Une réaction tardive, deux sommets inaboutis et un résultat diplomatique quasi nul. Fatah et Hamas partagés entre leurs obédiences divergentes au sein du Moyen-Orient. L'indignation provoquée par la brutalité israélienne pourrait inciter l'Union européenne à se montrer plus entreprenante dans la relance du processus de paix. Quelle mouche a donc piqué le monde arabe ? Réunis lundi 19 janvier à l'occasion du sommet économique de Koweït, les pays arabes avaient retrouvé un semblant d'unité autour de la cause palestinienne. «Réconciliés» in extremis à la suite d'une réunion en marge du sommet avec l'émir du Koweït, Cheikh Hamad Ben Khalifa et le président syrien Bachar al-Assad, le Roi Abdallah d'Arabie Saoudite et le président égyptien Hosni Moubarak s'étaient même offert, dès le premier jour du sommet, le luxe d'envoyer des piques à ceux qui «auraient cherché à profiter des divisions interarabes pour réaliser leurs desseins régionaux», notamment l'Iran. Dans la foulée, tandis que le souverain saoudien appelait les Palestiniens à dépasser leurs divisions internes, les Etats les plus riches sortaient déjà leurs portefeuilles pour contribuer à la reconstruction des infrastructures de la Bande de Gaza. Vingt-quatre heures plus tard toutefois, cette belle unité n'était plus qu'un lointain souvenir au moment de rédiger un communiqué conjoint sur la question. Les pays se sont séparés sans même annoncer la création du fonds destiné à fournir à Gaza les deux milliards de dollars nécessaires à sa reconstruction, dont il avait pourtant été question dans les débats. Les «durs» et les «modérés» Un échec prévisible ? Le 16 janvier, à Doha, une dizaine de pays dont la Syrie, le Qatar mais aussi l'Iran, tenaient une rencontre concurrente autour de la question palestinienne. L'événement, qui n'avait pas atteint le quorum nécessaire pour être présenté comme un sommet extraordinaire des Etats arabes, a été marqué par de nombreuses absences, notamment celles de l'Arabie Saoudite et de l'Egypte, deux acteurs incontournables de la problématique palestinienne. Le président du Yémen, Ali Abdullah Saleh, et surtout le premier concerné dans cette affaire, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, auraient même, selon plusieurs médias, fait l'objet de pressions pour ne pas s'y rendre. Une absence qui a permis au numéro 1 du Hamas, Khaled Mechaâl, d'y représenter les Palestiniens en lieu et place de M. Abbas. Ainsi, depuis le début de la crise, les pays arabes sont restés divisés en deux groupes : les «durs» et les «modérés». Le premier, représenté à Doha, comprenant le Qatar et la Syrie, auxquels s'est greffé l'Iran, s'est vu accuser de chercher à surfer sur la colère de la rue arabe pour renforcer leurs régimes ou s'imposer en tant qu'acteurs incontournables dans la région. En face, le deuxième groupe, qui compte dans ses rangs l'Egypte et l'Arabie Saoudite s'est vu reprocher au mieux de refuser de soutenir le Hamas de peur de renforcer ses propres opposants islamistes, au pire, d'avoir une proximité suspecte avec les intérêts américains. Face à ces divisions, l'on comprend mieux le choix du Roi Mohammed VI de ne se rendre à aucune des deux rencontres et le ton diplomatiquement très dur du communiqué du Cabinet royal du 14 janvier. Pour ne pas être taxé de pratiquer la politique de la chaise vide, le Maroc a pris le soin d'être dûment représenté aux deux sommets. Par le ministre des affaires étrangères Taïeb Fassi Fihri, à la première rencontre, et par une délégation ministérielle dirigée par le Premier ministre Abbas El Fassi, à la seconde. La division arabe accentuera-t-elle les tensions existantes entre Palestiniens ? Passés les premiers jours de l'offensive israélienne, Fatah et Hamas avaient semblé connaître un début de réconciliation. Le 19 janvier, Mahmoud Abbas appelait Ismaïl Hanyeh, premier ministre élu, à lui prêter main-forte pour la formation d'un gouvernement d'unité nationale, qui aura, entre autres, pour mission d'organiser les prochaines élections législatives et présidentielle des Territoires. Au vu de la situation dans la Bande de Gaza au lendemain de l'opération «Plomb durci», les deux mouvements n'ont pas d'autre choix que de se serrer les coudes. Pendant 22 jours, les attaques aériennes, maritimes puis terrestres de l'armée israélienne sur un territoire connu pour être l'un des plus densément peuplés du monde, et aux frontières particulièrement étanches, ont fait quelque 1 300 morts, plus de 5 000 blessées, et 90 000 sans-abri, sur un total de 1,5 million d'habitants. Sur le plan matériel, les destructions ont visé la colonne vertébrale du gouvernement palestinien. Le Parlement, les ministères, des bâtiments et bureaux gouvernementaux, des commissariats ou des mosquées par dizaines, sans oublier l'université et quelque 25 000 domiciles partiellement ou totalement détruites. Les calculs d'Olmert Sur le plan politique, l'autorité de Mahmoud Abbas, déjà affaiblie depuis la montée en force du Hamas en 2006, en est ressortie fortement ébranlée. Hamas, lui, a aussi été sévèrement secoué, s'étant vu, à l'instar du Fatah, privé de l'avantage politique d'un accord sur un cessez-le-feu, négocié avec Israël, ce dernier ayant arrêté unilatéralement les hostilités. Sur le plan intérieur toutefois, Hamas tire parti du fait qu'il ait survécu aux attaques, à l'image du Hezbollah libanais en 2006. Sur le terrain, le déploiement de ses hommes, officiellement destiné à assurer l'ordre dans la Bande de Gaza, a surtout pour but de montrer qu'il est toujours le maître à bord. Côté israélien également, l'heure des bilans est de mise. Officiellement, l'opération «Plomb durci» avait pour objectif de mettre fin aux tirs de roquettes palestiniens sur ses territoires. Selon des responsables israéliens, l'usage, par les militants du Hamas, d'armes iraniennes, leur permettait de menacer près d'un million d'Israéliens (dans les faits, 18 ont été tués par des roquettes depuis 2001). Sur le plan politique, en fait, les officiels ne cachaient pas qu'ils avaient pour objectif d'élargir la fracture Hamas-Fatah et affaiblir le mouvement islamiste en dressant les civils palestiniens contre lui. Toutefois, les autorités israéliennes ne souhaitaient pas aller jusqu'à réoccuper la Bande de Gaza une fois renversé le Hamas. Elles savaient aussi pertinemment que toute autorité qui reprendrait la gestion de la zone après une telle attaque, qu'elle soit palestinienne, égyptienne, ou autre, risquait de se voir taxée de complicité avec Israël. En interne, l'opération -on le savait avant même le déclenchement des hostilités- avait des objectifs électoraux. En organisant cette attaque à quelques semaines des élections législatives israéliennes, Ehoud Olmert a cherché à restaurer le «sentiment d'invincibilité» des Israéliens qui avaient mal vécu l'échec – médiatique – de leur pays lors de ses attaques contre le Hezbollah libanais, en 2006. Le timing était d'autant plus approprié que l'attaque a été menée entre la fin du mandat du président des Etats-Unis, George W. Bush et l'investiture de son successeur, Barak Obama. Le seul pays qui aurait pu intimer l'ordre à Israël d'arrêter ses attaques était en période de transition de gouvernance ! Toutefois, il n'est pas sûr que le gouvernement Olmert s'en sorte indemne de l'attaque contre Gaza. S'étant rendu sur place, mardi 20 janvier, pour inspecter les ruines de l'entrepôt de nourriture de l'ONU, le Secrétaire général de l'ONU, Ban-Ki Moon a qualifié les bombardements de «scandaleux et totalement inacceptables», et même réclamé une enquête approfondie sur l'incident. Par ailleurs, plusieurs acteurs politiques et organisations à travers le monde ont annoncé leur intention de déposer des plaintes pour crime de guerre à l'encontre d'Israël. Une éventualité face à laquelle le gouvernement Olmert a commencé à se préparer, avec un cynisme qui laisse pantois. Le 6 janvier, lors d'une réunion du Conseil de sécurité sur la situation en Palestine, l'ambassadrice israélienne, Gabriela Shalev, a déclaré : «Les Forces de défense israéliennes ont lâché des dizaines de milliers de tracts et ont fait des appels téléphoniques à des milliers de civils palestiniens en les exhortant à quitter les zones d'opérations terroristes pour ne pas risquer d'être blessés». Et pour ceux qui ne seraient pas convaincus, le quotidien Haaretz rapporte que le gouvernement Olmert a confié la coordination des efforts de relations publiques contre les accusations de crimes de guerre à son ministre des affaires sociales… parallèlement chargé de la coordination de l'aide humanitaire à Gaza. La fin de l'isolement pour Hamas ? En Europe, la gravité de l'attaque semble avoir déclenché une réaction plus forte que de coutume, y compris chez la diaspora juive. Le changement viendra-t-il de l'Union européenne, qui octroie la plus grande aide financière à la Palestine mais n'arrive pas à imposer sa voix en vue de l'établissement de la paix ? Après l'appel de la Turquie à revoir la politique européenne vis-à-vis du Hamas, c'est au tour de la diplomatie française d'amorcer un début d'assouplissement vis-à-vis du mouvement : Paris annonce qu'elle ne rechignerait pas à négocier avec un gouvernement de coalition comprenant des ministres du mouvement. Une ouverture plus que bienvenue pour le Hamas, qu'Israël entend déjà faire exclure de la dynamique de reconstruction pour l'empêcher d'en tirer un quelconque bénéfice. L'arrivée d'un nouveau président des Etats-Unis pourrait également annoncer un changement, d'autant plus que l'on parle de contacts, secrets ou «à petite échelle», entre ce pays et Hamas. La mobilisation des Occidentaux et les réactions internationales observées à la suite des abominations commises pas Israël feront-elles entrer la problématique des Territoires palestiniens dans un cycle plus vertueux ? Dans une conjoncture aussi potentiellement favorable à l'instauration de la paix, le monde arabe paraît plus divisé que jamais…