Refuser ne signifie pas nécessairement s'opposer à l'autre, cela peut aussi illustrer l'affirmation de soi et de ses valeurs. Savoir dire non, c'est aussi formuler d'autres propositions, des alternatives. La mobilisation de l'intelligence collective passe par des oppositions. «Un non n'est pas forcément catégorique ou synonime de rupture.C'est un choix de rupture momentanée, de distanciation pouvant provenir d'une incompréhension qui s'est installée», estime Saad Benkirane, psychologue, DG du cabinet Idoine. Pour lui, le non marque la fin d'un processus et le début d'un autre. Explications. La Vie éco : Ne pas savoir dire non est un véritable handicap pour certains, pourquoi est-il si dur d'exprimer un refus ? Saad Benkirane : Les raisons de cette difficulté sont nombreuses. D'abord, on l'a observé longtemps dans le champ politique. Le fait même de se différencier était perçu comme une forme d'opposition, de dissidence ou autres. L'apprentissage du non a été violent dans l'histoire du Maroc. Il a même mené les réfractaires au pouvoir en prison parce qu'il n'y avait pas une véritable compréhension de cette différence d'opinions, de cette différenciation. Ces mêmes scénarios se répercutent sur la vie d'une entreprise qui, sociologiquement, connaît les mêmes maux. Je dirais que ce n'est pas un problème d'individus mais de systèmes. n Dire non est pour vous une forme de différenciation Je dirais que c'est une forme d'autonomisation. Cette règle est enseignée à la base en psychologie. L'opposition ne vise pas nécessairement une attitude contre l'autre, mais peut illustrer aussi l'affirmation de soi et de ses valeurs. Cela consiste à mettre en cohérence ses désirs avec ses projets et son comportement. n Qu'en est-il des relations purement professionnelles au sein d'une entreprise ; comment interpréter le non ? Je fais le lien avec l'armée. Quand le chef n'a pas d'opposants, la concentration de la décision entre ses mains peut tout aussi bien faire réussir une opération que la faire échouer. Encore faut-il qu'il soit visionnaire, clairvoyant et qu'il ait les compétences nécessaires, ce qui n'est pas souvent le cas en réalité. Cette démarche s'applique à l'entreprise. Quand l'organisation ne fonctionne que par la vision du manager, ce système ne fait que générer des exécutants et mène à l'impasse. Au contraire, quand il y a mobilisation de l'intelligence collective, cela passe forcément par des oppositions, des frictions au sein des équipes, avec la possibilité pour chacun de contribuer à la résolution, à la production et à l'avancée de l'entreprise. Cela ne peut se faire dans une relation où l'autre n'est pas reconnu en tant qu'individu. n Si bien qu'il faut dire non clairement quand il le faut… Il y a le fond et la forme pour le dire. En ce qui concerne le fond, dire non ne signifie pas qu'il faut le faire n'importe quand, parce qu'il y a des conséquences. Doit-on le dire dans le but de s'affirmer ou pour influer sur la décision ? Dès lors qu'il s'agit d'affirmation de soi, il s'agit de formuler ses attentes, ses motivations ou son opinion pour donner plus de visibilité sur ce qu'on pense à son interlocuteur. Il faut, bien sûr, tenir compte du contexte et des enjeux pour les interlocuteurs afin d'y mettre la forme. Celle-ci dépend aussi de la personne qu'on a en face de soi, du choix des termes avancés, de l'attitude associée à l'expression, du support de communication mais aussi de la relation complexe entre l'effet immédiat du refus et ses incidences à plus long terme sur les relations. Un non peu générer d'autres dysfonctionnements. Je dirais que le choix des mots est très important dans ce contexte. Il peut faire basculer la décision chez l'autre à tout moment. n Dira-t-on non de la même manière s'il s'agit de son patron, de son collaborateur ou de son client ? Aucune règle ne précise qu'il faut s'opposer ou s'affirmer de manière spécifique pour un patron, un collaborateur, un client, un ami ou autres. Tout dépend du contexte. On peut exprimer son refus devant la hiérarchie quand les conditions l'exigent et le permettent. Pas d'attitudes spécifiques à adopter mais plutôt des contextes ou des enjeux spécifiques qui détermineront l'attitude à adopter. Attention, toutefois, à ne pas créer des situations de rupture de dialogue. n Pour vous, un refus exprimé par un non n'est pas une rupture… Tout à fait ! Ce n'est pas forcément une rupture ou un non catégorique. C'est un choix de rupture momentanée, de distanciation, pouvant venir d'une incompréhension qui s'est installée. Le non tout court est déjà incomplet. Il faut savoir donner les raisons qui vous ont poussé à l'avancer. Il faut dire aussi qu'il existe mille manières d'interpréter ce non. Il y a toujours un référent qu'il faut expliciter. Le non constitue, en quelque sorte, la fin d'un processus et le début d'un autre. L'essentiel est d'analyser les tenants et les aboutissants de ce processus et des enjeux en cours. Prenons le cas d'un employé qui demande une augmentation de salaire. La satisfaction de celle-ci est tributaire d'un certain nombre de paramètres comme l'atteinte des objectifs annuels, les résultats de l'évaluation annuelle, l'analyse de l'environnement interne et externe. Que ce soit dans le cas d'une acceptation ou d'un refus, si le manager ne fait pas référence explicitement à ces paramètres dans la justification de son attitude et qu'il n'y a pas d'analyse objective et argumentée du refus, par exemple, cela engendrera des risques d'interprétations divergentes, sources potentielles de conflits. Il n'est pas très judicieux de se focaliser sur le refus sans analyser ses raisons et son contexte d'apparition. C'est facile de dire non mais encore faut-il gérer tout ce qui en découle. n Comment le gérer ? Il faut savoir avant tout analyser et anticiper les conséquences du refus. Va-t-il créer une situation de rupture, de conflit, d'iniquité, de reconnaissance ou de négociation? C'est aussi un apprentissage en soi, qu'il faut développer pour pouvoir l'exprimer. n Y a-t-il des techniques pour dire non ? Etre passif peut être interprété comme un refus. Savoir dire non, c'est aussi formuler d'autres propositions, des alternatives, c'est aussi dire qu'on est indisponible pour des raisons de priorité des tâches. A l'opposé, ne pas s'engager en amont dans le processus, c'est aussi générer une situation conflictuelle qui pourra mettre à plat les dysfonctionnements enfouis. Encore une fois, la forme du refus y est pour beaucoup. Mais attention ! le contenu ne doit pas être caché par la forme. Le fait de montrer qu'on est submergé afin de refuser la proposition, le fait de signaler le manque de temps ou de dire oui tout en étant démotivé ou indisponible peut conduire à des relations difficiles par la suite. n Il reste que formuler un refus n'est pas facile quand on sait que beaucoup ont du mal à le digérer ? Dire non, c'est aussi une manière de s'exposer aux problèmes et aux critiques. Souvent aussi, dans l'entreprise, on saisit cette occasion du refus pour déballer des problèmes ou malentendus antérieurs ou, tout simplement, pour régler des comptes. Les causes viennent principalement d'un manque de communication. Beaucoup de non-dits, de préjugés qui s'installent, des stéréotypes, font qu'il faut remonter en amont pour mettre les choses au clair. Il y a des critiques ou refus qui s'adressent à l'individu en tant que personne. Malheureusement, quand on critique, c'est vers la personne en tant que telle, et non pas vers son comportement, que les critiques tendent à s'orienter . C'est pourquoi beaucoup de gens n'arrivent pas à replacer les critiques dans leur contexte. Il faut savoir donner les raisons qui poussent à dire non. Il existe mille manières d'interpréter ce non. Il y a toujours un référent qu'il faut expliciter. Le non constitue, en quelque sorte, la fin d'un processus et le début d'un autre. Saâd Benkirane DG du cabinet Idoine «Au Maroc, on ne sait pas dire non. Ce n'est pas un problème d'individus mais de système.».