L'ex-ministre des Finances et le Trésorier général du royaume s'étaient attribués des « extra primes » de 80 000 DH/mois, issues des caisses noires de la TGR. Les fonctionnaires qui ont révélé l'information sont eux toujours poursuivis devant la justice pour violation du secret professionnel. Le Procureur Général du Roi près la Cour d'appel de Rabat a décidé de classer sans suite la plainte déposée par des associations marocaines (dont Transparency Maroc) contre l'ancien ministre des Finances Salaheddine Mezouar et le Trésorier général du Royaume, Noureddine Bensouda. En juin 2012, le quotidien Akhbar Al Youm avait révélé que les deux hauts responsables s'étaient mutuellement attribués en 2010, par simple décision écrite, des primes d'un montant de 80 000 DH/mois net d'impôts, qui venaient s'ajouter à leurs salaires et indemnités respectifs. L'argent était prélevé sur le compte «Fonds particulier» de la Trésorerie générale du royaume (TGR), sur lequel est versé le produit des activités bancaires de la TGR et qui fait partie des caisses noires du ministère des Finances. Le parquet a motivé sa décision en se référant à un arrêté du Résident général français au Maroc, datant de 1949 (modifié depuis) et instituant ce fonds particulier au profit du Trésorier général. Le Procureur Général du Roi explique dans sa lettre adressée le 7 Juin dernier aux ONG demanderesses (et dont Lakome détient une copie), que la détermination des émoluments et autres indemnités échangées entre Mezouar et Bensouda ainsi que leur mode de déboursement avaient une base juridique qui remonte à cet arrêté du 17 décembre 1949. Le parquet explique qu'il s'agit de "procédures administratives" qui échappent au champ de la loi pénale. La divulgation de ces informations avait soulevé un tollé médiatique dont les répercussions n'ont pas fini de se manifester, surtout après la décision du ministère public de poursuivre les ingénieurs à l'origine de cette affaire pour «divulgation de documents confidentiels». Leur procès est toujours en cours. Parallèlement, un comité formé de 14 ONG s'est constitué pour porter plainte contre Mezouar et Bensouda soupçonnés de dilapidation d'argent public Que fait Ramid ? En réaction à la décision du parquet, le réseau marocain pour la protection de l'argent public (RMPAP) et le comité de solidarité avec les ingénieurs à l'origine des fuites, ont déposé une nouvelle plainte auprès du juge d'instruction qui, selon les dispositions du code de procédure pénale, est habilité à convoquer les personnes concernées devant la police judiciaire afin d'être soumises à une enquête. Il est important de signaler les discordances qui opposent la décision du Procureur Général du Roi et les précédentes déclarations faites par le Ministre de la Justice, Mustafa Ramid au quotidien Akhbar Al Youm dans lesquelles il affirmait que le dossier Mezouar et Bensouda avait été transféré à la BNPJ qui procéderait aux enquêtes nécessaires. S'agissant de leur convocation effective devant la BNPJ, Bensouda a été auditionné le 24 juillet 2012. Mais la décision du parquet mentionne qu'il a été uniquement question d'étudier les informations contenues dans la plainte pour conclure que l'affaire relève de «mesures administratives» et doit être classée sans suite. Les auteurs de la plainte ont donc décidé d'envoyer une lettre au ministre de la Justice, en sa qualité de Chef du ministère public, au cas où l'irrégularité de ce classement sans suite est établie. Primes illégales La décision rendue par le Procureur Général est en effet en contradiction non seulement avec les dispositions de la nouvelle Constitution mais également avec le discours officiel qui appelle à lutter contre la corruption et la dilapidation de l'argent public. Par ailleurs, cette décision est contraire à la Convention des Nations Unies relative à la lutte contre la corruption et dont le Maroc est partie. Fondées sur de simples décisions ministérielles, de surcroît non publiées, ces primes se trouvent en non-conformité avec les dispositions de l'article 26 du statut général de la fonction publique qui dispose : «La rémunération comprend le traitement, les prestations familiales et toutes autres indemnités ou primes instituées par les textes législatifs ou réglementaires». Aux termes des dispositions de cet article, les fonctionnaires ne peuvent bénéficier d'aucune indemnité autre que celles fixées par une loi ou un décret. Ces règles ont été réaffirmées de façon encore plus tranchée pour ce qui concerne les hauts fonctionnaires par l'article 3 du décret du 19 janvier 1976. Il en a été de même pour ce qui concerne les ministres par le décret du 23 avril 1975 qui fixe de manière précise les rémunérations des membres du gouvernement, ne laissant place à aucune possibilité de percevoir d'autres indemnités. Les documents ordonnant le déboursement des indemnités ne sont pas conformes à la décision du parquet En analysant les deux lettres signées par Mezouar et objets de la fuite, ces dernières ne font pas mention de la décision du Résident Général de 1949 sur laquelle s'est appuyé le parquet pour justifier de telles indemnisations. En revanche, les deux documents renvoient, d'une part au décret royal du 27 Avril 1967 qui institua le régime général de la comptabilité publique, et d'autre part, à une décision du ministre des finances non publiée et signée par l'ancien ministre, le 9 Janvier 2008. Or, on s'aperçoit que ces textes ne peuvent être considérés comme des fondements juridiques justifiant les indemnités octroyées mutuellement par Mezouar et Bensouda. En ce sens que ni le décret royal instituant le régime général de la comptabilité publique, ni la loi organique relative à la loi de finances telle que modifiée et complétée par la loi organique du 19 avril 2000, ne permettent au ministre des Finances de créer de nouvelles dépenses ponctionnées sur les recettes des comptes de dépôts et de bénéficier avec ses collaborateurs d'indemnités faramineuses. Afin de mettre un terme à l'opacité qui règne, la loi de Finances 2013 prévoit d'ailleurs d'intégrer les comptes spéciaux du ministère des Finances au budget général à partir de 2015. La reddition des comptes, éthique et politique En supposant que le Procureur Général du Roi réussisse à manipuler les textes juridiques en faveur d'un classement sans suite du dossier en évitant à Mezouar et à Bensouda des poursuites pénales, il demeure que pour des considérations éthiques et politiques, ces deux là devront s'expliquer de leurs interprétations extrêmement libérales de ces textes administratifs pour s'octroyer des indemnités publiques de cet ordre, surtout dans un contexte de crise accrue dans un pays où le dixième de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et où la moitié des habitants vivent dans des conditions de précarité.