Depuis la parution de sa traduction de «L'hôpital» de feu Ahmed Bouanani, Mohamed Khadiri croule sous les propositions. Journaliste de formation, mais aussi écrivain et poète, le jeune homme converge ses nombreux talents au service d'une traduction contemporaine, fluide et sans tabous. Sa traduction arabe du livre «Un pays pour mourir», d'Abdellah Taïa, paraît sous peu. D'autres projets de traduction d'auteurs marocains francophones sont en cours de finalisation. Vous venez de traduire «Un pays pour Mourir» d'Abdellah Taïa. Pourquoi ce roman en particulier ? En fait, je connaissais bien évidemment l'écriture d'Abdellah à travers ses premiers romans et j'avais lu Un pays pour mourir dès sa parution. Je n'ai, donc, pas hésité quand «La Libraire des Colonnes» m'en a commandé la traduction en arabe. D'abord, parce que je trouve son écriture nécessaire, dans un Maroc en pleine mutation, et que ses premiers livres ont créé une grande polémique lors de leurs parutions, alors que le lectorat marocain est majoritairement arabophone. Je pense que faire passer un texte marocain de langue française vers l'arabe permettra à une grande partie du lectorat marocain de découvrir un des textes de Taïa et de juger sa narration, de manière subjective, au lieu de se fier aux allégations de certains «journalistes» qui ne l'ont même pas lu. Le livre est en phase d'impression et devrait paraître dans quelques semaines. Justement, ne craignez-vous pas la polémique à propos des sujets abordés et qui est souvent suscitée par les écrits sulfureux d'Abdellah Taïa ? Je ne souhaite pas une polémique, car toute polémique est vaine. Mais un débat, autour du roman et de la littérature marocaine qui ose parler de certains sujets considérés comme tabous, est souhaitable. Car il ne peut que consolider la culture de la différence. Pensez-vous qu'il y a des sujets plus faciles à écrire en français qu'en arabe au Maroc ? Les auteurs de langue arabe osent aussi aborder des sujets tabous. Mohamed Choukri en est la preuve et il n'est pas le seul. Sauf que son Pain nu a été censuré au Maroc pendant des décennies. Mais c'est vrai que les auteurs de langue française arrivent plus facilement à publier leurs livres et à avoir un lectorat. C'est bien sûr grâce aux éditeurs, souvent étrangers, qui accompagnent leurs œuvres. Les écrivains de langue arabe ont un peu plus de mal à publier des textes qui osent franchir les lignes rouges. Soit ils ne trouvent pas d'éditeurs qui s'aventurent à publier leurs livres, soit ils s'autocensurent d'emblée, pour plaire à des lecteurs de plus en plus conservateurs et qui sont majoritairement épris par une «poétique» dépassée dans les littératures au travers du monde. Vous avez figuré sur la courte liste des traductions en lice pour le Prix Grand Atlas. Parlez-nous de la traduction de «L'hôpital» de feu Ahmed Bouanani. C'était une belle surprise de figurer sur la courte liste, à côté de noms comme Mohamed Berrada et Mohammed Hmoudane. Ahmed Bouanani est un écrivain majeur dans la littérature marocaine. Son talent était pluridisciplinaire. Poète, romancier, réalisateur, monteur, dessinateur et historien du 7e art! Pourtant, il a fait le choix de se consacrer à son travail, contrairement à d'autres moins talentueux de sa génération, qui se sont imposés dans les champs littéraires et cinématographiques. Heureusement qu'il y a un vrai retour vers lui. La traductrice américaine Emma Ramadan a eu une bourse du prestigieux «Pen Club» pour traduire sa poésie et une traduction de L'hôpital, signée Lara Vergnaud, paraîtra aux USA dans les mois qui viennent ! Vous êtes également en train de traduire «L'homme descend du silence» de Driss Ksikes. Comment choisissez-vous les œuvres à traduire? En fait, il s'est toujours agi de commandes de traduction. Et j'ai été bien chanceux de ne recevoir que des commandes d'auteurs que j'apprécie. Driss Ksikes est l'un des écrivains et journalistes marocains que j'apprécie beaucoup. Pour moi, qui suis aussi journaliste, il était un symbole, durant les années 2000 du journaliste indépendant et il l'est toujours. Il a la qualité d'être discret et de bosser sur des projets passionnants. Quand il a lu la traduction de L'hôpital, il m'a proposé de traduire L'homme descend du silence. C'est un livre qui évoque beaucoup la mer. Je ne vous cache pas mon bonheur de traduire ce texte. L'écho de plusieurs passages résonne en moi. Je travaille également sur le roman de Mohamed Hmoudane Le ciel, Hassan II, et Maman France, qui paraîtra courant 2017, et j'ai eu des propositions de traductions passionnantes durant les deux derniers mois. Je suis un sérial traducteur (rire). On dit que la traduction est une trahison du texte. Jusqu'à quel point avez-vous trahi les auteurs que vous avez traduits ? En arabe, la trahison / «al khiyana» signifie également tromper. Disons donc que je trompe une langue avec une autre. Après tout, une traduction n'est qu'une lecture d'un texte, parmi une infinité d'autres. C'est un jeu aussi. Avec les dictionnaires et les possibilités qui découlent de chaque mot. Je n'espère pas trahir les textes, mais j'avoue tromper la langue avec une autre. Est-ce que la traduction pour vous est une forme de militantisme en faveur de l'accessibilité de la littérature marocaine d'expression française au public arabophone? Pas intentionnellement. Ce n'est que par pur hasard que je me suis trouvé à traduire des textes marocains de langue française. Mais je trouve que c'est une belle chose. Le jour du Roi de Taia, par exemple, a été traduit au Liban. Une belle traduction en arabe, certes, mais qui néglige toutes les spécificités de l'arabe marocain qui résonne dans le texte français. Car il y a toujours une part de l'oralité chez les auteurs marocains de la langue française. J'essaie d'être le gardien de cette oralité et c'est là qu'il y a une forme de militantisme, à mon humble avis. Vous êtes aussi écrivain. Est-ce que traduire ne vous empêche-t-il pas de créer ? Depuis un bon moment, j'ai arrêté d'écrire. Après la publication d'un livre paru chez le ministère de la culture et deux recueils de nouvelles inédites, j'ai déposé la plume. Mais un jour, je reviendrai à mon premier amour...