La loi bancaire l'a autorisé mais la profession juge sa mise en place injustifiée. Le produit est financièrement moins intéressant que le crédit, d'autant plus que la durée du crédit est réduite. Les Marocains restent très attachésà la propriété de leur logement. Pourquoi le leasing immobilier à usage d'habitation n'existe-t-il pas au Maroc ? Une question qui vient naturellement à l'esprit quand on sait que la formule du crédit-bail, mobilier et immobilier, a toujours existé pour les professionnels et qu'elle est même accessible depuis quelques années pour les particuliers (location avec option d'achat pour l'acquisition de voitures). Et quand on sait que, de plus, le leasing immobilier destiné aux particuliers existe bien dans d'autres pays, développés comme émergents, et qu'il connaà®t un succès notable, on est intrigué davantage. Certains professionnels concernés par le sujet ont tenté d'expliquer les raisons de l'inexistence de la formule. «Au Maroc, ce mode de financement n'est pas intéressant, ni pour le public ni pour les organismes de crédit», affirment, en résumé, ces professionnels. Ils expliquent également que les organismes auront beaucoup de difficultés techniques et juridiques à le mettre en place et que, même si la formule est lancée, elle ne sera pas plus avantageuse qu'un crédit classique. Avant d'entrer dans les détails, il est important de comprendre le fonctionnement du crédit-bail et de faire la distinction entre, d'une part, celui à usage professionnel et celui destiné aux particuliers et, d'autre part, le crédit-bail mobilier et immobilier. Le leasing immobilier est avantageux pour l'usage professionnel Au départ, le leasing a été lancé spécialement pour un usage professionnel. La formule consiste, pour une entreprise désirant acquérir un bien quelconque, à s'adresser à une société de leasing pour que celle-ci achète ce bien et le lui loue. La location dure un certain nombre d'années (de 5 ans à 15 ans) puis, à la fin de la durée convenue, l'entreprise locatrice du bien a la possibilité de se l'approprier moyennant un prix (valeur résiduelle) dérisoire. Pour les entreprises, opter pour ce mode de financement au lieu d'un crédit classique offre plusieurs avantages, et pas seulement fiscaux. S'agissant de biens meubles (matériel de bureau, de transport, machines industrielles…), le crédit-bail permet leur acquisition à un prix hors-taxe, donc, en général, de 20% inférieur à celui que l'entreprise aurait payé en contractant un crédit bancaire. De plus, les loyers sont entièrement déductibles de l'impôt sur les sociétés (IS), alors que, dans le cas du crédit, seuls les intérêts sont déductibles. S'agissant maintenant des biens immeubles (usines, locaux administratifs), en plus des avantages cités ci-dessus, l'entreprise est exonérée des droits d'enregistrement et de conservation, et également de la patente et de la taxe urbaine pendant les cinq premières années. Il ne s'agit là que des avantages d'ordre fiscal. Le leasing permet en outre à l'entreprise de préserver ses liquidités, vu qu'elle n'est tenue de faire aucun apport initial, et de maintenir ses ratios d'endettement et de solvabilité intacts. Interrogées sur l'état du marché du leasing à usage professionnel au Maroc, les sociétés de crédit-bail affirment toutes qu'il a déjà atteint sa maturité. Le mécanisme est intéressant pour les entreprises et les professions libérales, et il l'est devenu même pour les particuliers. En effet, cela fait plusieurs années maintenant que le leasing automobile a été mis en place pour l'usage personnel. La formule a connu un franc succès car, comme pour les entreprises, elle permet aux particuliers l'avantage d'acquérir leurs voitures à un prix hors-taxes. De plus, les sociétés de crédit à la consommation sont allées jusqu'à plafonner leurs marges pour que les clients ne paient au total que le prix TTC de la voiture. Si tant d'avantages existent pour les entreprises, tant au niveau du crédit-bail mobilier qu'immobilier, et pour les particuliers concernant l'acquisitions de véhicules, pourquoi ne met-on pas en place le leasing immobilier pour les particuliers, surtout que la nouvelle loi bancaire l'autorise ? Un seul avantage pour les particuliers : le respect des prescriptions religieuses D'abord, il y a une autre question à laquelle il faut répondre. Est-ce que la formule intéresserait le public marocain ? Les avis des professionnels sont partagés sur ce point. «Oui, le leasing est surtout demandé par les personnes soucieuses du respect de la religion, que ce soit du côté des promoteurs immobiliers ou des clients», explique Youssef Iben Mansour, président de l'ALPIC ( Association des lotisseurs et promoteurs immobiliers de Casablanca). Et d'ajouter que «même si le marché de l'immobilier se porte bien, la mise en place du leasing aux particuliers constituerait une nouvelle bouffée d'oxygène pour le secteur car la catégorie de personnes refusant de contracter un crédit pour des raisons liées à la religion n'est pas négligeable». D'autres professionnels concernés par le sujet ne sont pas du même avis que le président de l'ALPIC. «Même si on est dans un pays musulman, les Marocains se soucient peu du caractère religieux ou non du mode de financement qui leur donnera accès au logement», affirme Mehdi Merimi, directeur du réseau de Wafa Immobilier. «Si le loyer du leasing immobilier s'avère supérieur à la mensualité d'un crédit logement classique, personne n'optera pour la première formule car, pour les personnes à revenus limités, l'aspect financier passe avant tout», renchérit Adil Chbani, directeur commercial à BMCI Leasing. L'insolvabilité, un des gros problèmes du leasing immobilier aux particuliers Le respect de la religion serait-il en effet le seul avantage qu'offrirait la mise en place du leasing immobilier pour les particuliers ? Le produit ne serait-il pas financièrement plus intéressant que le crédit logement classique? Les responsables contactés affirment tous qu'en dehors de cet aspect lié à la foi, le leasing immobilier ne présenterait aucun avantage pour les particuliers. Et pour cause : la finance personnelle est différente de la finance d'entreprise. En effet, le leasing immobilier est intéressant pour les entreprises car il leur offre des avantages fiscaux et leur permet de maintenir leur capacité d'endettement intacte. Pour les particuliers, il s'agira de payer une somme mensuelle qui ne fera l'objet d'aucune déductibilité fiscale. De plus, les sociétés de financement expliquent que le loyer du crédit-bail immobilier sera toujours supérieur à la mensualité du crédit classique. En effet, les sociétés de leasing seront confrontées à plusieurs problèmes si elles tentent de mettre en place cette formule. Il y a d'abord le problème de la durée. Ces organismes accordent une durée de 15 ans maximum, ce qui relèverait énormément le niveau du loyer. Et même dans le cas oà1 les sociétés de financement s'alignent sur les durées du crédit classique (20 ans et plus), elles auront à se refinancer à un coût plus élevé, ceci sans parler du déséquilibre financier que cela va leur créer (les sociétés de leasing se refinancent sur le court et le moyen terme). Du coup, elles seront obligées de répercuter ce surcoût sur le client, ce qui relèvera dans ce cas également le niveau du loyer. A cela s'ajoute un autre problème, celui de l'insolvabilité. «Quand une entreprise se retrouve dans l'incapacité de régler ses loyers, plusieurs solutions peuvent être envisagées. On peut même aller jusqu'à récupérer les locaux. Mais dans le cas oà1 c'est un particulier, il s'agira de lui retirer son logement, ce qui donnera au conflit un caractère social. Nous ne souhaitons donc pas avoir à faire face à ce genre de problème, d'autant plus que la loi marocaine protège toujours le locataire au détriment du propriétaire», explique un responsable d'une société de financement qui tient à garder l'anonymat. Il y a également d'autres freins à la mise en place du crédit-bail immobilier à usage d'habitation. D'abord, les Marocains préfèrent être propriétaires plutôt que locataires (ceci a été détourné pour la LOA de voitures). Par ailleurs, les promoteurs immobiliers exigent une partie du prix au noir. Enfin, les sociétés de leasing sont habituées à traiter avec des entreprises (avec des bilans et des CPC à analyser) plutôt qu'avec des particuliers… Autant de problèmes qui empêchent la mise en place de ce produit. Actuellement, le ministère chargé de l'habitat et de l'urbanisme mène toujours une étude sur le sujet. Quand les résultats seront disponibles, ils permettront d'avoir une idée sur l'intérêt du produit et sur la possibilité ou non de sa mise en place. Expériences Le système de banque islamique le permet Comme leur nom l'indique, les banques islamiques commercialisent des produits financiers conformes à la religion musulmane. Pour le financement des acquisitions immobilières, elles offrent uniquement le leasing immobilier (Ijara wa Iqtina), que ce soit pour les entreprises ou pour les particuliers, parce que le loyer est permis dans la religion musulmane, non l'usure. Ce mécanisme existe depuis des dizaines d'années dans plusieurs pays arabes, et même occidentaux. En effet, les banques islamiques sont présentes en Europe et aux Etats-Unis. Le produit est devenu prisé même par les communautés non musulmanes, au point que des banques non-islamiques ont fini par le commercialiser. Au Maroc, les banques islamiques sont interdites pour plusieurs raisons (non- respect des règles prudentielles bancaires marocaines, structure financière différente de celle d'une banque commerciale…) Solution La location-accession : un mécanisme rarement utilisé La location-accession est un mécanisme similaire au leasing immobilier et il est destiné spécialement aux particuliers. Il consiste à ce que le vendeur d'un bien immobilier (promoteur, personne physique ou morale, administration publique…) s'engage à transférer la propriété du bien à l'accédant après une période oà1 ce dernier va le louer. Durant cette période, l'accédant va verser au vendeur une somme mensuelle composée de deux parties. La première étant un loyer, en rémunération de la période de jouissance avant le transfert de propriété, et la deuxième étant une avance sur le prix de vente. Après écoulement de cette durée (qui est convenue entre les deux parties), l'accédant règle la différence entre le prix de vente et la somme des avances versées mensuellement pour devenir propriétaire du bien. Et si ce dernier ne souhaite plus l'acquérir, le vendeur est tenu, par le contrat qui les lie, de restituer la somme des avances versées, mais pas la partie considérée comme un loyer. Ce mécanisme a été utilisé par quelques promoteurs immobiliers et grandes institutions financières, qui ont fini par l'abandonner à la suite de conflits avec les accédants. Actuellement, ce mécanisme n'est utilisé que par un nombre restreint de grandes entreprises détenant des logements qu'elles souhaitent vendre à crédit à leurs employés.