Aucune statistique au Maroc, mais l'on sait que les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses. Les motivations des personnes qui choisissent de refaire leur vie ont changé avec le temps. Héritage, autorité parentale, relation avec les ex-conjoints…, leur nouvelle vie n'est pas facile ! Sur la cheminée trône la photo de Lamia et Brahim. Elle, en caftan écru, et, lui, en costard noir. Fraîchement unis par les liens d'un deuxième mariage, ils sont entourés par leur progéniture respective : cinq enfants dont quatre filles et un garçon. Cette gynécologue et ce directeur des ressources humaines dans une multinationale se sont rencontrés en 2010 et ont décidé de refaire ensemble leur vie et de refonder une nouvelle famille. Une famille recomposée. «La décision a été difficile, mais nous sommes amoureux l'un de l'autre et nous avons voulu tenter l'expérience», raconte Lamia qui souligne que leur décision a été mûrement réfléchie et préparée. «Nous nous sommes rencontrés à un spectacle de Hassan El Fad au Mégarama, mon fils était dans la même classe que la fille aînée de Lamia. Le coup de foudre...On s'est revu le lendemain, le surlendemain et tous les jours qui ont suivi jusqu'à notre mariage en juillet dernier», confie Brahim, veuf depuis 2005. Avant le mariage, les deux parents ont dû expliquer à leurs enfants respectifs leur désir de s'unir et de fonder une nouvelle famille. «Les enfants, en particulier ceux de Brahim, ont refusé et rejeté l'idée de cette nouvelle vie car pour eux aucune femme ne devait et ne pouvait remplacer leur défunte maman. Ma fille aînée a refusé que je me marie avec le père de son camarade de classe. Mais, nous avons pris le temps qu'il fallait, soit six années, pour expliquer, convaincre et prouver que l'expérience pouvait aboutir. Durant ces six ans, nous avons organisé des sorties, des voyages ensemble et nous avons même envoyé les enfants seuls en voyage pour qu'ils se rapprochent, qu'ils se connaissent mieux», dit Lamia, aujourd'hui maman de cinq enfants : ses trois filles et les deux enfants de son deuxième époux. Des familles recomposées, on en voit de plus en plus au Maroc. Le phénomène existe certes depuis longtemps mais l'on peut dire qu'aujourd'hui il y a de nouvelles motivations pour recomposer une famille. En effet, selon Amal Chabach, psychologue et sexologue, «on assiste à un recentrage de la personne sur elle-même. Du coup, les personnes mettent en avant leur bonheur et on peut dire que les Marocains ne sont plus dans la vision du couple éternel. Donc, le divorce n'est plus une fin en soi et il est plus facile d'envisager de se remettre en couple». Mais qu'en est-il lorsqu'il s'agit d'un veuvage? «Là les choses se compliquent car on ne choisit pas, contrairement à un divorce, d'être veuf. Donc, le conjoint survivant vit toujours avec l'idéalisation du partenaire décédé. Et donc il est plus difficile d'envisager un remariage et pour le parent survivant et pour les enfants», répond Mme Chabach. Et d'ajouter que malgré tout et de manière générale, «compte, et moi-même je suis beaucoup de personnes qui se sont remariées, de plus en plus de familles recomposées. On peut dire que c'est fréquent car l'on est dans une transition vers un recentrage sur le bonheur de soi avec un détachement du qu'en dira-t-on». Travailler son ego et mettre les enfants en priorité Il y a cinquante ans ou même plus, la famille se recomposait pour d'autres motivations, notamment pour des raisons économiques, d'héritage ou encore de responsabilité. Le cas de figure courant était le remariage avec la femme du frère défunt ou la sœur de l'épouse décédée. Les familles acceptaient ce remariage car il y a les enfants, en général jeunes, qu'il faut protéger. Il y a l'incapacité de la veuve à subvenir aux charges de la famille et souvent l'héritage du frère qui doit rester dans la famille. Ce qui conduisait alors à des familles recomposées donnant lieu à des fratries de plus de dix enfants avec les problèmes que cela peut induire en terme de relations, de jalousie et des situations compliquées d'héritage. Tout cela démontre qu'auparavant comme aujourd'hui, il est difficile de refaire sa vie, refonder une nouvelle famille après un divorce ou le décès du conjoint. Difficile certes mais pas impossible, selon les psychologues qui font des recommandations préalables au remariage. Il faut premièrement faire le deuil de son premier mariage soit après un divorce ou après un décès. Ensuite, il faut construire et solidifier le nouveau couple en instaurant la confiance, la communication et la franchise. C'est une première étape primordiale, selon les spécialistes, pour rebâtir une famille et une nouvelle vie, en excluant tout le côté négatif de la première expérience ou pour faire le deuil du décès du conjoint. Par peur de vieillir seules ou pour des considérations matérielles et sociales, de plus en plus de personnes, divorcées ou veuves, optent pour une deuxième union pour protéger les enfants et éviter les préjugés qu'entraîne la vie monoparentale. En l'absence d'une enquête sur le sujet, on ignore le nombre de familles recomposées au Maroc. Mais l'on retiendra, selon des statistiques du ministère de la justice, que chaque année 15% des hommes divorcés se remarient contre 9% de femmes. Les hommes auraient plus de facilité à se remarier et à refonder une famille que les femmes. Celles-ci ont moins de chance de se remettre en couple surtout si elles ont des enfants. En tout cas quand le choix est fait de refonder une famille, il y a des règles à mettre en place. Comment alors gère-t-on une famille recomposée ? «Il faut tout d'abord travailler son ego et mettre les enfants en priorité. Et surtout fixer des règles pour préserver le nouveau couple au cas où les ex-conjoints et les enfants pourraient empiéter sur leurs relations», avance Amal Chabach. Dans la pratique, se posent le problème de l'autorité parentale vis-à-vis des beaux-enfants, le choix de l'appellation du beau parent et l'éducation des enfants. Si, en France, la légalisation de l'autorité parentale dans la famille recomposée se pose avec grande acuité, au Maroc la situation est différente. «Le beau-père en arrive, en général, à imposer son autorité. Mais pour la belle-mère les choses se compliquent davantage, surtout lorsqu'il s'agit de rapports avec les belles-filles», explique Mme Chabach qui souligne qu'il faut «communiquer et établir un climat serein de confiance dans la nouvelle famille». Juridiquement, l'autorité parentale ne pose aucun problème au Maroc dans la mesure où le beau-parent est tacitement tuteur de l'enfant. Du coup, selon un juriste, il peut s'occuper de toutes les affaires administratives, scolaires médicales et sociales de l'enfant. L'arrivée d'un enfant peut aussi bien souder que détruire une famille recomposée Toutefois, l'arrivée du nouveau conjoint pose problème. Les enfants ont besoin de temps pour créer des liens, se rapprocher et enfin accepter. «Après la mort de ma femme avec laquelle je n'avais pas d'enfants, je me suis remarié et ma nouvelle femme, veuve aussi, avait un garçon et une fille. Nous avons vécu dix ans et avons divorcé par la suite, mais je suis toujours en contact avec les enfants que je considère comme les miens et qui m'appellent papa. Ma fille doit se marier bientôt et elle veut que je rencontre son fiancé avant d'officialiser la relation. Mon fils m'a demandé de venir avec lui pour son inscription en France... Je tiens à préciser que je ne vois plus leur mère, nous nous sommes séparés en de très mauvais termes...», raconte Mohamed qui souligne que ses beaux-enfants l'ont dès le départ très bien accepté et l'ont appelé papa. Pour les psychologues, «l'appellation "papa" ou "maman" n'est pas souhaitable, surtout si le vrai "papa" (ou la vraie "maman") participe à l'éducation de l'enfant». Ils conseillent aux beaux-parents de se faire appeler par leur prénom au moins durant les premiers temps. Mais l'enfant doit tout de même comprendre que le beau-père ou la belle-mère a une autorité qu'il faut respecter. Par ailleurs, se pose la question de savoir si on doit traiter ses enfants et ceux du conjoint de la même manière. Pour Lamia et Brahim, le problème ne se pose pas. «Nous avons déterminé les règles du jeu : nous sommes une famille unie et pas de place pour les jalousies, les discriminations ni les préférences pour un tel ou une telle. Donc, les choses sont claires et nous traitons les enfants de la même manière», explique Brahim qui avoue «qu'il aurait certainement eu des difficultés de communication avec sa fille. Je suis un homme et je serais certainement passé à côté de certaines choses. Heureusement qu'il y a Lamia et cela se passe très bien». Et ce couple s'applique à éviter les divergences en matière d'éducation. «Nous parlons le même langage avec nos enfants, nous sommes d'accord sur les bases de l'éducation et nous avons imposé cela aux enfants qui parfois tentent de faire pression sur l'un ou l'autre mais nous restons sur notre position. Ils finissent par lâcher prise et accepter nos décisions», indique Lamia qui, même si elle est satisfaite de la réussite de leur famille recomposée, craint parfois un clash ou une crise qui pourrait compromettre cette entente et briser l'équilibre familial. Celui-ci pourrait être ébranlé, et c'est là un sérieux problème pour les familles recomposées, par l'arrivée d'un demi-frère de la deuxième union. Si elle peut souder la famille, elle peut parfois en provoquer l'éclatement pour des raisons de jalousie. Selon les psychologues, «la venue de l'enfant peut engendrer un sentiment de délaissement chez les aînés. Pour éviter cela, il faut parler du désir du couple d'avoir un enfant et surtout expliquer que cela ne changera en rien leurs sentiments envers les aînés». Selon les praticiens, plusieurs couples viennent pour un accompagnement en cas de grossesse mais aussi plus fréquemment pour gérer l'autorité parentale au sein de la famille. Enfin, outre l'éducation, l'autorité parentale, la venue d'un demi-frère, dans la famille recomposée peut également poser des problèmes d'héritage. Mais il importe de préciser, selon les adouls, «que cela reste plutôt spécifique au cas où une veuve se remarie avec le frère de son défunt époux. Il faut préciser que les mariages se font dans le cadre de la séparation des biens, donc il est rare d'avoir des soucis à ce niveau si ce n'est dans des familles vivant en milieu rural». Selon les familles rencontrées, refonder une famille est positif car cela donne une seconde chance de revivre après le décès d'un conjoint, de se reconstruire après une mauvaise première expérience, mais elles avouent que le mode de fonctionnement et la gestion peuvent s'avérer parfois difficiles. Cependant, elles concluent que «la communication, la franchise et le respect de l'autre et son acceptation sont la voûte de la famille recomposée».