L'historien français analyse la crise actuelle au sein du gouvernement marocain dans une interview accordée ce mardi à Radio Vatican. Pierre Vermeren, historien français, professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur de plusieurs ouvrages sur le Maroc, a accordé une interview audio ce mardi à Radio Vatican pour décrypter la crise actuelle au sein du gouvernement Benkirane. Selon lui, l'Istiqlal, en annonçant son intention de quitter le gouvernement, «a voulu miner un peu plus le pouvoir du Premier ministre, qui est très critiqué». Il estime toutefois que la crise actuelle, liée principalement à la situation économique du pays, est «temporaire» car le jeu politique reste contrôlé en grande partie par le palais. Voici ses propos retranscrits ci-dessous en intégralité avec l'autorisation de Radio Vatican. Pierre Vermeren : La coalition qui dirige le gouvernement et domine le parlement est assez hétéroclite. Le parti de l'Istiqlal a été mis au deuxième rang avec l'arrivée du PJD, c'est à dire des islamistes, qui ont pris la tête du gouvernement il y a presque un an et demi. Il y a une coalition un peu hétéroclite qui dirige le pays sous la tutelle du palais. On sait très bien que les forces de l'opposition historique, jusqu'au sein de la coalition comme l'Istiqlal, n'ont jamais accepté le rôle donné aux islamistes suite au printemps arabe. Ce n'est pas nouveau, c'est simplement une chose qui émerge aujourd'hui sur la scène publique avec cette crise politique temporaire mais, je vous rassure, qui ne fait pas trembler les Marocains. Ce n'est pas quelque chose de très important malheureusement parce que le gouvernement a des contraintes politiques, économiques très importantes et la direction des affaires est partagée avec le palais. Sur quoi se focalise cette crise politique ? La situation économique est très difficile. Le premier ministre a décidé il y a quelques semaines de faire des coupes sombres, souvent de dizaines de % dans plusieurs budgets. Vous avez aussi des lois importantes qui sont en attente, une croissance économique qui est assez faible et surtout le déficit public est très important et le déficit extérieur plus encore. Cette crise économique, qui vient d'Europe notamment, très intensive, suscite bien sûr des tensions au sein du gouvernement et je crois que l'Istiqlal, peut être à la demande du palais, même si c'est compliqué, a voulu miner un peu plus le pouvoir du Premier ministre qui est très critiqué au Maroc dans la presse, dans l'opinion. C'est une manière un peu de le mettre sur la touche. Mais Benkirane ne veut pas bouger, le PJD ne veut pas bouger, le roi a donc été obligé de demander par téléphone au président de la direction de l'Istiqlal de revenir sur sa position. Cela pourrait être une fausse crise politique mais en tout cas elle révèle une situation économique et aussi internationale, parce qu'il y a l'affaire du Sahara par derrière qui est quand même assez complexe, très dérangeante pour la classe politique marocaine. Quel est le rôle joué par le roi ? Est ce que c'est lui qui tire les ficelles en coulisses ? Il n'est pas tout seul, il y a aussi des conseillers, toute une équipe autour de lui. Bien sûr que c'est le palais qui, en grande partie, construit et déconstruit les majorités. Il est possible que certains au sein du palais incitent l'Istiqlal à sortir pour créer une crise politique et affaiblir le PJD. Mais le roi évidemment, là, apparaît comme le pacificateur, en essayant d'atténuer cette crise politique et en voulant surtout ne pas s'immiscer, en laissant les choses se faire. Il se donne le beau rôle mais il n'est pas exclu que dans son entourage il y ait des grandes manœuvres pour essayer de décrédibiliser un gouvernement PJD qui a été imposé par les événements du printemps arabe d'une certaine manière, et par les électeurs, mais qui n'a jamais été la tasse de thé du palais, du roi et de la bourgeoisie marocaine. C'est quelque chose de très ancien et de très connu. Justement, concernant ces réformes constitutionnelles qui ont été imposées au roi par la rue : quel bilan peut on en tirer ? Est-ce un faux-semblant ou le Maroc fait-il l'apprentissage du jeu démocratique ? Les réformes constitutionnelles n'ont jamais, en dépit de ce qu'on en a dit, véritablement posé les bases d'une démocratie en tant que telle. On est dans un régime assez complexe au Maroc mais l'essentiel des pouvoirs reviennent toujours au palais. Cela dit, des réformes ont été proposées, mais elles n'ont toujours pas été mises en œuvre puisque justement le parlement ne les a pas à proprement parler validées.