Dans une note élaborée par les équipes de recherche d'une grande société de bourse de la place, les analystes ont estimé, qu'avec un niveau de dette de 64,5% du PIB, le Maroc avait encore une marge d'endettement pour réaliser, selon leurs dires, «une politique budgétaire plus expansionniste et accélératrice de la croissance». Confrontant notre situation à celle de pays qu'ils ont qualifiés de «comparables», ils ont observé que nous nous situons dans la moyenne inférieure de cet échantillon et qu'on pouvait, par conséquent, appuyer sur l'accélérateur de la dette. En conclusion de leur étude, ils ont estimé que «le Maroc a enregistré lors des cinq dernières années une évolution tout à fait maîtrisée de son endettement, et ce, dans l'esprit de la tendance régionale. L'encours actuel de la dette ne s'écarte pas de ses comparables. De même, la gestion active de cette dette et la baisse de son coût unitaire ont permis de contrebalancer la hausse de son stock. Enfin, le Trésor ne devrait éprouver aucune difficulté à réaliser de nouveaux tirages aussi bien sur le marché international qu'au niveau de son recours traditionnel local. Autant d'éléments qui confortent notre postulat qu'en matière de dette, le Maroc se tient droit dans ses bottes. A notre avis, l'endettement ne constituerait pas spécifiquement un frein pour une politique plus expansionniste et accélératrice à la croissance». Jusqu'ici, l'analyse semble cohérente et la recommandation ''presque'' pertinente. Sauf que, dans le même document, ils nous fournissent deux chiffres qui nous laissent plutôt perplexes. Le premier est le taux de croissance annuel moyen du PIB entre 2012 et 2017 de 3,4% et le second est le coût moyen de la dette globale de 4%. Or, ces deux chiffrent font voler en éclats toute leur démonstration, car quand le coût moyen de la dette publique est plus élevé que le taux de croissance de l'économie, les encours ont tendance à progresser en valeur et en part du PIB, ce qui contredit leur observation sur la trajectoire de la dette marocaine. C'est le b.a.-ba de l'analyse macroéconomique. Le problème de la dette peut se résumer, toutes proportions gardées, à cette seule équation. Quelles dépenses publiques et quels choix budgétaires opérer pour que la croissance économique dépasse le coût de l'endettement? Ce n'est qu'à cette condition que la dette devient soutenable et non pas en la comparant à d'autres pays dont les profils de croissance et les structures économiques diffèrent fondamentalement des nôtres, même si, pour des considérations géographiques, nous sommes rangés dans la même catégorie. C'est une comparaison qui ne veut strictement rien dire. D'autant plus que la structure de détention de notre dette (77,9% interne versus 22,1% étranger) nous renvoie à deux sources principales de notre sous-développement. La première est que l'orientation d'une partie importante de l'épargne nationale vers le financement des dépenses publiques en prive, dans les mêmes proportions, les entrepreneurs privés cherchant des capitaux pour leurs investissements, surtout que l'Etat, censé représenter un risque nul, attire davantage les investisseurs, et plus particulièrement, les plus prudents d'entre eux. Par ailleurs, en obligeant, via différentes réglementations, les investisseurs institutionnels (assurances et caisses de retraite) à placer une partie significative de l'épargne collectée dans les instruments de dette publique (bons et billets de trésor), l'Etat devient juge (régulateur) et partie (emprunteur). Ainsi, il interfère à sa faveur entre deux opérateurs privés (épargnants et institutions financières), là où il doit être neutre. En obligeant les épargnants à placer une partie de leurs capitaux dans les instruments de dette publique émis par lui, il utilise l'épargne privée pour financer son train de vie (75,5% des dépenses publiques vont au fonctionnement et 24,5% à peine vont à l'investissement). Le remboursement de cette dette se fera naturellement par l'impôt prélevé sur ces mêmes opérateurs privés. C'est la magie de la dette publique. La seconde source de notre sous-développement, en lien avec le fonctionnement de l'Etat, est que l'investissement public affiche des niveaux de rendement tellement faibles qu'ils ne permettent pas d'engager le Maroc dans un sentier de la croissance durable et inclusive. Dans une étude du Haut-commissariat au plan sur le «rendement du capital physique au Maroc», on pouvait lire : «Depuis le début des années 2000, avec l'aisance financière induite par les privatisations et l'importance des revenus en provenance du reste du monde, une autre phase d'intensification capitalistique a été mise en œuvre en liaison avec le lancement de la politique des grands chantiers structurants ayant pour but de donner une impulsion au développement des infrastructures dans les secteurs des transports (ports, routes et autoroutes, voies ferrées, aéroports), de l'énergie, de l'eau et de l'assainissement. Elle est confortée également par des stratégies de développement sectoriel volontaristes pour accroître la productivité de l'économie et par conséquent inscrire la croissance du PIB dans un sentier plus élevé». Or, en dépit de cet effort d'accumulation du capital physique qui a enregistré un taux d'accroissement en volume de 10,6% entre 2001 et 2008 avant de retomber à 1% entre 2009 et 2016, «le taux de croissance économique, en amélioration certes de 4,6% par an, reste cependant en deçà du niveau escompté susceptible de rentabiliser les ressources financières mobilisées en faveur de l'investissement», conclut l'étude. En termes plus simples, l'Etat a mobilisé beaucoup de moyens pour de faibles résultats. En dépit de ce constant effarant de l'échec de l'intervention publique, certains analystes continuent de suggérer un poids encore plus important de l'Etat dans l'économie, avec de la dette en plus. Bref !