Ils réservent aux professionnels des espaces de débat y compris en interne. Des structures discrètes, ouvertes à tous et sans but politique apparent mais qui visent le recrutement. Face au poids des notables, elles ne sont pas toujours pleinement exploitées. Casablanca, le 14 février. Dix jours avant la signature du plan anti-crise, l'Alliance des économistes du parti de l'Istiqlal monte au créneau. Alors que le gouvernement s'apprête à parler remboursement de charges sociales et facilitation de l'accès au crédit, l'alliance propose d'opter pour des prêts directs aux entreprises exportatrices en difficulté, en échange du respect d'une série de conditions dont le non recours aux licenciements. Présidée par Adil Douiri, ex-ministre du tourisme et l'un des prétendants les plus sérieux au portefeuille des Finances en octobre 2007, l'alliance n'en est pas à sa première sortie médiatique : en décembre, elle avait pris position à propos de la Loi de finances 2009, en mars, elle avait récidivé, cette fois au sujet de Royal Air Maroc. Bilan de ces sorties : rien de révolutionnaire jusqu'à présent, le principal acquis se limitant au travail de sensibilisation mené auprès des parlementaires de l'Istiqlal, mis à part le fait que, l'air de rien, la structure a déjà commencé à atteindre quelques-uns de ses objectifs : faire parler d'elle, et par ricochet du parti dont elle est issue. Bien plus, ses propositions ont été évoquées par les supports médiatiques qui s'adressent justement à son cœur de cible : les cadres. Associée au bouche à oreille, cette politique de communication n'a pas tardé à faire son effet : dix mois après sa création officielle par une centaine de cadres, en juillet 2008, la structure a réussi à en attirer plus de cinquante autres. Un afflux limité mais significatif quand l'on sait que de ces profils, aussi bien dans le secteur public que privé, s'aventurent rarement en politique. En effet, si l'association se présente comme une plateforme de réflexion dans le domaine économique, destinée à «enrichir la stratégie économique du Maroc», elle a avant tout pour but d'encourager des profils pointus à intégrer les rangs de l'Istiqlal. «Nous sommes un groupe de membres du parti qui recrutent des cadres de haut niveau», explique sans complexe Adil Douiri, qui souligne que la structure n'est d'ailleurs pas la première en son genre au sein du parti de la balance. «L'Istiqlal dispose de plusieurs alliances, qui sont des organisations de professionnels destinées à faire adhérer des gens au parti, les encadrer, déterminer leurs préoccupations. Les alliances varient selon le profil de leurs membres : il en existe pour les pharmaciens, les médecins, les avocats. La nôtre est dédiée aux économistes et les cadres intéressés par l'économie et les problèmes économiques. Son but est donc par définition de recruter comme toutes les alliances mais aussi de proposer, amender, enrichir et débattre de la stratégie économique du Maroc», résume-t-il. Autant de missions que l'association accomplit avec la bénédiction des dirigeants du parti de Abbas El Fassi. «Lorsque le secrétaire général du parti et Premier ministre est venu donner le coup d'envoi de l'alliance à Casablanca, en juillet 2008, il avait déclaré : "J'attends de vous que vous soyez non seulement des concepteurs de programmes, d'idées, etc. J'attends aussi que certains d'entre vous s'engagent dans les élections et présentent des candidatures au nom du parti pour améliorer la gestion de nos villes et de nos collectivités locales"», rapporte M. Douiri. Désormais, souligne-t-il, certains membres de l'association prévoient de se présenter aux élections professionnelles, et de là – pourquoi pas ? – à la Chambre des conseillers. Une course aux spécialistes qui dure depuis trente ans Une chose est sûre, l'Istiqlal semble bien conscient du parti qu'il peut tirer de telles structures, qu'il avait commencé à mettre en place dès les années 80. Plus proche de nous, il y a deux ans, encouragé par l'Association 2007 Daba, l'Istiqlal avait fait appel à des représentants des élites économiques du pays pour la rédaction de son programme. Le parti avait également mis en avant ses jeunes ministres, dont la performance au gouvernement avait fait oublier le caractère récent de leur étiquette partisane. Cette politique avait joué un rôle non négligeable dans sa victoire électorale. Toutefois, le parti de Abbas El Fassi n'est pas la seule formation à viser les spécialistes : Le Mouvement populaire s'est doté depuis décembre 2006 d'un Réseau de cadres, fort de quelque 500 membres, présidé par M'hammed Mourabit, également membre du bureau politique. Désormais, la Haraka projette d'organiser ses professionnels en collèges de métiers (professeurs, médecins, enseignants, ingénieurs, etc.), et mettre en place un comité d'experts, vers lesquels les responsables du parti, parlementaires ou autres, pourront se tourner pour obtenir des avis informés dans différents domaines. Même scénario pour le PJD : n'ayant hérité du MPDC que d'une Chabiba affaiblie, le parti s'active depuis quatre ans à mettre en place des structures à l'intention des professionnels. Après avoir créé une structure destinée à ses élus communaux, le parti projette de mettre en place des cadres d'action pour ses professionnels, dont le nombre s'élève à un millier environ. «Nous avons lancé depuis quelques années la mise en place de ce qu'on appelle les organisations sectorielles. En juillet, c'était le cas des avocats. Aujourd'hui, nous préparons celles des ingénieurs, des pharmaciens et des médecins», explique Abdelaziz Rebbah, qui, déchargé de la Chabiba du PJD depuis peu, devrait prendre en main le dossier, passées les élections du 12 juin. Nouvellement arrivé sur scène, le PAM ne devrait pas être en reste, même si la formule reste à déterminer. Même chose pour le RNI, qui, en restructuration et préparatifs électoraux, n'a pas encore eu le temps de développer ces instances. Des plateformes de débat ouvertes aux réticents à la politique Ligues, alliances professionnelles, réseaux, forums ou simples coordinations, malgré quelques variations au niveau de l'appellation, de telles structures sont monnaie courante chez les principales formations politiques. Certaines sont des organisations tout à fait indépendantes des partis, et disposent de leurs propres statuts, locaux, membres, etc. , les liens avec les partis se limitant aux individus. A l'instar de certaines associations ou syndicats, elles peuvent comprendre des militants de plusieurs partis à la fois, et voir leur couleur politique évoluer en fonction des rapports de force en interne. Il existe toutefois une multitude d'autres structures, moins connues. Simples cadres internes destinés à permettre aux militants de se regrouper en fonction de leurs profils respectifs, ces dernières se caractérisent souvent par des effectifs plus réduits que les «chabiba» ou les sections féminines mais se rattrapent sur le plan de la diversité des profils touchés : avocats, enseignants, acteurs économiques, ingénieurs, architectes, médecins, etc. Souvent, leurs travaux consistent en des rencontres et débats entre professionnels. «Les choses s'y passent entre cadres, les rencontres ne sont pas destinées au grand public. C'est pourquoi, en général, les travaux de ce type d'organisations ne sont pas trop médiatisés», explique M. Rebbah. Dans certains cas, elles produisent des documents à usage interne seulement. Quand elles prennent publiquement position sur un thème donné, elles s'écartent tout de même rarement des positions des partis dont elles dépendent. «Toutes nos positions sont coordonnées avec le parti, même si l'alliance est capable d'être plus souple dans ses idées et peut être un laboratoire pour ce dernier», explique Adil Douiri. A noter que, à l'exception peut-être de l'Alliance des économistes istiqlaliens où l'inscription au parti se fait de manière automatique, dans la plupart des cas les professionnels peuvent participer aux travaux sans être obligés d'intégrer les partis, même s'ils y sont fortement encouragés. «Cela ouvre la voie à un futur recrutement. Lorsque les professionnels viennent participer à une rencontre qui les concerne de près, cela constitue pour eux un premier contact avec le parti», explique M'hammed Grine, membre du bureau politique du PPS. «Les gens ont peur de la politique, mais quand on leur propose d'intégrer un secteur d'ingénieurs pour débattre de thèmes comme Tanger Med ou le projet Bouregreg, ils s'y retrouvent beaucoup plus facilement», explique Charafat Afailal, coordinatrice nationale du Forum de l'ingénieur de la modernité et du progrès. Pas encore suffisamment structurées pour faire du lobbying Pour les concernés, intégrer ces structures n'est pas non plus sans avantages, notamment lorsque les partis recherchent des profils bien précis pour garnir leurs cabinets. Pour ceux qui n'ont pas besoin de la politique pour améliorer leurs perspectives professionnelles, ou qui n'ont tout simplement pas de temps à consacrer à la politique, elles leur permettent surtout de contribuer au débat dans leurs domaines d'intérêt, d'influencer les propositions des partis. Toutefois, très rares sont ceux qui sont allés jusqu'au lobbying en faveur d'une idée donnée, à l'instar de l'association des sociétés de Bourse (APSB). «Ils ont fait pratiquement le tour de tous les partis représentés au Parlement pour leur montrer l'utilité de la Bourse et la nécessité de sauvegarder ses intérêts surtout en termes de fiscalité», explique M. Grine. Au passage, ils feront remarquer aux partis que la fiscalité en vigueur décourageait les investisseurs sur le long terme en les mettant sur un pied d'égalité avec les boursicoteurs. A l'heure où une entrée massive de cadres dans les partis se présente comme la clé vers une évolution des discours et des programmes qui raviverait l'intérêt général pour la politique, les partis profitent-ils pleinement de ces structures ? Si, dans le cas de l'Istiqlal, la présence de ces dernières, associées aux bases traditionnelles du parti, lui permet de récolter des voix aussi bien auprès des élites que des masses, ce n'est pas forcément le cas ailleurs. Au PPS, le poids des cadres est indéniablement supérieur à la moyenne – près de 500 personnes figureraient dans son seul forum des ingénieurs – mais l'impact est réduit par le fait que le parti reste élitiste. Pendant ce temps, dans une formation comme le Mouvement populaire, où tout se fait grâce à la capacité de mobilisation des notables, l'influence des cadres est limitée par la méfiance des autres militants à leur égard, au point que leur réseau a dû être doté d'un statut de simple commission du bureau politique pour éviter d'être considéré comme un parti parallèle. Décidément, les notables ont encore de beaux jours devant eux, le désintérêt pour les urnes aussi.