Voilà un an à peu près que l'activité commerciale, toutes branches confondues, a été autorisée à reprendre, après une période jugée encore néfaste par la majorité des commerçants, d'un confinement sanitaire imposé par la pandémie... A Derb Omar, tout semble aller pour le mieux. L'activité reprend de plus belle et tout paraît normal... Mais, en réalité, c'est encore loin d'être le cas. Vu de l'intérieur, le mythique espace commercial casablancais souffre encore de l'impact de la crise sanitaire... Partant de la rue Houmane El Fatouaki, rue d'habitude pullulant de marchands, de badauds, de clients raclant les façades des magasins qui exposent leurs marchandises à même la rue, on est d'emblée frappé par l'aspect presque désertique de cette fameuse rue! Certes, désertique, c'est un peu trop dire, mais lorsqu'on compare avec l'avant-Covid, le mot est approprié. Bien entendu, la reprise a redonné vie à tout l'espace, mais c'est une reprise que beaucoup vivent encore dans la douleur et la pression. Ça commence relativement à bouger et ça avance mais pas vraiment dans le bon sens, s'accordent aujourd'hui à affirmer presque tous les commerçants. Il suffit de voir le nombre de magasins ouverts aujourd'hui, sur une même allée et sans être un as en calcul, pour remarquer que presque deux magasins sur cinq sont encore fermés. Dans d'autres endroits, il y en a plus, notamment pour certains commerces qui ont élu domicile dans certaines ruelles du grand quartier. Un panorama désolant et frustrant qu'alourdissent davantage des affichettes collées ici et là pour rappeler l'obligation de se conformer aux consignes de sécurité mais «que personne ne respecte», relève amèrement un des rares commerçants d'une ruelle, et qui a opté pour l'ouverture et la reprise de l'activité, en dépit de la situation. Là où ça commence relativement à «rouler», bien que «ce n'est pas encore à un rythme encourageant», déplore Aziz Bounou, président de l'association Union des commerçants et professionnels de Derb Omar. Et d'expliquer qu'après la période de fermeture, il a été difficile à beaucoup de reprendre. «Certains sont revenus, au lendemain de l'annonce de réouverture, mais d'autres pas. Ils ont tous ou presque quitté la ville et ils sont restés bloqués là où ils sont allés. Certains n'ont même pas pu se payer les frais du retour». Faute d'affluence d'une clientèle qui donnait tout son sens à l'activité, certains magasins, ouverts «profitent de la situation pour réaménager leurs locaux ou y effectuer quelques travaux», souligne encore le président. Kissariat, un espace qui perd son privilège A la Kissariat, ouverte dans un premier temps à moitié, «toutes les mesures ont été prises pour assurer à une clientèle, toujours absente à l'appel, les meilleures conditions, notamment une signalisation du circuit à suivre, des dispositifs de stérilisation à l'entrée et dans chaque magasin et la diminution du nombre de clients pouvant accéder au magasin, à seulement deux et avec bavette», note un commerçant, ravagé par le comportement de certains clients qui font fi des mesures sanitaires «pensant qu'on en a fini avec la pandémie», fait-il aussi savoir... Même les magasins ouverts ne présentent pas de marchandises alléchantes. «Alors que nous sommes à l'orée de l'été, nous présentons encore des articles d'hiver», explique pour sa part le gérant d'un magasin de prêt-à-porter. «Le problème émane du fait que bon nombre de nos fournisseurs sont encore à l'arrêt ou peinent à reprendre l'activité... Du fait, bien qu'ouverts et apparemment tout baigne pour nous, on est dans un état d'incertitude comme on en a jamais connu», explique-t-il. Plus loin, au sein de la Kissariat, un commerçant relève des difficultés d'un autre genre. En effet, explique-t-il, «c'est la reprise et comme toute reprise, il y a toujours des problèmes qui jaillissent. Il faut dire que la fermeture de près de quatre mois a été pour beaucoup, mais déjà, bien avant, ça ne marchait pas vraiment. L'année 2020 avait très mal débuté. Puis la crise s'est déclenchée et vint la fermeture qui a eu des effets néfastes, empêchant l'ensemble des commerçants de reprendre «normalement»...». A cela s'ajoute le fait qu'un bon nombre de commerçants ne sont pas propriétaires des locaux, d'autres louent même de grands espaces qui leur servent de dépôts, d'où le cumul des loyers impayés, et le manque d'activité aggravent un peu plus les choses. Ailleurs c'est des hauts et des bas «Passée l'étape de prise de contact avec certains fournisseurs et des clients, l'activité commerciale devait passer à une étape plus fructueuse, ce qui ne fut malheureusement pas le cas. Pourtant, et avec le peu de mouvement, nous continuons à espérer que les choses vont s'améliorer car, jusque-là, c'est encore très faible», tient à préciser un vendeur de jouets, commerce qui marchait assez bien avant la crise mais qui risque gros aujourd'hui faute de rupture de stock. Un problème qui ne semble cependant pas effrayer du côté des commerçants de tissus d'ameublement. En effet, ce rayon connaît aujourd'hui l'ouverture de presque tous les magasins. Là, si les commerçants n'ont pas eu à faire face à une rupture de stocks, c'est parce que les marchés ont connu l'arrivée en masse de marchandises qui n'ont pas trouvé preneur. Car, précise un marchand de tissus, «pendant et après la crise, dont les effets sont encore visibles, Derb Omar a été frappé par un vrai séisme économique qui n'a pas permis de vendre tous les produits acquis et stockés auparavant, ce qui fait qu'à la reprise on a eu quelque chose à proposer aux clients. Toutefois, il va falloir rester vigilant quant aux délais de livraison, aujourd'hui encore très perturbés...». C'est dire qu'on optera pour des solutions intermédiaires pour renouveler les stocks. Une possibilité qui s'avère aussi très délicate face à la rude concurrence turque qui reprend de plus belle ou encore la farouche invasion des produits chinois qui influe considérablement sur la qualité et sur les prix... En effet, ce qui aggrave encore plus la crise ce sont ces importations de Chine arrivées via la Mauritanie et mises illégalement sur le marché. Des marchandises passées sans payer les taxes, et créant une concurrence déloyale que ne peuvent supporter les commerçants marocains qui payent les frais de douane au port de Casablanca pour les mêmes produits qu'ils importent. Ceci montre qu'outre la crise sanitaire et bien que récemment, cette concurrence chinoise a relativement commencé à s'atténuer, le vrai problème de Derb Omar est du fait de la crise économique et de la concurrence déloyale d'articles de contrebande non imposés... Plus loin encore, en longeant le boulevard Mohamed Smiha, là où avant la circulation était à longueur de journée quasi impossible, on prend connaissance d'une autre facette des effets de la crise. En effet, les transporteurs et bien que beaucoup de marchands pensent qu'ils ont bien tiré leur épingle du jeu, semblent aussi énormément souffrir. Les livraisons ont considérablement diminué et avec elles le nombre de voyages à effectuer et les délais des chargements-déchargements, ce qui s'est fatalement répercuté sur les prix et donc sur cette activité en général. Là où d'habitude les camions et autres engins de transport de marchandises créent des embouteillages à longueur de journée n'est encore, à des mois de la reprise, qu'un boulevard sans âme, où sont garés quelques camions qu'on décharge, ou d'autres ayant déjà livré et dont les chauffeurs préfèrent une tournée ou un café en ville plutôt que de reprendre la route, faute de sollicitation et de manque de commandes. Aujourd'hui, il y a quand même de l'activité, pas si intense comme à l'accoutumée, mais ça roule relativement bien avec beaucoup moins d'affluence qu'avant. Ce qui alourdit cet air de morosité qui plane sur cet espace jadis grouillant de vie. Ici, la reprise est encore marquée par le doute et l'incertitude qui pèse sur l'économie nationale, aggravée notamment par la mauvaise passe des ménages, la lenteur d'un démarrage probant et l'approche de l'Aïd Al Adha avec ce que cette occasion appelle comme dépenses, ce qui aggrave la réticence des ménages et se répercute sur l'activité commerciale. Une autre facette de la crise Une situation qualifiée de catastrophique par, Abdallah, un vieux porteur, qui estime que «c'est encore très en deçà de l'activité habituelle qui caractérisait Derb Omar. Si on juge, rien que par l'activité des transporteurs, on sent que ça n'a pas encore vraiment démarré. Ces transporteurs qui se font encore rares, faute de fournisseurs qui recourent à leurs services, subissent aussi... Avant, il nous arrivait de décharger jusqu'à 10 ou 15 camions par jour. Aujourd'hui c'est à peine si nous arrivons à en décharger 3 et parfois 4 et qui ne sont même pas aussi chargés qu'avant. Cela se répercute sur notre activité journalière et bien entendu sur nos bourses aussi...». Malgré un revenu journalier dépassant rarement 40 dirhams, Abdallah espère mieux et estime que «même ces commerçants, et ces transporteurs, avec lesquels on travaille quotidiennement, sont dans une situation très délicate avec une activité qui a énormément baissé et même, à un an de la reprise, les choses ne semblent pas s'améliorer, la crise pèse encore et ses effets sont visibles et le sont de plus en plus avec l'approche d'El Aïd...». En somme, Derb Omar, c'est aujourd'hui un espace commercial vivant au rythme d'une reprise qui se fait lentement mais pas sûrement, compte tenu de l'incertitude et de la crainte de l'avenir que personne ne sait ce qu'il peut bien cacher avec une crise sanitaire qui bien que maîtrisée au Maroc, grâce aux mesures sanitaires prises dès son déclenchement, demeure menaçante. Pourtant, beaucoup ont levé les rideaux avec une note d'optimisme. Ils relèvent que Derb Omar est bien à Casablanca, mais que c'est un marché de tous les Marocains et qui approvisionne toutes les régions du Royaume, et avec l'allégement des mesures, et la reprise de la mobilité inter-régions, voire avec l'arrivée des MRE, il y a de fortes chances que les choses s'améliorent et que l'activité reprenne au rythme de la vie normale. Les optimistes s'attendent même à un pic d'activité vers la mi-juillet, à cause de l'Aïd notamment, puis en août pour les vacances et en septembre à cause de la rentrée scolaire. Des occasions qui appellent des dépenses exceptionnelles et que les Marocains ont eu l'habitude de faire sans compter... On reviendra donc sur ces mêmes lieux pour voir quel impact aura eu cette relance.