Le religieux reste omniprésent dans toutes les matières de l'enseignement, engendrant ce qu'un philosophe qualifie d'«absence d'esprit relativiste». Un premier pas a été franchi, celui de l'ouverture vers les autres religions. Une question cruciale est depuis longtemps posée par les intellectuels et chercheurs, particulièrement depuis les attentats du 16 mai 2003 : qu'enseigne-t-on à nos enfants à l'école et à l'aide de quels manuels scolaires ? Lors d'une table ronde organisée par le Centre Tarik Ibn Ziad, deux mois après ces événements, consacrée à la religion dans le système éducatif marocain, le ton était à l'accusation. Le système éducatif marocain est saturé par le religieux. L'enseignement de la religion y est dispensé, avaient conclu les intervenants à l'unisson «en rupture avec l'histoire, l'esprit rationnel, déconnecté de la réalité sociale de tous les jours. Le contenu de l'enseignement religieux baigne dans un autre temps, révolu, statique». Interpellé de toutes parts, le ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse a essayé autant que faire se peut d'agir. Idéalisation permanente de l'islam et des musulmans Mais, aujourd'hui encore, il suffit de consulter quelques manuels scolaires pour se rendre à l'évidence : le religieux y est encore omniprésent. Brahim Kazouzi, professeur à l'Ecole normale supérieure de l'enseignement technique à Mohammédia et membre de la commission d'éducation du Collectif démocratie et modernité, après avoir compulsé et étudié pendant des mois les livres scolaires en arrive à ce diagnostic : «Beaucoup de matières scolaires commencent par un contenu en rapport avec la religion. Le premier mois de l'école est entièrement réservé à ce qui est jugé en rapport avec l'islam en sus des matières qui lui sont propres. Des matières qui n'ont a priori rien à voir avec l'éducation islamique, comme la lecture, l'histoire, la langue et la grammaire, n'y échappent pas». Ouvrons, à titre d'exemple, le manuel de langue arabe de la première année du collège, programmé pour l'année scolaire 2003-2004, et intitulé «Al Moufid fi al lougha al arabia». Des six unités programmées, les valeurs islamiques viennent en tête, avant les valeurs nationales et humaines, l'espace civilisationnel, l'espace social et économique, l'espace démographique et l'espace artistique et culturel. Des versets du Coran et des Hadiths, ainsi que quelques textes signés par des plumes brillantes comme Taha Hussein, Ahmed Chawki, Mohamed Hassanaine Haïkal ou Allal Al Fassi sont présentés comme supports pour étudier ces valeurs islamiques. Elles recèlent en outre une valeur littéraire indéniable pour l'apprentissage des règles de la langue arabe. Mais le seul fait d'introduire l'étude de la langue arabe par quarante-huit pages consacrées aux valeurs religieuses pose problème. In fine, on y trouve une idéalisation de l'islam. Ainsi, en page 18, on peur lire :«La Oumma islamique eut l'honneur d'être la meilleure de toutes les nations… Dans l'inculcation des valeurs de solidarité, l'Islam a été pionnier, il a devancé plusieurs sociétés modernes…» (page 18). C'est ce que Jamal Hachem, professeur de philosophie et membre de la commission des programmes scolaires au sein de l'Organisation marocaine contre la haine et le racisme, a qualifié «d'absence totale de l'esprit relativiste. Quand on parle des juifs par exemple, on émet des jugements absolus en se référant à des versets coraniques, mais on n'explique pas le contexte historique dans lequel ces jugements ont été portés de telle sorte qu'ils deviennent valables en tout temps et en tout lieu. Cela développe en l'élève un sentiment de haine et de rejet. De même, lorsqu'on dit que la Oumma de l'islam est la meilleure, c'est un jugement absolu. On doit dire à l'élève que si une nation est meilleure, ce n'est que par le travail et par l'effort que déploient ses hommes». Autre injustice : récemment, Simon Lévy, directeur du Musée du Judaïsme marocain, a reproché au ministre de l'Education nationale l'absence totale de toute trace du patrimoine judaïque marocain dans les programmes scolaires nationaux. Or, ce patrimoine est riche. Les contributions des juifs marocains à l'art, la culture, l'artisanat et l'art culinaire marocains en sont la meilleure illustration. Une visite de ce musée, situé à Casablanca, le démontre amplement. Les prémices d'une plus grande ouverture religieuse En dépit de tout cela, un léger mieux peut être relevé par rapport aux années précédentes. En compulsant d'autres manuels programmés pour l'année scolaire en cours, on doit reconnaître une esquisse d'ouverture vers la reconnaissance de l'Autre, et, par là, vers plus de tolérance religieuse. Prenons à titre d'exemple le manuel d'histoire-géographie intitulé «Fi Rihab al Ijtimaiyat», de la première année de l'enseignement fondamental. Sa partie historique est riche et marque une réelle ouverture sur les civilisations et les religions antéislamiques : babylonienne, égyptienne, grecque ou phénicienne… Ainsi de la page trente-cinq à la page quarante, et sous le titre : «Les religions dans les civilisations anciennes entre polythéisme et monothéisme», on propose à l'élève un aperçu sur l'histoire des religions avant l'apparition de l'Islam, avec de très belles illustrations à l'appui. Une première. On y trouve le nom – et même le buste ! – de Zeus, dieu suprême du Panthéon grec (le Jupiter des Romains). On y trouve également Amon-Rê, dieu égyptien du soleil, sans oublier quelques principes de base des religions juive (et une photo de la Torah !) et chrétienne. L'élève peut donc entrevoir de nouveaux horizons dans lesquels la civilisation musulmane n'est qu'une partie du grand tout qu'est la civilisation humaine. D'une «école citadelle inexpugnable dirigée contre tout processus de modernisation», selon les termes du chercheur Mohamed El Ayadi, ces nouveaux manuels scolaires seraient-ils, avec la redéfinition du religieux par l'Etat, les premiers signes du passage vers une école où l'enseignement du religieux est ouvert sur les autres savoirs ? Affaire à suivre Le premier mois de l'école est entièrement réservé à ce qui est jugé en rapport avec l'islam en sus des matières qui lui sont propres. Des matières qui n'ont a priori rien à voir avec l'éducation islamique, comme la lecture, l'histoire, la langue et la grammaire, n'y échappent pas. Dans ce manuel d'histoire-géographie figure le buste de Zeus, et on y évoque les dieux de l'antiquité… Impensable il y a un an à peine.