A quoi sert la longue litanie des libertés et des droits fondamentaux dans la Constitution marocaine de 2011 ? Le discours officiel la présente comme une « véritable Charte, ancrée au référentiel universel des droits de l'homme ». Théoriquement, ce n'est pas tout à fait faux. Mais théoriquement seulement. Car en fait, la réalité et selon l'expression consacrée, cela ne mange pas de pain tant cette énumération n'est pas suivie d'effets et qu'elle n'a rien changé, dans la pratique, à la situation des droits de l'homme au Maroc par rapport au passé. Un passé lourd, marqué par les violations, les exactions et les abus en tout genre au rythme des humeurs des détenteurs du Pouvoir. Car surtout, ce qui est important n'est pas de consigner cette litanie de droits dans un texte aussi constitutionnel soit-il, mais de les mettre réellement en œuvre, de les respecter et de garantir aux citoyens la possibilité et la liberté d'en profiter dans un climat politique démocratique. L'actualité est là, têtue pour le rappeler chaque jour de façon indiscutable. Prenons seulement quelques exemples. Ceux tirés des articles qui garantissent constitutionnellement la liberté d'expression, la liberté de la presse ou les libertés de réunion, de rassemblement et de manifestation pacifique (articles 25, 28, 29). Ces articles proclament que la liberté d'expression est garantie sous toutes ses formes, que celle de la presse ne peut être limitée par aucune censure, et que les autres sont garanties en tant que telles, au moins comme le droit de grève, autre droit fondamental, auquel elles ont été assimilées dans le même article. Ces dispositions constitutionnelles, chacune pour le domaine qu'elle couvre, sont vitales pour toute construction démocratique. Liberté pour Ali Anouzla Pourtant, loin de ces professions de foi et de ces déclamations la main sur le cœur, les libertés de presse et d'expression garanties pourtant par la Constitution, ont été avec l'affaire Ali Anouzla malmenées comme si le Maroc vivait encore dans un obscur déni de justice et d'Etat de droit. Les charges retenues contre l'une parmi les plumes les plus intègres du pays pour avoir fait honnêtement son travail de journaliste, sont très lourdes. Des charges qu'à peine aurait osées un tribunal militaire américain contre un combattant directement appréhendé à Kandahar. En tout cas et en toute bonne logique juridique, les faits qui lui sont reprochées d'après les éléments révélés et relatés par la presse marocaine et étrangère, sont loin, très loin formellement de constituer des éléments d'infractions pour lesquelles il est poursuivi. Cela est vrai indiscutablement si on rapporte ces faits au droit pénal marocain. Et cela, l'est encore plus si l'on se réfère à cette loi scélérate et liberticide dite antiterroriste. Cette loi dans sa version marocaine zélée ne mérite en fait qu'on en parle que pour en demander l'abrogation. Plus grave, la privation de liberté dont Ali Anouzla est victime s'annonce de durée imprévisible. Et c'est ce qui explique et justifie que les lourdes charges retenues contre lui, ont eu comme premiers effets dévastateurs de faire lever une bronca et une protestation collective, nationale et internationale, d'une ampleur jamais vue. En profondeur et même durablement, cette décision de le priver de liberté avant jugement est en train de polluer gravement la réputation d'un pays dont l'image déjà n'en peut plus. Pour y remédier, une seule et unique solution. Ali Anouzla doit d'urgence être libéré. La gestion par le Pouvoir en place des autres libertés tout aussi constitutionnelles, de réunion, de rassemblement et de manifestation pacifique, n'est pas moins désastreuse. Le dernier exemple en date de cette gestion funeste et qui n'efface pas ceux qui l'ont précédé, relève de la pure cruauté. Les manifestants pacifiques contre la grâce accordée injustement à un abjecte pédophile ont été attaqués et réprimés furieusement dans le sang. Or, que défendait le Pouvoir ce jour là ? La justesse de la décision de grâce qui, à cause de ces manifestants justement, a été finalement annulée ? La volonté de montrer que le Pouvoir est capable de mobiliser et de lâcher des forces répressives sans retenue, même si l'objet de la manifestation est légitime ? En procédant comme il l'a fait, en envoyant aux hôpitaux et aux services d'urgences des militants pacifistes baignant dans leur sang, il a, là également de façon lamentable, terni encore plus son image et pollué celle de tout un pays. Que valent les libertés proclamées ? Avec ces exemples et ces agissements, se sont des libertés co-substantielles de la démocratie qui sont fracassées. Posons alors une question simple et néanmoins fondamentale. Cette question est la suivante. Que représentent clairement dans la vraie vie la Constitution et les droits et libertés qu'elle proclame. Si tous ces agissements continuent comme par le passé, cela veut dire que la Constitution n'a été qu'une promesse sur papier, le temps de refroidir les ardeurs d'un certain Mouvement revendicatif, celui du 20 Février 2011, et que ceux qui l'ont proposé n'avaient pas la moindre intention de tenir leurs promesses. Pire, ce comportement qui ignore l'obligation de respecter et de promouvoir les droits et libertés nouvellement consacrés par la Loi Fondamentale du pays, peut annoncer que d'autres aspects de l'organigramme constitutionnel peuvent subir le même sort. D'ailleurs, la pratique constitutionnelle et la mise en œuvre des rapports entre les pouvoirs le démontrent à plusieurs occasions. Certains constitutionnalistes le soulignent continuellement. Il est vrai au risque de se voir voués aux pires gémonies par les gardiens du non-changement. Les partis politiques par contre, devant cette situation marquée par ces violations des droits et libertés, cette répression disproportionnée des manifestations pacifiques et cette interprétation étriquée de la Constitution, préfèrent regarder ailleurs et opter crânement pour la subordination à l'égard du Pouvoir en place. Parmi ces partis, on remarque particulièrement ceux entrés au gouvernement et qui n'auraient jamais pu y arriver sans le vent qu'a soufflé le Mouvement du 20 Février. Ils doivent pourtant savoir qu'avec leur subordination servile, ils sont en train de signer leur état de déchéance avancée. Que leur histoire est une histoire de décrépitude précoce et annoncée. Comme l'ont vérifié d'autres partis politiques avant eux, entrés au gouvernement en position de dominés. Bien sûr, le texte de la Constitution de 2011 n'est pas sans défauts majeurs. Il a été dit ailleurs qu'il n'est pas un texte fondateur d'une véritable démocratie. L'équilibre des pouvoirs n'y est ni rationnel ni suffisamment équitable compte tenu ne serait-ce que de la nouvelle reconnaissance de la souveraineté du peuple qu'elle a opéré. Beaucoup en son temps l'avaient refusé à cause justement de ces défauts ; d'autres l'ont voté en majorité. Sous la pression, il a donc enfanté cette « Chatre des droits et libertés fondamentaux de la citoyenneté » qui est censée affermir « les libertés dignes des sociétés démocratiques avancées » selon ce qu'en dit sa note de présentation officielle. Cette proclamation inviterait presque à considérer qu'il y a, au Maroc, un avant et un après 2011. En fait, si cette note de présentation officielle avait un brin de consistance, cela devrait vouloir dire en clair que l'Etat est désormais débiteur de ces droits et libertés et que les citoyens sont fondés à en réclamer le respect. Et que par ailleurs, le Pouvoir devait, dès la promulgation du texte constitutionnel, éviter d'exercer toute violence ou répression illégitimes à l'encontre de ses citoyens. Rien ou presque de tout cela n'a été vérifié dans la réalité. Les exemples de l'affaire Ali Anouzla poursuivi sur la base de la loi antiterroriste parce qu'il a essayé d'informer ses lecteurs en exerçant honnêtement son métier, et de la répression de la manifestation pacifiste du 2 août contre la grâce accordée à un pédophile, montrent à l'évidence que ces droits et libertés proclamés ne sont que promesses non tenues qui ne changent rien aux manières, aux habitudes et aux comportements répressifs du Système politique en place. Pour lui, la Constitution de 2011 ne l'engage pas au point de changer sa façon d'exercer le pouvoir. Il n'y a pas un avant et un après. Pour lui, 2011 n'a jamais existé.