Tamarod est le nom de ce mouvement à l'origine de l'appel à manifester le 30 juin contre le régime du président égyptien Mohamed Morsi. L'idée du mouvement a commencé à germer chez des jeunes marqués par la révolution du 25 Janvier. Comme le mouvement "6 Avril", Tamarod a lancé sa mobilisation à partir du réseau social Facebook. Dans un petit bureau au cœur du Caire, la capitale égyptienne, Lakome a rencontré trois jeunes du mouvement Tamarod. La rencontre a eu lieu au siège du Réseau Arabe pour l'Information sur les Droits de l'Homme (RAIDH), dirigé par le militant droit-de-l'hommiste Gamal Eid. On est à la mi-mai 2013. Walid al-Masri, un jeune militant en herbe, résume le concept du mouvement : "c'est une conscience nationale, un rassemblement qui ne tend pas à diviser mais plutôt à porter la voix de tous les Egyptiens." L'idée, résumée par Walid sera développée par son camarade Hussam Hindi. Pour ce dernier, «la constitution égyptienne n'est pas arrivée à cristalliser notre espoir collectif et c'est la raison pour laquelle une vingtaine de jeunes ont lancé cette initiative. On craignait une escalade des violences à cause du mécontentement populaire croissant contre le pouvoir de Morsi, en particulier chez les jeunes «ultras» mais aussi chez ceux qui souhaitent rétablir le pouvoir militaire». En effet, un autre mouvement avait précédé Tamarod pour tenter de recueillir des mandats en faveur d'Abdel Fattah Es-Sissi, ministre de la défense et commandant en chef des forces armées égyptiennes. La manœuvre tendait à mandater le militaire pour gouverner à la place de Morsi. Cette initiative consistait à inviter les gens à se déplacer chez un conseil juridique réputé du Caire pour signer un mandat en faveur d'Es-sissi. Cela a été interprété par les jeunes de Tamarod comme une préparation à un coup d'Etat militaire manigancé par des forces invisibles. 16 millions de formulaires Les jeunes de Tamarod ont pensé à contrecarrer la tentative de putsch en adoptant une idée simple et similaire. L'enregistrement des mandats dans les bureaux d'agences foncières nécessitant 12 Livres égyptiennes (environ 2 dollars), ils ont opté pour l'impression de formulaires portant les revendications du mouvement et qui se résument dans ce qui suit : « Par ce que la sécurité est perdue...nous ne voulons plus de toi, parce que le pauvre qui n'a pas de toit... nous ne voulons plus de toi, parce que les droits des martyrs sont bafoués....nous ne voulons plus de toi, parce qu'il n y a plus de dignité dans mon pays, nous ne voulons plus de toi...parce que l'économie s'écroule, nous ne voulons plus de toi, parce que l'Egypte est toujours aux ordres des américains, nous ne voulons plus de toi » L'idée est alors venue de réunir le plus grand nombre de signatures avec de vrais noms et des numéros d'identité authentiques. Dès le premier mois, plus de 2,2 millions de signatures ont été recueillies dans toute l'Egypte. 13000 volontaires ont été mobilisés pour cette action. Parallèlement un site web et une page Facebook ont été développés sous le nom « Tamarod ». 230 mille fans en un mois. Un formulaire sécurisé a été mis à la disposition des internautes sur le site web et sur la fan page de sorte que les doubles inscriptions et les falsifications des 14 numéros d'identité soit impossibles à effectuer. En deux mois, le nombre de formulaires physiques et électroniques a dépassé les 13 millions. Le 30 Juin, ce chiffre atteignait les 16 millions.. Les médias égyptiens, qu'ils soient indépendants, anti-Morsi, ou hostiles aux Frères Musulmans ont soutenu les revendications du mouvement. Dès lors, une forte mobilisation populaire, politique et médiatique s'en est suivie. A partir de là, les jeunes du mouvement commencent à être victimes de menaces. Un local mis à la disposition du mouvement dans la ville du Caire par un homme d'affaires sera d'ailleurs incendié. Suite à cela, le « front du Salut », anti-Morsi réunissant des gauchistes, des nassériens, des libéraux et des éléments de l'ancien régime va ouvrir au mouvement Tamarod les portes d'un nouveau local. Selon Islam Houmame, l'idée de Tamarod se résume à mobiliser les Egyptiens le 30 Juin pour marcher sur le palais d'Al Ittihadia, le palais présidentiel, afin de brandir le «carton rouge» face au président et lui dire «Dégage». Islam poursuit en affirmant que le souci des organisateurs pour ce type de manifestations est qu'elle se déroule de manière pacifique. Ils appellent les participants à dévoiler leurs visages et de ne pas se cacher derrière des masques. Pour lui, ceux qui vandalisent des postes de polices ou des bâtisses gouvernementales ne font pas partie du mouvement. Une conscience collective Au début de sa mobilisation, les Frères musulmans considèrent Tamarod comme un allié du « front du salut » qui s'oppose au président Morsi. Ils pensent aussi que des personnalités de l'ancien régime manipulent le mouvement. En réponse à ces accusations, Walid Al Masri déclare : "nous ne sommes pas un parti ou un mouvement commandé par des calculs politiciens. Nous représentons une conscience collective qui propose des idées nouvelles. Celles-ci ont obtenu l'adhésion de l'écrasante majorité du peuple égyptien", avant d'ajouter: "notre projet n'est pas un projet de destruction mais un projet de construction. D'ailleurs, une grande partie des mouvements islamistes nous soutiennent y compris une partie des Frères musulmans". S'agissant de la coopération du mouvement avec le front d'opposition au Président Morsi, Walid explique : «nous sommes pour la coopération avec toutes les forces du pays et pour le renforcement du front de l'opposition populaire», et de poursuivre : «nous nous considérons comme le prolongement du mouvement Kifaya, qui s'est opposé au régime de Hosni Moubarak, et du mouvement 6 Avril qui a été à l'origine de la chute de l'ancien régime. Ces deux mouvements font aujourd'hui partie du Front du Salut qui s'oppose au régime de Morsi et c'est un objectif que nous poursuivons également.» Hussam El Hindi, quant à lui soutient : «nous défendons le principe que la jeune génération à l'origine de la révolution du 25 janvier soit aux commandes de la révolution et non aux commandes des affaires de l'Etat». Avant d'ajouter «nous avons senti que le peuple égyptien a perdu confiance dans le pouvoir en place. Un an seulement après le gouvernement Morsi, on compte plus de 1200 martyrs, 3000 détenus, et aucune des revendications des Egyptiens en termes de dignité et de justice sociale n'a été réalisée". Interpellé sur les inquiétudes du mouvement à voir le pays sombrer dans la violence, Walid répond : "nous sommes contre la violence. Si les Frères nous attaque, nous sommes résignés à ne pas réagir. Par contre, ce que nous craignons effectivement, c'est que des entités de l'ancien régime ou des éléments du salafisme combattant profitent de la situation pour semer le chaos et discréditer les revendications du mouvement et son pacifisme".