Un cas de divorce avec garde des enfants, une expulsion pour loyers impayés, ou un contentieux commercial portant sur quelques millions de dirhams, ne seront jamais jugés en «référé», mais en audience plénière, publique, obéissant à des règles de procédure contraignantes, comme l'obligation de comparution des personnes intéressées. Un site électronique a récemment publié une «étude» sur le fonctionnement du Tribunal de Casablanca, repris par la presse sous le nom de «mahkama gate». Le fonctionnement de cette institution est décrit avec beaucoup de détails, qui ont choqué les justiciables. On y découvre d'étranges pratiques, des services publics quasiment privatisés au profit d'intérêts privés, une justice d'abattage, industrialisée, et d'autres éléments pour le moins troublant. En fait, le terme «découvrir» est inadéquat, concernant un système bien huilé qui fonctionne ainsi depuis… plus de 25 ans. Dans la pratique, cela ne manque pas d'étonner, et l'on se demande bien à quoi servent tous les organismes chargés de contrôler l'appareil judiciaire. Cependant, à côté de ces réalités, il apparaît que bien des inexactitudes, ou des approximations émaillent l'article en question, et l'on peut honnêtement se demander quel est le degré de connaissance de l'appareil judiciaire de son auteur. Prenons un exemple, un seul, mais qui semble édifiant. L'article s'étonne qu'un seul Juge puisse, en un temps record, statuer sur plus de mille dossiers ; il cite des chiffres, et se permet même de citer le nom de quelques magistrats. Lesquels seraient d'ailleurs en droit de le poursuivre pénalement, car ce genre d'information n'a pas vocation à être divulgué sur la place publique. Les professionnels de la justice, eux, ne s'offusquent pas de cette information, car dans les faits, cela est parfaitement plausible. En effet, Casablanca est le centre économique et le poumon vital du pays. Un grand nombre d'entreprises y ont pignon sur rue, et couvrent pratiquement tous les domaines d'activité. Du coup, les affaires se traitent, se règlent, souvent par le biais de ce que l'on nomme communément «des traites», ou effets de commerce, lettres de change, voire reconnaissance de dette. A l'échéance convenue, bien des traites reviennent impayées avec la fameuse mention «provision insuffisante». Présentées à la justice, leur traitement est ultra rapide, car les faits sont clairs et avérés. Pour une traite impayée, en vertu des procédures d'urgence, (les référés), le juge n'a nul besoin de tenir une audience dite contradictoire, dans laquelle les deux parties, le bénéficiaire et le tireur vont se faire face physiquement pour expliquer la situation. Il se contente donc, dans le calme de son cabinet, de statuer rapidement, en vue de régler le plus grand nombre de dossiers possible ; car il ne faut pas oublier, non plus, que le justiciable lésé, (donc le bénéficiaire d'un effet impayé), demande une réponse rapide à son problème. Jadis, une fameuse phrase avait cours dans les rues, chez les citoyens lambda : «ddini w hannini», soit, «va en justice, et laisse moi tranquille». C'est-à-dire que l'on considérait la justice tellement lente, que toute procédure engagée, valait une relative tranquillité pour quelques mois, le temps qu'elle statue. De plus, les plaideurs professionnels savent bien qu'une décision de première instance, (rendue au bout de plusieurs mois de procédure), est rarement applicable immédiatement. Il faut en effet compter sur les délais de notification, suivis en général d'un recours devant la Cour d'appel, voire celle de cassation. Aujourd'hui les choses ont bien évolué, et rendent une décision de justice applicable immédiatement, malgré toutes les voies de recours possibles. On appelle ça «l'exécution provisoire», ce qui signifie que l'on dit au débiteur condamné : «Paye d'abord, et va faire appel ensuite»... ce qui change la donne. Et de ce fait, un magistrat chargé des «injonctions de payer» peut parfaitement, s'il est consciencieux et efficace, bien rendre 500 ou 1 000 ordonnances de payer en huit heures de travail, le travail consistant en la vérification de l'existence d'une dette, puis rendre une décision ; lesquelles décisions sont préimprimées et toutes prêtes à l'usage : il suffit , pour chaque cas, de changer les noms des parties, les montants et les dates, ce qui ne prend qu'une poignée de secondes pour un magistrat aguerri. Est-ce que l'on a nommé une justice d'abattage ? Assurément non, car ce genre de procédure ne s'applique que dans des cas bien précis et restreints. Ainsi par exemple, un cas de divorce avec garde des enfants, une expulsion pour loyers impayés, ou un contentieux commercial portant sur quelques millions de dirhams, ne seront jamais jugés en «référé», mais en audience plénière, publique, obéissant à des règles de procédure contraignantes, comme l'obligation de comparution des personnes intéressées. Et donc, pour conclure, que nos concitoyens se rassurent : s'il existe bien des cas de justice rapide, (nécessité oblige) les dossiers confiés aux magistrats, dans leur majorité, sont très profondément étudiés, avant de rendre une décision «au nom de SM Le Roi, et conformément à la loi».