«Le pouvoir judiciaire et les médias» a été le thème de la conférence organisée par l'Association Hassania des Magistrats et l'Association des magistrats néerlandais, tenue hier à Rabat. «La relation entre les magistrats et les médias pose de plus en plus de difficultés. Certains aspects de cette relation sont très compliqués. Le problème qui se pose est de savoir jusqu'à quel point chacune de ses deux parties influence-t-elle l'indépendance de l'autre», a estimé le ministre de la justice, M. Taïeb Naciri, lors de son allocation d'ouverture des travaux de la conférence. «Magistrats et médias influent indéniablement les uns sur les autres et l'élargissement de l'espace des libertés publiques rend cette influence encore plus palpable. Le droit d'informer pousse les médias à mener une véritable course au scoop». Rappelant le discours de SM le Roi Mohammed VI du 9 mars de l'année en cours, où le Souverain a insisté sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, le ministre de la justice a toutefois souligné que les attentes de l'opinion publique et des médias ne correspondent pas toujours à la présomption d'innocence de l'accusé. Ce qui remet en cause les conditions d'un jugement équitable et la dignité de l'être humain». «L'indépendance de la justice ne doit pas être conçue uniquement par rapport aux pouvoirs exécutifs et législatifs, mais également par rapport au pouvoir de l'argent corrupteur et des médias, véritable quatrième pouvoir en notre époqu » explique le président de la Cour Suprême, M. Mustapha Fares. «Si le rôle de la magistrature est de rendre un jugement équitable et de renforcer la démocratie, le rôle de la presse est de déterminer les irrégularités commises par l'un des trois pouvoirs, en relatant les faits sans exagération ni omission. Il a tenu à rappeler que liberté et responsabilité étaient étroitement liées. M. Fares a également souligné que la relation entre la magistrature et les médias était sujette à des mésententes, ce qui influe négativement sur le cheminement de la démocratie. Le blackout sur l'information judiciaire dessert l'appareil judiciaire et le traitement objectif de cette information. La nature du travail des magistrats, pour lesquels le secret de l'instruction est une exigence, et la nature du travail des médias, dont la mission est d'informer l'opinion publique, peuvent sembler antagonistes. Mais la valeur de la justice pour les magistrats et la valeur de la liberté pour les médias sont ainsi complémentaires. La confrontation entre les deux, estime alors M. Fares, est donc négative et contreproductive. Alors que ces deux pouvoirs veillent, chacun à sa manière, à dénoncer les dépassements et protéger la société. Il arrive malheureusement, indique M. Fares, que les médias prononcent un jugement avant même que la justice n'ait dit son dernier mot. Ce qui désappointe l'opinion publique, quand la décision de justice diffère du «jugement» préalable des médias. En pareil cas, le juge devient un accusé aux yeux de l'opinion publique. Ce qui devrait inciter les médias à traiter avec vigilance et objectivité les affaires judiciaires pour ne pas induire l'opinion publique en erreur. Il faut savoir, précise M. Fares, que les magistrats se trouvent sous une forte pression médiatique quand ils doivent délibérer à propos d'une affaire très médiatisée. Ce qui risque de se traduire par un jugement inéquitable. «Depuis quelques années, nous avons commencé à ressentir un intérêt plus grand des médias pour le déroulement de procès et ils attachent un intérêt particulier aux procédures judiciaires», a déclaré M. Reinier Van Zulphen, président de l'Association des Magistrats néerlandais. Sauf que cette influence ne s'exerce pas sur des cas individuels, mais porte plutôt sur la perception de l'action judiciaire en général. Il s'agit de savoir si les magistrats sont réellement indépendants ou influençables. Par exemple, dans les affaires où il y a recours à l'expertise ou à la recherche des preuves, les médias sont plus critiques. Ils posent beaucoup plus de questions que jadis. Mais la vraie question, estime M. Van Zutphen, est de savoir dans quelles société nous voulons vivre et celle que nous allons léguer à nos enfants. Les Magistrats doivent s'ouvrir à la société et aux médias et même coopérer ensemble. Car les médias peuvent également coopérer à l'indépendance de la justice. «Quand les médias se permettent de prononcer un jugement avant que la Cour ne le fasse, c'est-à-dire quand ils se substituent à l'appareil judiciaire, il faut être conscient qu'il s'agit là d'une atteinte à l'indépendance de la justice», affirme le président de l'Amicale Hassania des Magistrats, M. Abdelhak Elaiassi. La nature et les limites des relations entre les médias et les magistrats sont influencées par l'entrecoupement entre la nature des activités des uns et des autres, ce qui ne manque pas de se traduire par la confrontation entre les deux parties. A l'audition des interventions des magistrats sur le sujet épineux de leurs relations avec les médias, il est possible de produire déjà une première conclusion ; la nécessité d'une spécialisation des journalistes et de sessions de formation continue à l'intention des journalistes spécialisés dans les affaires judiciaires. Ainsi que la mise à disposition des journalistes dans chaque tribunal d'un magistrat chargé de leur communiquer toutes les informations nécessaires concernant les affaires en cours de jugement.