Au vu des conditions dans lesquelles le processus référendaire pour la ‘'révision constitutionnelle'' s'est passé au Maroc, depuis l'annonce de « réformes profondes » faite par le roi le 9 mars 2011 à la publication des résultats officiels du vote du 1er juillet, chacun peut faire le constat, rien que du point de vue des chiffres, que le Royaume chérifien, comme on dit encore en France, a fait de grands pas vers….le passé. Le score de 98,5 % annoncé pour le Oui, normal dans l'ex-Union Soviétique, ou dans la Tunisie de Ben Ali ou encore l'Egypte de Moubarak, fait incontestablement tache aujourd'hui que les régimes staliniens ont quasiment tous périclité en Europe de l'est ou que la plupart des autocraties se sont écroulées, ou sont en train de le faire, dans le monde arabe et ailleurs. Les stratèges du Oui à Rabat, hommes qui semblent toujours venus du passé ou qui sont encore complètement cloisonnés dans ses entrailles, n'ont pas compris que le monde, et la société marocaine avec lui, a changé. Tout en faisant des mots « modernité » et « démocratie » leurs éléments de langage essentiels, ils ne paraissent pas avoir saisi que des scores fleuves sont passés définitivement de mode, qu'ils ne disent plus rien, ou, au contraire, donnent des arguments de réfutation nombreux à tous ceux qui doutent de la bonne foi officielle, des promesses de réformes faites à la hâte avant d'être remballées dans les coulisses d'une commission ad-hoc ou lors du décompte final de voix dans des bureaux de vote. Et, en tous les cas, mettent en avant l'argument ultime que tout ce cirque n'est, finalement, qu'un attroupement de clowns bien tristes, parce que vieillis et décolorés. Ces mêmes stratèges ne disposent ni de l'intelligence du moment ni de la finesse nécessaire qui leur auraient permis de savoir et de comprendre qu'un score de 80 ou 85 % ou même de 51 ou 55 % a plus de force et de probité démocratiques, en toutes circonstances et dans toutes les aires, que des 90 ou 95 ou près de 99 %. Soit des pourcentages qui disent autant la peur et l'inquiétude attachées aux suffrages librement exprimés que l'ampleur des manipulations qui auraient tenté de changer leur portée. Dans les conditions sociologiques et politiques du Maroc actuel un score de 55 % ou encore de 85 % de Oui pour une réforme constitutionnelle proposée par le roi aurait été plus plausible et, dans tous les cas, moins attaquable, plus facilement défendable et donc nécessairement mieux opposable, aux amis, aux partenaires comme aux adversaires. A supposer qu'on puisse donner ce qualificatif aux jeunes marocains descendus, nombreux, dans les rues de la plupart des villes du pays, depuis le 20 février 2011, comme réponse effective au ‘'printemps arabe'' qui ne pouvait pas ne pas concerner le Maroc. Un score de 90 % et au-delà, en plus d'insinuer a priori qu'il est fondé sur la triche et la manipulation des urnes, indique un retour franc aux années noires du ‘'jeu démocratique'', un réel mépris de la valeur effective du vote populaire et une volonté officielle – dans tous les cas, de certains cercles du pouvoir - tenace de ne rien admettre qui puisse réformer un tant soit peu les bases institutionnelles du système, ses principes fondateurs et ses modes de fonctionnement. La réforme constitutionnelle proposée aux Marocains a été enclenchée dans la précipitation. Après le discours royal du début mars 2011 qui a, malgré tout, entrouvert pour les plus optimistes un espoir ténu de réponse positive aux revendications du « mouvement des jeunes du 20 février » pour ‘'Une réforme constitutionnelle, donnant plus de pouvoirs au gouvernement et au parlement, l'indépendance de la justice, la fin de corruption et de l'économie de rente, moins de religion dans la sphère politique et une répartition moins inégalitaire des richesses nationales, etc…'', le texte distribué à la suite du discours du 17 juin a fait machine arrière, à l'exception de quelques mesures de pure forme. Le roi, en effet, garde l'essentiel des pouvoirs qui lui étaient reconnus par l'ancienne constitution. Il se voit, en outre, renforcé dans ses prérogatives par la présidence du Conseil de sécurité intérieure, celle du Conseil supérieur de l'autorité judiciaire, celle du Conseil des Oulémas, élevé par la même occasion, à une instance constitutionnelle. Et comme préalable à cette intrusion, qui est l'exact contre-pied de ‘'l'Etat civil‘' tel que demandé par la gauche démocratique marocaine, l'Islam devient la Religion d'Etat, soit une concession magistrale au parti islamiste du PJD, l'un des plus réactionnaires du pays, dont on voudrait qu'il calme son opposition à droite de la droite, dans le futur. Quant aux conditions où s'est passée la campagne référendaire, programmée dans la hâte et organisée – en forme de rouleau compresseur - de telle sorte que seuls les tenants du Oui (de l'USFP, au PPS, en passant par l'Istiqlal, le PJD et autre PAM) fassent entendre leurs slogans et leurs voix, elles ont surtout été marquées par des nouveautés qui ont consisté dans l'implication officielle des mosquées en faveur du projet de constitution, dans le recours aux Zaouis (dont celle des Boutchichis), dans le même objectif et aussi dans un but plus général de créer une espèce de ‘'fitna'' en opposant les islamistes adoubés à ceux d'El Adl Wa Al Ihsane, ainsi que dans le recrutement de voyous pour ‘'casser'' les manifestations du mouvement du 20 février (à l'image de ce qui s'est passé sur la Place Tahrir, au Caire, le 11 février 2011). Et maintenant que tout reste à faire, que faudra-t-il faire ? Avec une nouvelle constitution qui lui donne tous les pouvoirs, le roi, plus que jamais est responsable de tout. C'est à lui qu'il revient de créer des emplois, de faire faire tourner la machine économique pour créer des richesses dont les plus pauvres ont toujours grandement besoin, pour redresser le système scolaire et éducatif du pays, pour éradiquer la corruption, réduire l'économie de rente, dont des intérêts qui sont très proches de la cour sont les principaux bénéficiaires en plus de quelques responsables politiques en vue, un peu partout sur l'échiquier des partis au gouvernement à l'heure actuelle, USFP comprise. Et si demain la crise s'aggravait encore plus, si demain une série d'années de sécheresse advenait après les années de bonne pluviométrie, si demain le gouvernement qui sera mis en place ne parvenait pas à fiancer les dépenses inconsidérées, engagées depuis le début de l'année 2011, pour acheter paix sociale et politique, si demain… Que fera-t-on alors face à la révolte de la rue, devenue insensible aux promesses sans lendemain, elle qui ne demandait que de réformer en profondeur un système de pouvoir qui a rarement répondu à ses attentes économiques, sociales et politiques, pour plus de dignité et un peu de bien-être. Lui enverra-t-on les chars, comme ce qui est en train de se passer à l'heure actuelle en Syrie, mettra-t-on en place les ingrédients de la guerre civile, comme ce qui se développe de puis quelque temps en Libye ou au Yémen. Ou demandera-t-on, par exemple, l'aide de la France…cette France officielle dont on a vu la réaction toute en frilosité suite aux chutes de Ben Ali et de Moubarak, mais qui soutenait mordicus les mêmes tant qu'ils étaient au pouvoir. Elle qui dit aujourd'hui, par la voix de son Président, que les ‘'réformes engagées au Maroc'' sont historiques, alors qu'elles ne font pas bouger le pays d'un iota, préservant par là des intérêts français, justement de plus en plus importants et souvent acquis par l'entremise de l'économie de rente. Celle-là même contre laquelle manifestent les jeunes du 20 février, notamment lorsqu'ils scandent ‘'Véolia dégage‘' ou ‘'Lydec dégage‘'. Membre du Bureau politique du PSU, chargé des relations internationales. Rabat, le 4 juillet 2011