Les militants reprochent à la direction de livrer une guerre par procuration aux autres partis et aux institutions. Le parti vient d'être sévèrement rappelé à l'ordre pour s'être attaqué à la Cour constitutionnelle. Les institutions non encore légalement constituées prennent des décisions très contestées. Quatre mois après son très discutable congrès, le PAM ne semble pas encore remis de ses dissensions. Au contraire, ces différends internes se sont multipliés et les décisions, au demeurant controversées, de sa nouvelle direction ne sont pas moins contestées que celles de l'ancienne. Aujourd'hui, et depuis le 4e congrès, qui s'est tenu début février, le bureau politique ne s'est pas encore entièrement et légalement constitué. Cet organe décisionnel du parti fonctionne seulement avec les membres es qualité et les membres cooptés. La partie élue manque toujours. Bien sûr, pour y siéger, les membres qui font partie de cette dernière catégorie doivent être désignés par le conseil national qui, vu les circonstances actuelles, ne s'est toujours pas réuni. Mais cela n'a pas empêché la direction, le secrétaire général et les membres nommés du bureau politique, de prendre des décisions stratégiques, mais très contestées. Ce qui lui a valu d'ailleurs des procès en justice et des communiqués lapidaires et lettres de protestations tout aussi virulentes. L'emportement, par exemple, de la direction du parti contre la Cour constitutionnelle est pour le moins incompris, tout en étant surprenant, affirme une source du PAM. Ainsi, le parti, plus précisément sa direction, s'est dit, lundi 1er juin, «choqué» du refus, par le secrétaire général de la Cour constitutionnelle, de recevoir son recours contre la loi n° 26.20 portant approbation du décret-loi n° 2.20.320 du 7 avril 2020 relatif au dépassement du plafond des emprunts extérieurs. Pour le PAM, cette démarche «est une violation flagrante de l'article 43 de la loi organique 66.13, relative à la Cour constitutionnelle». Dans le réquisitoire publié par le patron du parti, il a été également question d'«usurpation» des pouvoirs des juges constitutionnels et de «complicité». Ce qui lui a valu une forte remontrance de la part de cette institution. La Cour a, en effet, vite fait de remettre à sa place le secrétaire général impudent du PAM sans le viser directement. «L'utilisation par certains médias des termes inappropriés comme ''l'usurpation'' et ''la complicité'', ainsi que la diffusion des contenus inexacts, constituent un manquement au respect dû à la Cour, et s'inscrivent dans une logique d'acharnement procédural, visant à nuire à la bonne administration de la justice à l'occasion du recours, qui était en cours d'examen», a notamment souligné la juridiction constitutionnelle dans un communiqué publié le 11 juin. La guerre des autres En soulevant les observations précitées, la Cour constitutionnelle «souhaite la non-répétition de ces agissements afin de ne pas nuire à la bonne administration de la justice dans le cadre des recours qui lui sont soumis, et sur lesquels la Cour statue en toute impartialité et probité, contribuant ainsi à garantir la suprématie de la Constitution et à assurer la protection effective des libertés et droits fondamentaux», conclut le document. Cette réaction, pour le moins inédite, de l'institution, a donné raison à tous ceux qui pensent, au sein du parti, que la direction «sous-traite» certaines positions pour d'autres. «Nous regrettons beaucoup de voir notre parti se transformer, via son portail d'information, en une plateforme pour mener les guerres des autres par procuration», se désole Mohamed Aboudrar, député et ancien chef du groupe parlementaire du parti. Dans le même ordre d'idées, Ahmed El Amraoui, également membre du conseil national et président du forum de la pêche maritime, reproche, lui, ouvertement à la direction du parti de l'avoir transformé en une «annexe du PJD» qui «est en train de mener une guerre par procuration au profit du parti islamiste contre l'USFP et le RNI». Pour revenir au recours du PAM, la Cour a effectivement statué là dessus et son auteur a évidemment été débouté. Une semaine après cette escalade contre la juridiction constitutionnelle, le chef du parti qui est également député et membre du groupe parlementaire à la première Chambre, s'est démarqué par un réquisitoire largement commenté contre le gouvernement. Depuis l'estrade de la Chambre, le secrétaire général a déclaré que «le PAM retire définitivement son soutien au gouvernement». L'initiative, relève-t-on, est déplacée. «On n'annonce pas une telle décision au moment où tout le pays fait face à une crise sans précédent. A moins d'avoir sous la main une alternative crédible à proposer. Ce qui n'est pas le cas», explique cet analyste politique. La décision de saisir la Cour constitutionnelle, quoiqu'étant tout à fait légitime, répond à la même logique. D'après le député et membre du conseil national, Mohamed Aboudrar, «c'est effronté de la part d'un secrétaire général de parti politique de contester devant la Cour constitutionnelle un texte de loi qui porte sur un emprunt contracté par le gouvernement au lendemain de l'adoption de ce décret-loi par la commission des finances. Cela d'autant plus qu'il s'agit d'un financement vital pour l'économie et pour le pays où moment où toutes les composantes de la nation, à leur tête les institutions de l'Etat, sont mobilisées et solidaires pour faire face à une situation exceptionnelle». Vide organisationnel La manière dont ont été collectées les 81 signatures des parlementaires du parti qui ont paraphé le recours est également très contestée. On parle même, et l'affaire est déjà portée devant la justice, de présomption de falsification de signatures au moment où, comme tous les Marocains, les députés ne pouvaient, en toute logique, pas se déplacer à Rabat, puisque les déplacements interurbains sont suspendus. Ce qui fait dire à Abdelmouttalib Amiar, président du 4e congrès et membre du conseil national, que «nous éprouvons actuellement une grande gêne en tant que parti politique en entretenant les Marocains d'affaires de dol et de falsification». C'est naturel, poursuit ce dirigeant, que «lorsque l'idéologie du parti est dénaturée, il s'en suivra forcément une défiguration des institutions et un détournement des lois et des règlements». Et de conclure : «Désormais on peut parler d'un parti du courant de l'Avenir. Le PAM, tel que nous l'avons connu, n'existe plus». Ce qui, plus est, dans une lettre adressée au secrétaire général, deux membres du conseil national, Nabil Zaeir et Bouchaïb Zekri, parlent, eux, d'un «vide organisationnel». Les deux membres de la plus haute instance décisionnelle du parti soulignent ainsi : «Ce que nous vivons actuellement comme laisser-aller et absence des instances organisationnelles, le parti ne l'a jamais vécu depuis sa création. Les secrétariats régionaux et autres instances locales sont absents, les forums gelés, de même que les organisations parallèles et l'association des élus. Le pire, c'est qu'en plus de ce vide institutionnel, les questions qui intéressent directement les citoyens sont absentes du débat au sein du parti». Par ailleurs, les deux membres du conseil national n'ont pas manqué d'attirer l'attention du secrétaire général sur le fait que «parler au nom du parti, au nom de tous ses militants et militantes, doit obéir à certaines normes et se faire dans le strict respect de ses règlements et statuts». En parlant de l'organisation, et comme l'a souligné Abdelmouttalib Amiar, beaucoup de militants n'arrivent toujours pas à admettre comment le nombre des membres du conseil national est passé subitement de 511 à plus de 700 militants. Cela au moment où le nombre des encartés n'a pas subi un grand changement -au contraire avec les nombreux départ au lendemain du dernier congrès il s'est même rétracté- à moins que ce ne soit une tactique délibérée pour noyer cette institution et faire en sorte qu'à chaque vote une partie, les partisans de la nouvelle direction, l'emporte largement sur l'autre. La saison des départs est ouverte D'autres partis, notamment de la gauche, ont déjà eu recours à cette technique avec pour résultat la décadence assurée. Notons que parmi les 50 membres du bureau politique du PAM, encore un chiffre surdimensionné selon le même dirigeant, ceux qui ne sont pas désignés sont élus par le conseil national. Ce qui, par ricochet, donne également une large majorité à la direction au sein du bureau politique, et donc l'aptitude de faire passer facilement ses décisions. «Il n'est pas difficile de comprendre que la logique derrière cette manœuvre d'augmenter de 50% le nombre des membres du conseil national, qui sont évidemment tous partisans du clan qui contrôle le parti. La seule façon de garantir une victoire à chaque vote c'est de s'assurer une suprématie numérique au sein de cette instance», relève Mohamed Aboudrar. Naturellement, en plus de désigner la partie élue des membres du bureau politique, comme déjà précisé, c'est le conseil national qui élit le secrétaire général. C'est également cette instance qui peut, dans des conditions précisées dans les statuts, mettre fin à son mandat. Là encore, la main du nouveau pouvoir au sein du parti est passée par là. «Avant l'amendement des statuts à l'occasion du 4e congrès, pour démettre le secrétaire général il suffisait du vote des deux-tiers des membres du conseil national. Ce n'est plus le cas, il faudra dorénavant l'aval d'au moins trois-quarts des membres pour le renvoyer», précise l'ancien chef du groupe parlementaire. Pourtant, pour relever ce dernier de ses fonctions, il a suffi d'une simple lettre adressée au président de la première Chambre pour l'informer de cette décision. Cela alors que le chef du groupe au Parlement est, de par la loi, élu par ses pairs. Mais là aussi, c'est une question qui fait litige et qui est portée devant le tribunal. En réalité, ce sont deux procès qui ont été intentés, en référé, à la nouvelle direction. Le tribunal a statué sur les deux affaires, le 3 juin, en rejetant les deux recours. Le premier porte sur le gel de la décision relative au relèvement du chef du groupe parlementaire de ses fonctions et le deuxième porte sur le gel, d'une manière globale, des décisions du secrétaire général. Bien sûr, les requérants ont décidé d'aller au deuxième niveau de juridiction en interjetant appel. Car le rejet en référé n'empêche pas l'examen, devant la juridiction compétente, sur le fond des deux affaires. Et si Mohamed Aboudrar a préféré opter pour la voie de la justice, d'autres militants, et ils sont nombreux, dont des fondateurs mêmes, ont préféré prendre leurs distances avec la nouvelle direction. Ne parlons même pas de ceux, parmi les militants, qui ont tout bonnement décidé de quitter un parti dans lequel ils ne se retrouvent plus. Samir Belfkih, qui s'est retiré, à l'image des autres candidats, de la course au secrétariat général, a définitivement rompu les ponts avec le parti. Il a d'ailleurs annoncé récemment, juste avant la crise, son intention de créer une nouvelle formation politique. Il a même été question à un moment d'un projet de migration collective vers un parti de gauche, l'USFP en l'occurrence, mais, semble-t-il, les contours de ce projet ne sont pas encore précisés. Décidément, et à un peu plus d'une année des prochaines élections, le PAM, pourtant première force de l'opposition et deuxième force politique du pays, n'est déjà plus que l'ombre de lui-même. Un plan de relance pour l'après-Covid-19 Pour première force de l'opposition qu'il est le PAM a été plutôt à la traîne en matière de propositions de relance pour l'après-Covid-19. Largement devancé par le duo Istiqlal et PPS, anciens partenaires de la défunte Koutla, le PAM n'est pas, non plus, allé au fond de la chose comme il se doit pour un parti qui prétend représenter l'alternative pour le gouvernement en place. Pour Mohamed Aboudrar, le mémorandum adressé par le parti au chef du gouvernement n'est finalement qu'un «ramassis de déclarations d'intentions» qui ne comporte pas de priorités bien définies. En fait, poursuit ce député, les propositions manquent de profondeur et de réalisme dénotant d'un manque de vision stratégique chez sa direction. Concrètement, dans le document remis au chef du gouvernement, le PAM propose un «Programme de relance économique et sociale rapide» pour le Maroc. Dans ses propositions, il est bien sûr question de la Loi de finances rectificative et la nécessité d'y intégrer les nouveaux éléments de conjoncture. Le parti propose également des mesures spécifiques en faveur des entreprises, entre autres, la nécessité de renforcer la capacité financière de la Caisse centrale de garantie, de supprimer les intérêts sur les prêts accordés aux entreprises en difficulté, de repousser à septembre les mensualités de remboursement des prêts sans frais supplémentaires. Sur le plan social, le parti recommande la mise en place d'un revenu minimum dans la limite de 50% du SMIG au profit des ménages pauvres, y compris dans le monde rural, de trouver une solution au problème du secteur informel, et de généraliser une couverture sociale à tous les travailleurs de ce secteur ainsi qu'une révision du régime fiscal. Par ailleurs, le parti formule une multitude de propositions concernant différents secteurs vitaux qu'il qualifie de «sensibles». L'éducation et la formation en général ainsi que la santé en font partie. Concernant le secteur du tourisme et de l'artisanat, le PAM met en avant la nécessité pour le gouvernement de clarifier l'horizon pour les professionnels (date d'ouverture des frontières, date de retour des touristes) afin qu'ils puissent se préparer en conséquence. Pour ce qui est du secteur industriel, il propose la création d'un fonds de développement industriel dans le but d'accompagner les entreprises pour qu'elles retrouvent leur rythme de production d'avant la crise.