A peine 12% des 300 000 ha emblavés en zone bour sont jugés satisfaisants. Certains agriculteurs ont déjà lâché le bétail dans les champs. Dans les zones irriguées, 92% des superficies sont dans un état satisfaisant. S'il est un peu tôt pour se prononcer avec précision, les indicateurs, la pluviométrie notamment, montrent que la campagne céréalière sera, certes, meilleure que la précédente, mais assez médiocre dans l'ensemble. La Vie éco a fait un tour dans la région de Doukkala pour en prendre le pouls. Dans les alentours d'El Jadida, la campagne est verdoyante, mais le contraste est frappant entre l'irrigué et le bour. Dès que l'on dépasse la petite localité de Zaouiat Sidi Smaïl, à 60 km au sud de la capitale de Doukkala, le vert cède la place au jaune pâle. Et après Sidi Bennour en allant vers Abda et au pied du massif des R'hamna ou encore vers Larbaâ de Oulad Amrane, il n'y a presque que de la terre brûlée. Entre ces deux extrêmes, dans certaines parties du bour, certains cultivateurs, comprenant qu'il n'y a rien à espérer, ont lâché le bétail dans les champs. Pour Ali Moulid, directeur de l'Office régional de mise en valeur agricole de Doukkala (ORMVAD), il n'y a pas de quoi pavoiser. «A fin mars, on a eu dans notre région 209 mm de précipitations, soit 37 % de plus que l'année dernière. Mais la répartition est inégale dans le temps. Il y a eu entre 25 et 32 jours sans pluie, selon les parties de notre périmètre». Cette situation se reflète sur les cultures. Pour 92 % de la zone irriguée et cultivée (96 000 ha dont 52 000 ha pour les céréales d'automne), l'état est satisfaisant. Cela concerne aussi bien la betterave (près de 20 000 ha), le fourrage (un peu plus de 12000 ha) que la vigne (425ha), les légumineuses, le maraîchage et le maïs… C'est dans le bour (soit plus de 325 000 ha) dominé à plus de 70 % par les céréales que le tableau vire au noir. L'état des cultures n'est jugé bon qu'à 12 %, moyen à 35 %, médiocre à 37 % et perdu à 16 %, soit 48 000 ha en tout. Pour nombre d'agriculteurs, les aléas climatiques constituent désormais une donne. C'est ainsi qu'ils sont de plus en plus nombreux à diversifier leurs cultures. Abdelaziz Majidi, petit exploitant agricole à quelques kilomètres d'El Jadida, a travaillé une superficie de 6 ha. Il explique qu'il n'a jamais pris le pari de faire une seule culture. Sur les parcelles qu'il a travaillées, il a planté aussi bien de l'oignon que des petits pois, de la fève, de la courgette et de la vigne. Il a réservé 1,5 hectare au blé, mais, dit-il, «je ne vends pas ma récolte de blé, même si, cette année, les prix vont atteindre ou dépasser les 500 DH le quintal. On m'a dit que des intermédiaires proposent ce prix aux agriculteurs du coin et leur donnent même des avances. Moi, je garde mon blé pour ma consommation, de peur d'avoir à l'acheter. Quand je manque d'argent pour d'autres besoins, j'en vends un ou deux sacs». Abdelaziz Majidi qui a aussi deux vaches et un mulet vend directement ses autres produits au marché de gros de Casablanca. Il se rappelle avoir écoulé l'année dernière ses raisins à 7,50 DH et ses oignons entre 3 et 5 DH, selon la période. Mohamed Zaïr, lui, a des terres aussi bien dans l'irrigué à quelques kilomètres d'El Jadida que dans le bour du côté de Sidi Bennour. Sur les terres travaillées, il a choisi de cultiver aussi bien le blé, la betterave que l'aliment pour bétail. Il explique qu'un hectare peut coûter entre 8 000 et 10 000 DH pour la betterave à sucre, par exemple. Bien sûr, dans les meilleures conditions de récolte et de commercialisation, il peut en tirer jusqu'à 20 000 DH de rapport. Mais il y a trop d'aléas: «Une bonne année veut dire 80 tonnes à l'hectare pour la betterave, ce qui équivaut au double d'une année moyenne. Pour le blé, j'ai connu des rendements de 60 quintaux à l'hectare. Même si vous faites une bonne récolte, il faut arriver sur le marché au bon moment pour en tirer le maximum. L'année dernière, j'ai stocké mon blé pour mieux le vendre, mais j'ai dû le revendre à 250 DH après avoir supporté les frais d'emmagasinage». En fait, Mohamed Zaïr est un agriculteur relativement aisé. Cela ne l'empêche pas d'user des méthodes de petits exploitants en prenant soin de ne pas se spécialiser. Bien entendu, il fait toujours de la betterave pour les unités sucrières avec une vente garantie et un prix stable. Mais il se protège en faisant de l'élevage. Ses 16 vaches, qui donnent une bonne centaine de litres de lait par jour dont le prix vient d'être revalorisé à 2,40 DH le litre (contre 2,20 DH), assurent un flux de trésorerie pour les dépenses courantes. C'est que les agriculteurs, s'ils ne tiennent jamais un livre de comptabilité, savent où va chaque centime. De moins en moins d'eau ! Dans la zone sinistrée aux abords de Larbaâ de Oulad Amrane, Saïd et Abdelkrim, deux agriculteurs du coin font du stop pour aller à Sidi Bennour. Ils ont fait le deuil de leur récolte. Tout est perdu par manque d'eau. Saïd, le plus âgé, était technicien dans le délavage textile. Il avait fait quelques économies et est revenu s'installer dans son terroir. Il a fait creuser un puits et a trouvé de l'eau à 60 mètres de profondeur. Cela lui avait coûté 80 000 DH, affirme-t-il. Mais les choses ont si mal tourné qu'aujourd'hui il s'est reconverti en éleveur de volaille. Mais l'activité ne marche qu'en été, quand la demande augmente. Pour ceux qui n'ont pas suffisamment de terre, la situation est plus difficile. Un hectare à la location revient à 2 500 DH par an et le prix d'achat n'est pas loin de 50 000 DH. En irrigué, la même surface est louée à 6000 DH et, pour l'acquérir, il faut débourser 120 000 DH, explique en substance Aziz Lyazigi, ingénieur agronome à l'ORMVA. Avec le manque d'eau, très peu d'agriculteurs osent investir leur maigre épargne, quand ils en ont. A sillonner la région, on se rend compte que Doukkala connaît un grave déficit en eau. Il y a une quinzaine d'années, la dotation d'eau, qui vient essentiellement du complexe hydraulique Al Massira-Al Hansali et des eaux souterraines, était de plus d'un milliard de m3. Cette année, le périmètre de Doukkala-Abda n'a eu droit qu'à moins de 300 000 m3 contre 331000m3 la campagne précédente, et 500 000 m3 pour la saison 2004-2005. Pour le bour, s'il a plu légèrement plus que l'année dernière (209 mm à fin mars), le recul de la pluviométrie est de l'ordre du quart par rapport aux quarante dernières années. Théoriquement, il ne faudrait pas s'attendre à une amélioration en raison du réchauffement climatique. La seule solution serait de repenser l'agriculture au Maroc, en fonction des régions. Abdelaziz, Saïd, Abdelkrim et les autres ont peu d'emprise sur cette question. C'est aux décideurs publics d'agir pendant qu'il est encore temps.