Depuis 1994, les blocages s'accumulent, aucun sommet des chefs d'Etat ne s'est tenu. En cause : non seulement le problème du Sahara, mais également les crispations politiques bilatérales entre les pays. Les acteurs associatifs estiment que l'intégration économique peut forcer la main au politique. Le 17 février 2009. Vingt ans après la signature du traité de Marrakech, qui avait donné naissance à l'Union du Maghreb arabe (UMA), le bilan de l'organisation est indéniablement morose. «Cela fait vingt ans que nous ne partageons que les problèmes, vingt ans que nous ne faisons que du surplace» constate amèrement Larbi Messari, ex-diplomate et ex-ministre de la communication. «Je pense qu'aujourd'hui il faut être extrêmement modeste, et faire un constat à froid : l'UMA est une structure budgétivore, mais à part les rencontres entre officiels, il n'y a rien de bien concret», lance de son côté Karim Mahmoudi, président de la Confédération algérienne des cadres de la finance et de la comptabilité (CCFC), en visite au Maroc, ces derniers jours. Ce ne sont pas les échanges économiques qui les contrediront : de nos jours, le commerce intermaghrébin représente moins de 2 % du commerce extérieur des pays de l'UMA, alors que l'Union européenne concentre 70% de leurs échanges. A l'origine du blocage, plusieurs crises politiques, quelques désaccords frontaliers, mais surtout un obstacle de taille : la fermeture des frontières entre le Maroc et l'Algérie, depuis bientôt 14 ans. Mohammed VI a pourtant appelé plus d'une fois à une réouverture des frontières entre les deux pays, l'idée implicite étant que la question du Sahara, indirectement à l'origine du blocage, soit traitée à part, de manière à ne pas bloquer l'intégration économique maghrébine. En face, le pouvoir algérien a préféré camper sur ses positions. Désormais, la paralysie de l'UMA inquiète : à l'heure où leur principal partenaire commercial, l'Europe, est touché par la crise économique, les pays du Maghreb sont ainsi privés d'un marché consistant et proche. Bien plus grave, après le politique et l'économique, le non-Maghreb commence à déteindre sur les opinions publiques. Les populations maghrébines qui, hier, étaient solidaires au point que l'assassinat du syndicaliste tunisien Ferhat Hachad avait entraîné des manifestations à Casablanca en 1952, ou que lors des émeutes de 1988, la foule avait mis le feu au bureau du Front Polisario à Alger, considéré comme un pantin du pouvoir, de nos jours, elles se méfient les unes des autres. Des blocages politiques et… psychologiques ? «Aujourd'hui, il existe bel et bien une ouverture entre le Maroc et la Tunisie. Pourquoi les échanges ne se développent-ils pas suffisamment ? Parce que les populations ne sont pas suffisamment sensibilisées à la question», prévient Abdelali Benamour, président du Collectif Sahara Maghreb. «Il existe des blocages psychologiques, pas uniquement entre le Maroc et l'Algérie où ils ont des origines historiques, mais également avec la Tunisie. On a le sentiment que les sociétés des trois pays se concurrencent mais pas par des moyens positifs : elles achètent le moins possible les unes chez les autres, se fréquentent le moins possible, et essayent tout simplement de tirer la couverture à soi, chaque fois qu'elles sont en mesure de le faire», explique-t-il. A la direction de l'UMA toutefois, l'on estime que beaucoup de choses se font, mais que l'on n'en parle pas assez. «En 2008 par exemple, 94 réunions ont été organisées dans les capitales maghrébines, que ce soit au niveau du secrétariat général, au niveau ministériel, ou entre techniciens. S'il n'y avait pas eu de volonté politique, elles n'auraient pas été aussi nombreuses, et ne concerneraient pas des secteurs aussi divers», assure Habib Ben Yahia, secrétaire général de l'UMA depuis le 1er février 2006 (voir entretien en page 54). Ainsi, si le Conseil présidentiel de l'UMA, qui réunit les cinq chefs d'Etat du Maghreb, ne s'est plus réuni depuis 1994, les commissions et autres organes de l'UMA se réunissent régulièrement, l'Union maghrébine des agriculteurs a été réactivée, et il a même été procédé à la création de l'Union maghrébine des employeurs (UME). Enfin, la Banque maghrébine de l'investissement et du commerce extérieur, annoncée en 1991, devrait ouvrir ses portes dès cette année. Les choses avancent donc : il suffit d'être patient. En tout cas, assure M. Ben Yahia, ce n'est pas le problème du Sahara qui devrait empêcher le Maghreb de se construire, d'autant plus qu'il existait déjà au moment de la signature du traité de Marrakech, le 17 février 1989… Pendant 5 ans, beaucoup de réalisations ont été faites Certes, mais, «à l'époque, les conditions étaient propices» se souvient Larbi Messari. L'arrivée au pouvoir du président Chadli Bendjedid avait entraîné un réchauffement des relations entre le Maroc et le voisin algérien. «Nous revenions de loin, car à l'époque, au lendemain des émeutes de 1988, où le peuple s'était soulevé contre le parti unique, Chadli Bendjedid avait commencé à travailler à l'instauration de la démocratie. Il souhaitait la suppression du système du parti unique, par conséquent, il y avait un horizon rationaliste. Les dirigeants du Maghreb arabe réfléchissaient à la manière de construire quelque chose de solide». L'UMA verra officiellement le jour l'année suivante, avec la co-signature par le Roi Hassan II et les présidents Chadli Bendjedid (Algérie), Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie), Mouammar Kadhafi (Libye), et Mouaouya Ould Sidi Ahmed Taya (Mauritanie) du traité de Marrakech. Les cinq pays se montrent ambitieux, ils entendent faire du Maghreb une force régionale. La nouvelle structure est dotée d'un conseil de la présidence composé des chefs d'Etat des pays membres. Sa présidence, elle, est tournante. A partir de 1992, le secrétariat général sera fixé à Rabat tandis que le Conseil consultatif de l'UMA, sorte de Parlement régional, est installé à Alger, la Banque maghrébine à Tunis, l'instance judiciaire à Nouakchott, et l'université et l'académie maghrébines à Tripoli. Un conseil des ministres des affaires étrangères et quatre commissions ministérielles spécialisées chargées de la sécurité alimentaire, de l'économie et des finances, de l'infrastructure et des ressources humaines sont également mis en place. La structure se développe très vite : entre 1990 et 1994, le Conseil de la présidence se réunira à six reprises, une trentaine de conventions, accords, chartes et protocoles sont également élaborés. Des problèmes commencent toutefois à apparaître. L'attentat de Lockerbie(*) entraînera une série de sanctions contre la Libye de 1992 à 2003. En Algérie, le coup d'Etat du 10 janvier 1992 entraîne la chute de Chadli Bendjedid. Et quelques mois plus tard, son successeur, Mohamed Boudiaf est assassiné. A partir de 1994, la présidence de l'UMA cesse de changer de mains lorsque la Libye la refuse. D'autres tentatives de réunir le conseil auront lieu en 2002, en 2003, puis en 2005 sans succès, même si la Libye finit par accepter de prendre la présidence de l'UMA à partir de 2003. L'alternative : construire le Maghreb par le bas ? Entre-temps, les Etats membres de l'UMA passent des accords avec d'autres entités comme l'UE, ou intègrent de nouvelles organisations régionales, comme la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN SAD, 1998), le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD, 2001) ou encore l'Union pour la Méditerranée (UPM, 2008). Aujourd'hui, l'UMA a-t-elle toujours une raison d'être ? De part et d'autre, l'on répond qu'elle est plutôt inévitable, dans la mesure où les pays ont des frontières et des cultures communes. Selon M. Benamour toutefois, ce rapprochement n'est plus aussi urgent que par le passé. «Aujourd'hui, dans un certain sens, la mondialisation atténue l'impact psychologique de la constitution de régions», explique-t-il. «Avec des accords de libre-échange qui se font tous azimuts, l'espace privilégié qu'était le Maghreb recule un peu dans les esprits. On se dit : nous n'exportons pas vers la Tunisie ou l'Algérie, mais nous pouvons exporter vers la France ou les USA. Ce raisonnement peut toutefois être erroné, car un espace privilégié tel que le Maghreb peut être bénéfique pour ses composantes», notamment en période de crise». M. Benamour se dit tout de même optimiste : «Parfois, il suffit de peu de choses, des élections ou l'arrivée d'un nouveau dirigeant au pouvoir, pour ouvrir de nouvelles perspectives entre le Maroc et l'Algérie, car la dislocation des rapports entre les deux pays n'est pas due à la réalité du terrain mais à une décision politique. Or les décisions politiques peuvent changer. Voyez ce qui allait se passer à l'époque du président Boudiaf : s'il n'avait pas été assassiné, peut-être que les choses se seraient arrangées au profit de l'Algérie et du Maroc, et tous les pays du Maghreb». En attendant, des acteurs associatifs et économiques estiment que le Maghreb peut toujours se construire, sur des bases concrètes, à condition de mettre la politique de côté. «L'union par la politique, c'est impossible. Aujourd'hui, ce qu'il y a lieu de faire, c'est d'encourager les échanges culturels, sportifs, les échanges commerciaux», juge Karim Mahmoudi. Après tout, le développement d'intérêts économiques communs entre les pays devrait entraîner, bon gré mal gré, une stabilisation de leurs relations politiques, à l'image de ce qui s'est passé chez nos voisins européens. Reste que l'appui des structures existantes comme l'UMA reste déterminant, à condition, entre autres, que cette dernière subisse les mutations actuellement proposées au Conseil de la présidence: automatiser le transfert de la présidence d'un pays à l'autre, élargir les prérogatives de structures comme le conseil des ministres des affaires étrangères et des commissions ministérielles. Enfin, et pourquoi pas ? Permettre l'élection directe des membres du conseil consultatif de l'UMA au suffrage universel, dans les cinq pays de l'union.