S'il y a une erreur qu'on ne commet plus en analyse économique, c'est bien de confondre flux de capitaux et création de richesses, et plus particulièrement amalgamer solde de la balance commerciale et croissance économique. L'idée simpliste selon laquelle la performance économique d'un pays est nécessairement synonyme d'un solde excédentaire de sa balance commerciale est d'un réductionnisme consternant. Et pourtant, l'encre de la signature de la Zone de Libre Echange Continentale (ZLEC) n'a même pas encore séché que certains de nos analystes commencent déjà à pleurer les accords de libre-échange déficitaires que nous avons déjà signés et à nous mettre en garde contre les risques de pareille fortune pour la ZLEC. Certains appellent même à protéger nos entreprises des affres de cette concurrence potentiellement destructrice pour notre tissu économique. Deux idées complètement saugrenues qu'il faut balayer. Rappelons d'emblée qu'un excédent commercial n'est pas synonyme de performance économique (beaucoup de pays pétroliers du tiers-monde avaient des excédents records quand les cours de l'or noir étaient au zénith), tout comme un déficit n'est pas synonyme de contre-performance (4 des 7 pays les plus industrialisés ont une balance commerciale déficitaire, dont la première puissance économique mondiale que sont les Etats-Unis). Les échanges commerciaux avec le reste du monde sont l'une des quatre sources de la croissance pour un pays ; les autres étant la consommation, l'investissement et les dépenses publiques. La variation de la production intérieure (taux de croissance économique) provient de l'addition des variations de ces quatre éléments. C'est une tautologie comptable à somme nulle. La balance des paiements (dont fait partie la balance commerciale) est un document comptable qui ne fait que retracer les flux d'une économie avec le reste du monde et qui se solde à zéro. Ce n'est pas en soi un indicateur de performance. Un déficit commercial, à titre d'exemple, est couvert par les investissements étrangers, par les transferts des nationaux non résidents ou par l'endettement extérieur. Et ce dernier n'est pas bon ou mauvais en soi. Tout dépend de la rentabilité des investissements qu'il financera. Si celle-ci est supérieure à leur coût de financement, il y a création de richesses et un cercle vertueux s'établit. Le vrai débat doit donc porter sur la croissance du PIB et non sur le solde de la balance commerciale. Cette erreur conceptuelle a été à l'origine de l'asphyxie de la péninsule ibérique et qui a précipité le déclin des puissants empires espagnol et portugais à partir du 17e siècle, sous l'influence de la pensée mercantiliste. Celle-ci expliquait la prospérité d'un pays par la quantité d'or qu'il détenait (ce qui fut à l'origine d'un pillage sans précédent des colonies américaines) et par ses excédents commerciaux. Cette idée grossière n'a pas été commise par les penseurs musulmans qui établirent dès le 14e siècle, avec les travaux d'Ibn Khaldoun, que la richesse des nations réside dans une pluralité de facteurs mêlant démographie, division du travail, progrès technique, gains de productivité, géographie (analyste précurseur de l'effet d'agglomération et brillante connexion entre cet effet et les phases du cycle économique) et rôle de l'Etat. Aujourd'hui, de grandes puissances exportatrices comme l'Allemagne ou la Chine font face au problème de gestion de leurs excédents commerciaux (paradoxalement, c'est un problème pour certains !). Prenons le cas de l'Allemagne qui a des excédents de plus de 1 000 milliards d'euros et dont la contrepartie (sous forme de prêts) se retrouve chez ses partenaires commerciaux, principalement au sein de la zone euro. En d'autres termes, comme le souligne l'économiste français Charles Gave, le pays d'Angela Merkel doit prêter aux autres, principalement ceux de l'Europe du Sud (qu'il appelle affectueusement les pays du club Med !) pour qu'ils continuent à acheter les produits allemands, sinon son économie basée sur les exportations s'effondre. Mais, compte tenu de l'insolvabilité croissante de ces pays, cet effondrement ne serait qu'une question de temps, conclut Charles Gave. C'est le même piège de l'économie chinoise qui doit continuellement trouver des débouchés à ses excédents commerciaux sous forme d'investissements à l'étranger (dont la rentabilité connaîtra une baisse tendancielle inéluctable) ou de prêts à ses propres clients (dont les Etats-Unis) pour qu'ils continuent à acheter ses produits. L'autre solution qui consisterait à injecter ces excédents dans leurs propres économies pourrait s'avérer fatale, car elle se traduirait par une poussée inflationniste et un renchérissement de leurs coûts de production qui altérerait leur compétitivité à l'international. Quant à l'idée de soutenir nos entreprises face à la concurrence étrangère, elle est tout aussi simpliste. En effet, jamais la protection n'a généré de la performance, elle ne fait que cultiver la rente et l'attentisme. Les entreprises non compétitives doivent être disciplinées par le marché et le libre jeu de la concurrence, car elles exercent un effet de pesanteur sur toute l'économie tant elles gaspillent inutilement des ressources qui peuvent être mieux valorisées par les entreprises plus performantes qui naîtront à leur place. Le rôle de l'Etat, s'il doit y en avoir un, est de fournir des infrastructures de bonne qualité, un capital humain qualifié et de veiller à créer un environnement favorable des affaires. Une entreprise qui importe des matières premières, fabrique une machine-outil à forte valeur ajoutée et ne demande aucun soutien public est beaucoup plus utile à l'économie en matière de création de richesses même si elle vend uniquement sur le marché local, qu'une entreprise qui exporte des matières premières à l'état brut en bénéficiant de toutes les exonérations imaginables. Et pourtant, selon la doxa ambiante, la première est mauvaise, car elle aggrave le déficit commercial et la seconde est bonne, car elle l'allège. Cherchez l'erreur !