Abdellatif Hatimy Avocat, 28 ans de métier «On demande à des juges frappés d'injustice de rendre la justice» Les problèmes les plus saillants que j'ai rencontrés durant mon parcours de 28 ans en tant qu'avocat sont de deux types. Du côté des officiels d'abord, il y a un manque de volonté à résoudre les problèmes, alors que les solutions sont à portée de main et peu coûteuses. Du côté des acteurs judiciaires ensuite, toutes professions confondues, c'est le manque de bonne foi, le manque de dévouement et le manque d'attachement aux valeurs sacrées de la Justice. Quant au phénomène de la corruption, il serait trop injuste de n'accuser que les seuls juges. Il n'y a jamais eu de corrompus sans corrupteurs. A mon avis, aucun texte de loi, aussi perfectionné soit-il, ne peut l'éradiquer. C'est une affaire d'éducation avant d'être une affaire de lois. On ne peut pas avoir de justice sans juges et l'on ne peut pas avoir de juges à qui l'on demande de rendre justice alors qu'ils sont frappés eux-mêmes d'injustice ! Vous ne pouvez pas demander à un juge d'être impartial, correct aussi bien dans sa vie privée que dans sa vie publique alors qu'il est mal formé, sous-payé, mal logé, dévalorisé et, le plus souvent, éloigné de son épouse et de ses enfants. On ne peut pas demander à un juge de rendre la justice alors que, du matin jusqu'au soir, il ne cesse de penser à résoudre ses propres problèmes. L'Etat doit procurer aux juges un minimum afin qu'ils se consacrent à leur noble mission. Il ne doit pas laisser aux magistrats l'occasion de penser au logement, à la scolarisation de leurs enfants… L'Etat doit, en outre, revoir tout l'arsenal juridique qui affecte l'indépendance de la magistrature et mettre en place une structure capable de rendre aux magistrats leur fierté en tant qu'autorité indépendante. On ne peut pas demander aux magistrats de rendre la justice en toute sérénité alors qu'ils sont soumis aux pressions des textes législatifs qui accordent la primauté à la référence hiérarchique au lieu de l'attribuer aux seules capacités intellectuelles du juge. Abdallah El Oulladi Avocat et président de l'OMDH «Comment être indépendant quand on est sous la coupe de l'éxécutif» La justice marocaine souffre de plusieurs tares. La plus importante concerne son indépendance qui n'est, en fin de compte, que théorique puisque l'influence du pouvoir exécutif est déterminante sur la marche du pouvoir judiciaire. C'est le ministre de la Justice qui préside le Conseil supérieur de la magistrature, et l'on sait le rôle que joue ce conseil dans les affectations des présidents de tribunaux et dans la procédure disciplinaire et celle de notation. Un président de tribunal subit nécessairement l'influence du ministre. Tous les présidents de tribunaux ne subissent pas cette influence comme une pression, mais le fait est là : l'indépendance de la justice est battue en brèche. Le juge marocain, d'autre part, n'est pas prémuni contre la tentation, il lui est interdit de constituer une association pour défendre ses intérêts et exprimer son point de vue sur la marche de la justice. Ses conditions sociales ne sont pas garanties (transport, logement, médication…) et les moyens logistiques mis à sa disposition ne sont pas au niveau de ses responsabilités. On ne peut pas prémunir un juge contre les tentations de corruption si l'on n'améliore pas ses conditions sociales et ses conditions de travail. Mohamed Karam Avocat, 30 ans de métier «Pourquoi quand on parle de corruption on ne pense qu'aux juges ?» On dit que notre justice n'est pas indépendante. A mon avis, cela relève du juge lui-même. Un juge bien formé, intègre, neutre et compétent, jugera en toute indépendance. Pour ce faire, il faut aussi qu'il soit insensible au pouvoir de l'argent, au pouvoir des médias et aux directives qui viennent d'en haut. La corruption continue de sévir et je n'accuse pas uniquement les juges mais également les avocats, les experts, les huissiers… Autre point négatif : l'absence de contrôle du patrimoine des juges stipulé par l'article 17 de la loi fondamentale régissant leur statut. Le ministère de la Justice doit obliger les juges à déclarer leur patrimoine et réagir dès qu'il y a un doute. Par ailleurs, le seul fait que le Conseil supérieur de la magistrature soit placé sous la présidence effective du ministre de la Justice pose problème, surtout lorsque ce ministre appartient à un parti politique. Quant à l'exécution des décisions de justice, s'il y a lenteur, elle concerne surtout les jugements rendus contre l'administration, les offices nationaux et les institutions publiques d'une manière générale. Egalement contre certaines compagnies d'assurance. Pour ce qui est des tribunaux de commerce, s'ils sont réputés dispenser une justice rapide, c'est parce que le code du commerce leur impose des délais. Cela dit, il ne faut pas confondre rapidité et précipitation. Nombre de tribunaux de commerce connaissent plus de corruption que les tribunaux ordinaires