Mercredi 28 octobre, c'est un poète qui a rejoint le panthéon céleste Ali Haddani est l'auteur des plus belles pages de la chanson marocaine. Dans la triade interprète-compositeur-parolier, souvent ce dernier a le mauvais rôle. Le chanteur est mis en vedette, le metteur en musique ne passe pas inaperçu, quand l'auteur, lui, se trouve outrageusement oublié. Pourtant, les paroliers ne courent pas les studios. Ils se comptent sur les doigts d'une main : Ahmed Taà ̄b El Alj, Hassan Moufti, Abderrafià® Jawahiri, Mohamed Tanjaoui, Fathallah Lamghari. Même en tenant compte des morts, Mohamed Al Khammar Al Kanouni, Mohamed Belhoussein et Mohamed Al Kouach, on n'atteint pas la dizaine. Aussi, la mort de Ali Haddani est-elle infiniment cruelle, tant ce parolier prolixe comblait un grand vide. Avec l'art et la manière. On n'en veut pour preuve que la longévité insolente des chansons qu'il a tressées. Yak a jarhi, Qitar Al Hayat, Kif idir a sidi, Bared ou skhoun, Ya dmouà®i ya ghla ma âandi, semblent traverser le temps sans prendre une ride. En dépit de leur grand âge, elles écument, avec une rare fraà®cheur, les ondes et les cathodes, les fêtes et les lieux de convivialité. Cela tient à l'aimantation des mots qui les composent. Des mots qui font mouche, se logent dans les cÅ"urs, s'incrustent dans l'âme. Des mots sertis par un orfèvre, un véritable poète. D'abord homme de théâtre, puis peintre, et enfin parolier Ali Haddani avait une stature plus large que la vie. Plus large que sa ville natale, Fès, oà1 il est né en 1936, pour la déserter aux premiers émois du cÅ"ur. Le sien ne battait que pour les planches, qu'il arpenta avec passion, sous la baguette de Tayeb Saddiki. Après avoir assouvi son désir de théâtre, Haddani retourna à Fès, oà1 il tâta, pendant un temps, au pinceau. Non sans brillant, assure-t-on. Décidément volage adorateur de mille objets nouveaux, il jeta son dévolu sur la poésie arabo-marocaine. A force de s'y tremper, il ressentit le besoin d'en composer. Dès son entrée en écriture, Ali Haddani déploya un talent ahurissant. Les compositeurs majeurs de l'époque (Abdessalam Amir, Abdelkader Wahbi, Mohamed Ben Abdeslam, Mohamed Kadmiri, Abdelkader Rachdi) s'arrachaient ses paroles ; les vedettes de la chanson (Abdelhadi Belkhayat, Abdelwahab Doukkali, Mohamed Al Hayani, les frères Megri, Naà ̄ma Samih, Majda AbdelwahabÂ...) se ruaient sur ses mots. Mais, malgré son succès, l'homme gardait la tête froide. Il refusait de frayer avec les gens du «milieu», tissait ses mots dans une solitude dont il avait fait sa seule compagne, et s'abà®mait dans une souffrance permanente, devenue sa muse. Quand meurt un poète qu'on affectionne, on se met à imaginer toutes les rimes dont nous serons orphelins. Mais jamais, après Haddani, l'amour ne sera dit avec autant de justesse.