“Aucune déclaration” : les voix sont unanimes et claires. Au cours du premier forum national de la magistrature, qui s'est tenu samedi 16 mars au Centre culturel et sportif des avocats, à Bouskoura, aucun magistrat ne s'exprimera, ni ne débattra à propos du thème principal de cette rencontre, à savoir “l'indépendance de la magistrature”. Cette prise de position, ou plutôt tenue droite et obligatoire, est strictement stipulée par les clauses de la loi fondamentale de la magistrature (LFM), qui interdit formellement aux magistrats d'exprimer publiquement leurs pensées, opinions ou convictions personnelles ou professionnelles... Aussi, lors de ce forum, organisé par l'Association marocaine pour la défense de l'indépendance de la magistrature (AMDIM), et l'Ordre des avocats de Casablanca, avocats et professeurs sont devenus les porte-parole des magistrats.. Maître Najat Elgass, avocate au barreau et membre fondateur de l'AMDIM, nous initie aux objectifs de ce forum : « notre association œuvre pour l'indépendance, une indépendance citée d'ailleurs dans la constitution de 1996, sans lui conférer pour autant le pouvoir juridique ». En effet, le chapitre 76 de la constitution de 1996 stipule que “la magistrature est indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif”. Mais cette indépendance dénuée de pouvoir est menacée, selon les dires des membres de l'AMDIM, par les pouvoirs exécutifs délégués au ministère de la Justice et, précisément, au ministre de la Justice qui jouit, et du pouvoir législatif, et du pouvoir exécutif. Impartialité, objectivité, déontologie Comme l'ont souligné des interventions au cours de ce forum, l'indépendance de la magistrature, représentée par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), est mise en cause, puisque le vice-président du CSM n'est autre que le ministre de la Justice. En effet, le chapitre 80 de la constitution marocaine attribue au ministre de la Justice différents pouvoirs, notamment les affaires internes de la magistrature. Des attributions que l'AMDIM semble contester, exemples à l'appui : « les magistrats sont tenus d'avoir la permission préalable du ministre de la Justice pour l'organisation de toute manifestation culturelle. Par ailleurs, un magistrat ne peut publier un écrit, en qualité de magistrat, sans l'accord préalable du ministre ». Notons que l'AMDIM, association crée en juillet dernier, recommande la séparation des pouvoirs, évoquant lors d'une intervention de Mohammed Riyad, professeur universitaire à la faculté El Kadi Ayad, “les préceptes” de la séparation des pouvoirs aux premières ères de l'Islam. Impartialité, objectivité, déontologie et moralité étaient à l'ordre du jour. Des dispositions que Mehdi Chibou, magistrat au tribunal du commerce de Marrakech, a partagé en évoquant les restrictions imposées par la LFM, à savoir la permission préalable du ministre de la Justice pour l'organisation et la participation effective à toute activité culturelle ou professionnelle. Quant à la participation à la vie politique, la loi accorde au magistrat le droit d'élire et non celui d'être élu, sans oublier qu'à partir de 1959, il a été formellement interdit au magistrat d'adhérer à un quelconque parti politique ou d'exprimer ses préférences politiques. L'impartialité du magistrat doit être à l'abri de toute tentation ou idéologie, aussi la vie syndicale est-elle bannie, puisque le chapitre 14 de la LFM interdit au magistrat la constitution ou la participation à tout syndicat professionnel. Les magistrats sont donc appelés à protester en silence, puisqu'aucune grève n'est admise au sein de ce système juridique. Néanmoins, la création d'une association et la participation à la vie associative sont sollicitées, et le secteur compte trois associations : la Fédération des magistrats FDM, l'Amicale hassanienne des magistrats AHDM et la jeune association AMDIM. Des associations animées par le fervent souci de remédier à l'état de dépravation et de corruption qui a miné le champ juridique à force d'interférences et d'interventions contraires au principe de la séparation des pouvoirs. Ce forum, initiative en faveur de l'indépendance de la magistrature et de la défense des droits des magistrats, pourrait subtilement conjuguer ses efforts à ceux des autres corps représentant le métier, et créer une synergie consolidant la campagne d'assainissement et de réforme de la justice, lancée depuis 1998, et dont le diagnostic a révélé une masse de dysfonctionnements et des déficits de compétence, de gestion, et de déontologie.