisager une fois pour toute l'édification d'un complexe administratif regroupant tous les services dévolus à l'application de la Justice, comme cela se fait partout dans le monde ? Tous les services fonctionneraient en osmose entre eux, les professionnels du droit travailleraient dans de meilleures conditions et les justiciables seront mis en confiance par cette rationalité. L'on assistera alors à l'éclosion d'une véritable Justice rendue dans des conditions sereines, admise et reconnue par tous.