Comment les influenceurs marocains sont-ils classifiés ? Quelles sont leurs sources de revenus et quelles plateformes utilisent-ils ? Eléments de réponses avec Mustapha El Fekkak qui revient sur les dessous d'un secteur très lucratif, mais où la fraude fiscale et la médiocrité semblent dominer. L'Etat devrait y mettre un peu d'ordre. La Vie éco : La Direction générale des impôts a renforcé son dispositif anti-fraude fiscale à l'encontre des influenceurs. Le Fisc en a mis du temps pour commencer à les traquer ? Mustapha El Fekkak : Un créateur de contenu doit payer ses impôts. C'est un devoir citoyen. Il doit se conformer à la loi comme tout citoyen marocain, d'autant plus que le manque à gagner pour le Fisc est très important. Je pense que les autorités marocaines disposent de tous les mécanismes pour surveiller, contrôler et avoir une idée précise des revenus de chaque influenceur. Ce dernier se fait payer soit par la plateforme soit par l'annonceur. Dans les deux cas, les transactions sont effectuées de manière légale à travers des bons de commande, des factures, des virements bancaires... Les annonceurs n'ont pas intérêt à payer les créateurs de contenu en noir. Maintenant, le hic se situe au niveau du taux d'imposition. Les créateurs de contenu utile ne génèrent pas autant de revenus et de bénéfices que les influenceurs qui partagent leur quotidien. Ces derniers ne disposent parfois que d'un téléphone, publient énormément de vidéos et font occasionnellement des recettes colossales. En revanche, la première catégorie d'influenceurs fournit énormément d'efforts pour des revenus modestes. La Direction des impôts et le gouvernement doivent, à mon avis, se pencher sur cette problématique afin de garantir une certaine équité fiscale. L'Etat peut aussi actionner des leviers pour rehausser le niveau du contenu utile à travers des incitations fiscales. Peut-on parler d'une véritable industrie de création de contenu au Maroc ? Une industrie autour des influenceurs et des créateurs de contenu digital n'existe pas encore au Maroc, car tout dépend du financement. Les créateurs commencent par zéro budget et financent eux-mêmes leurs vidéos. Ils investissent en temps, en argent et en effort intellectuel. Ils sont livrés à eux-mêmes. Nous sommes loin d'une industrie, comme ce qui se fait au Moyen-Orient et en Europe, où des entreprises spécialisées apportent des solutions complètes aux influenceurs, ainsi que des projets intéressants et du financement. Au Maroc, c'est un secteur qui n'est pas structuré et ne dispose pas de visibilité. Ceci dit, il y a eu une nette amélioration au Maroc en termes de contenu de qualité et de production. Quels types d'influenceurs existent au Maroc ? Je peux dire qu'il existe deux types d'influenceurs. Il y a celui qui cherche à apporter une valeur ajoutée en termes de contenu utile pour bénéficier notamment d'une bonne image de marque qui lui permettra de dénicher des collaborations avec des annonceurs. Il prépare son contenu en respectant plusieurs étapes dont la plus importante est le script. Il consent énormément d'efforts en temps et en financement. Ce type de créateurs de contenu commence à se développer au Maroc et c'est tant mieux. L'autre type d'influenceurs, qui est le plus prépondérant, est celui qui n'est attiré que par le revenu financier, peu importe le type de contenu qu'il propose. Ces influenceurs partagent tout et rien sur leur vie personnelle, tout le temps, toute la journée. Ils publient des réactions sur les événements de leur quotidien de manière spontanée et répétitive. L'objectif est de produire une quantité considérable de contenus qui leur générera une bonne manne financière. Je n'ai rien contre ce type d'influenceurs, ils ont le droit d'exister aussi, mais partagent-ils de bons messages, de bonnes valeurs ? Je me pose la question. Quelles sont les plateformes les plus prisées par les influenceurs marocains ? Les plateformes diffèrent en fonction de l'audience et du contenu. Les créateurs de contenu lié à des réactions sur fond de musique et ciblant les jeunes sont sur TikTok. Ceux qui produisent des documentaires et un contenu sur des sujets bien précis nécessitant des recherches recourent à Youtube. On trouve aussi sur cette plateforme ceux qui racontent leur vie au quotidien comme les chaînes de Routini Lyawmi. Chez Facebook, le contenu est varié avec une prééminence pour les vidéos traitant des problématiques sociales et réalisées de manière basique. En revanche, sur Instagram, le contenu est beaucoup plus artistique et traite moins de sujets sociaux. Comment fonctionne chaque plateforme en termes de rémunération ? Pour la rémunération, vous pourrez vous demander pourquoi les créateurs de contenu Routini Lyawmi ne sont présents que sur Youtube. La plateforme paie mieux que Facebook, et les conditions de paiement sont plus simples. Sur Youtube, tu génères un revenu de manière directe grâce aux vues et aux publicités sur les vidéos. Ils ont aussi ajouté une option appelée «Merci», grâce à laquelle tu peux recevoir des dons. Plus tu diffuses de vidéos, plus tu cumules de nombre de vues, et plus tu génères des publicités de manière automatique sur tes vidéos. C'est un modèle simple basé simplement sur la quantité. Les revenus peuvent atteindre 50 000 DH, 100 000 DH ou même plus, par mois. Certains influenceurs gagnent un argent fou grâce à cette méthode. En revanche, une personne qui publie des vidéos qui nécessitent beaucoup de travail et d'effort avec un script et un contenu plus intéressant, n'est pas bien payée. Elle doit chercher des entreprises et des annonceurs pour sponsoriser ses vidéos. C'est le même procédé qu'on retrouve sur Instagram qui ne permet pas encore au Maroc de générer des revenus directs. L'influenceur promeut un annonceur dans ses stories, réels et posts moyennant un tarif négocié. Sur Facebook, les deux options sont proposées, le paiement par l'annonceur et par Facebook en fonction du nombre de vues. Donc, nous avons deux types de revenus, soit ceux générés de manière directe par la plateforme, à savoir Youtube et Facebook qui sont concurrentes, soit par négociation avec des annonceurs. Cette configuration de rémunération proposée notamment par Youtube pousse ainsi certains pseudo-influenceurs à opter pour la facilité en produisant un contenu en grand nombre, qui tend souvent vers la médiocrité mais qui est très lucratif... Je tiens à préciser que je ne suis pas pour ou contre ce type de contenus, car je suis contre la censure. Vous savez, les gens cherchent le divertissement, le problème c'est la quasi-absence d'un contenu utile où il y a un effort artistique. Je peux comprendre les gens qui trouvent des sujets traitant de l'histoire, par exemple, ennuyants. Tout réside donc dans la manière de présenter ce contenu. Il faut que le contenu qui éduque soit plus attrayant. Mais pour cela, le créateur doit disposer de plus de financement et de soutien. C'est donc tout l'écosystème qui doit jouer le jeu pour élever le niveau intellectuel ? Le contenu diffusé par les Marocains sur les plateformes digitales représente, qu'on le veuille ou pas, une vitrine du Maroc. Qu'il soit utile ou médiocre, que le médiocre soit prépondérant, ce n'est que le résultat de notre système d'éducation et d'enseignement. Ce contenu provient du peuple, de l'école, de la famille... Avons-nous réussi à promouvoir un écosystème qui produit une génération de créateurs dotés d'un certain niveau intellectuel et d'un esprit critique ? Le système d'enseignement au Maroc crée-t-il ce type de profils ? Je me pose la question. Pour changer la donne et promouvoir un contenu utile, il faut une volonté politique.