La fête du Trône a été l'occasion pour le roi Mohammed VI de lancer plusieurs messages politiques à ses détracteurs comme à ses partisans. Décryptage avec Youssef Belal, politologue Acte I : Le roi dresse l'agenda politique Les faits. Samedi 30 juillet, à midi trente, les médias officiels diffusent le discours du trône pré-enregistré. Accompagnée de son frère le prince moulay Rachid, le roi lit un discours fleuve pendant 20 minutes. A retenir : les partis politiques sont appelés à faire leur mue, les échéances électorales vont se tenir selon un planning «rigoureux», c'est-à-dire que l'élection des deux chambres du parlement doit être bouclée avant fin 2012. Une recommandation royale qui sonne comme un désaveu pour les islamistes du PJD qui refusent avec force la tenue d'élections législatives en octobre prochain. L'autre passage qui a retenu l'attention est celui adressé par Mohammed VI aux «nihilistes». Tout en reconnaissant «qu'une application optimale de la nouvelle Constitution bute, à l'instar de tout processus historique, sur quelques difficultés et autres écueils», le roi prévient : «la confiance et l'adhésion à l'action collective doivent prévaloir sur les tentations démobilisatrices, démoralisantes et nihilistes, et sur les pratiques mystificatrices éculées». Un message à peine voilé adressé au Mouvement du 20 février qui continue à manifester pour exiger plus de reformes. L'analyse de Y. Belal. «Dans ce discours, qui est très en deça de celui du 9 mars, le roi continue de définir de manière unilatérale les enjeux politiques, conforme aux intérêts de la monarchie et à ceux des groupes proche d'elle. Ces recommandations qui émanent de ses conseillers et du palais, n'ont aucune légitimé démocratique. Nous sommes dans une conception autoritaire et despotique du pouvoir. Appeler au renouvellement des élites est une contradiction de la part de la monarchie. Aux yeux du pouvoir, cette question voudrait dire avoir une nouvelle élite qui a une base populaire mais soumise à la monarchie, ce qui impossible. D'ailleurs le PAM a essayé de créer un lien entre l'Etat et la société dans un régime autoritaire, mais il n'a pas réussi. L'émergence d'une nouvelle élite passe par le changement du rapport au palais». Acte II : Le roi célèbre la DST et Mawazine Les faits. Samedi toujours, le roi décore plusieurs personnalités. Si les années passés, les people retenaient l'attention, cette année les projecteurs se sont braqués sur les responsables sécuritaires, spécialement Abdellatif Hammouchi, directeur général de la surveillance du territoire (DGST) et Mohammed Erraji, contrôleur général de la DGST. Les deux hauts responsables ont été décorés respectivement du ouissam Al Arch de l'ordre d'Officier et du ouissam de la récompense nationale "Al Moukafaa Al Wataniya". Pourtant la DGST a été très critiqué par les manifestations depuis le 20 février et par les ONG de défense des droits humains pour ses pratiques de détention et d'interrogatoire jugées «illégales». Les honores ont été accordé aussi à des gradés issus des corps de la Sureté nationale, de la Gendarmerie royale, des Forces auxiliaires et de la Protection civile. L'autre nom qui n'est pas passé inaperçu, c'est Nadir El Khayat "Red-One", producteur et compositeur aux Etats-Unis, lauréat de "Grammy Award 2011. Ce producteur, très impliqué dans la programmation du festival Mawazine, est décoré par l'ouissem du mérite intellectuel. L'analyse de Y. Belal. « Bien que Mawazine et la DST ont été la cible des manifestants, le pouvoir réaffirme sa confiance aux responsables et acteurs de ces structures. Pour l'assainissement de l'appareil sécuritaire, comme pour l'utilisation de l'argent public, le roi ne répond pas aux revendications et donne des signes de continuité». Acte III : Une cérémonie de soumission Dimanche après-midi à la place du mechouar au palais royal de Tétouan, le roi Mohammed VI s'est offert une beyâa (allégeance) dans le strict respect de la tradition du Makhzen. Décevant ainsi, les observateurs qui s'attendaient un allégement du protocole de cette cérémonie. Taieb Cherqaoui, ministre de l'Intérieur et chef de fil du Makhzen, accompagné par les walis et gouverneurs des wilayas, préfectures et provinces du royaume, ainsi que les walis et gouverneurs de l'Administration centrale ont prêté allégeance en premier. Avant d'être suivi par les délégations représentant les 16 régions, préfectures et provinces du royaume venues renouveler l'allégeance à Amir Al Mouminine. Ce cérémonial est lourd de sens comme l'écrit l'hebdo Telquel : « […] les élus de la nation sont noyés au milieu de la masse des autres notables. Le Premier ministre est ainsi protocolairement supplanté par le ministre de l'Intérieur et l'existence du corps parlementaire est symboliquement niée. La bey'a revêt dès lors une signification territoriale et non représentative, autoritaire et non démocratique. Visuellement et symboliquement, cette très belle cérémonie, à la limite de la chorégraphie, tient plus de la soumission à sens unique que du pacte réciproque». L'analyse de Y. Belal. «On ne peut utiliser des références démocratiques dans un discours et le lendemain orchestrer un rituel de servitude».