Les plaidoiries de la défense et le réquisitoire du procureur se sont terminés vendredi soir. Retour sur une semaine d'audiences marquée par de nombreuses interrogations. Ouvert le 8 février dernier après deux ans d'attente, le procès des 24 détenus sahraouis touche à sa fin. Après une semaine d'audiences, le réquisitoire du procureur et les plaidoiries de la défense, le tribunal militaire doit maintenant commencer les délibérations.Les accusés sont notamment poursuivis pour le meurtre de 11 membres des forces de l'ordre et de la protection civile lors du démantèlement du camp de Gdim Izik fin 2010 et des émeutes qui ont suivi à Laâyoune. Première audience : témoins et compétence du tribunal militaire La première journée d'audience du 8 février a été consacrée aux débats préliminaires. La défense a contesté la compétence du tribunal militaire, arguant du fait que la nouvelle constitution prévoit sa suppression en ce qui concerne le jugement de civils. Le procureur a répondu qu'aucune loi n'avait encore été votée dans ce sens et que la loi devait donc s'appliquer telle qu'elle est, notant par ailleurs que le tribunal militaire marocain est une juridiction spécialisée et non d'exception. La Cour lui a donné raison. Le tribunal militaire a aussi examiné la liste des témoins présentée par le ministère public et celle de la défense. La cour a notamment refusé de convoquer le ministre de l'Intérieur de l'époque, Taieb Cherkaoui, ainsi que les walis de l'Intérieur présents lors des négociations avec le comité de dialogue de Gdim Izik (dont étaient membres certains accusés), la parlementaire PPS Gajmoula Bent Ebbi et les rédacteurs des procès-verbaux signés par les accusés. La défense a par ailleurs mis en avant la nullité ou l'inexistence des actes de l'instruction : absence de flagrant délit, conditions des arrestations et des perquisitions, durée de la garde à vue et conditions d'obtention des aveux (qui sont les seuls fondements de l'acte d'accusation selon la défense). Le procureur a affirmé au contraire que toutes les règles ont été respectées lors de l'instruction. La Cour lui a donné raison en déclarant les requêtes de la défense recevables mais non-fondées. Audition des accusés Les audiences du 9 au 12 février ont été consacrées à l'audition des 24 accusés. Chacun à tour de rôle a essayé de remettre le procès dans le contexte général de Gdim Izik – soulignant le caractère pacifique du campement - et celui plus politique de la « lutte du peuple sahraoui ». Ils ont aussi dénoncé leurs conditions d'arrestation et de détention, affirmant avoir été victimes de mauvais traitements et de torture. Ils sont par ailleurs revenus sur la phase d'instruction et les premières audiences devant la police, la gendarmerie puis devant le juge d'instruction. Selon eux, ils n'ont été interrogés que sur leurs activités politiques et militantes, leurs liens avec le Front Polisario, et pour certains d'entre eux sur leur visite dans les campements de Tindouf et à Alger. Les accusés contestent également les procès-verbaux, signés selon eux « sous la torture, yeux bandés, menottés ». Le procureur a démenti toutes ces accusations, affirmant que les procès-verbaux ont été normalement signés et établis. L'agence de presse officielle MAP rapporte aussi que « le tribunal a rejeté des requêtes relatives à l'examen des objets saisis en tant qu'instruments de l'acte criminel, de prélever les empreintes digitales et de les comparer aux empreintes de l'un des accusés. » Visionnage du montage vidéo Mercredi 13 février, le tribunal militaire, suite à une requête de la défense, a procédé au visionnage du montage vidéo réalisé par les autorités ainsi qu'à la présentation d'un ensemble de photos des objets saisis aux domiciles des accusés. « L'enregistrement vidéo montrait des civils, dont des individus cagoulés et en tenue militaires, jetant des pierres vers les éléments des forces de l'ordre et brandissant des armes blanches. L'enregistrement montrait également des scènes de mutilation de cadavres d'éléments des forces de l'ordre ainsi qu'un individu égorgeant un élément des forces de l'ordre à terre, outre des scènes de saccage à l'intérieur du camp et dans la ville de Laâyoune. », rapporte l'agence MAP. Ce montage vidéo ne permet pas toutefois d'identifier les accusés, comme le reconnaîtra indirectement le procureur lors de son réquisitoire. Concernant les photos présentées lors de l'audience, il s'agit selon l'accusation d'une série de photos des objets saisis chez les accusés, « en l'occurrence des moyens de télécommunications, des devises étrangères, (Euro, dinar algérien et dollar), des passeports, des pièces d'identité, des badges de gendarmerie et de police, des armes blanches et des bombes phosphorescentes » rapporte la MAP. Montage vidéo présenté par les autorités : L'étrange réquisitoire du parquet Jeudi 14 février, le représentant du parquet général a requis « des peines à la mesure de la gravité des faits reprochés ». Pendant son réquisitoire, qui a duré près de deux heures, il a passé en revue les « aveux » des accusés, notant que les déclarations contenues dans les procès-verbaux sont les mêmes que celles faites devant le juge d'instruction. Au final, mis à part les déclarations des accusés, aucune preuve à charge n'a pourtant été présentée. Le procureur affirme simplement selon la MAP que « les faits consignés dans les procès verbaux sont corroborés par les objets saisis et par les déclarations de certains accusés, l'arrestation d'autres à l'intérieur du camp, ainsi que par l'interpellation d'un prévenu en flagrant délit d'agression d'un agent des forces de l'ordre. ». Chose surprenante, le procureur a demandé au tribunal de « statuer sur les objets et fonds saisis » mais a demandé en parallèle « la destruction des objets dangereux ». Quant aux accusés qui n'étaient pas présents lors du démantèlement du camp, comme Naama Asfari, arrêté la veille, le procureur a affirmé selon la MAP que « le chef d'inculpation relatif à la participation pour lequel sont poursuivis nombre d'accusés dans cette affaire ne signifie pas uniquement la présence dans le camp ». Alors que le tribunal avait refusé d'entendre comme témoins les principaux acteurs du dialogue avec le camp et de revenir sur les conditions du démantèlement, le procureur a affirmé que l'installation du camp « a été planifiée, selon les procès verbaux de la police judiciaire se référant aux déclarations des accusés, par des parties extérieures ». Il a en outre affirmé que le comité de dialogue du camp était en fait une « cellule composée d'individus ayant des antécédents judiciaires et dont la tâche était de faire avorter toute tentative de parvenir à une solution ». Il n'explique toutefois pas pourquoi les autorités ont alors négocié avec ce comité de dialogue jusqu'à la veille du démantèlement. Il n'est pas non plus revenu sur la responsabilité des autorités locales dans l'établissement du camp ni sur son expansion. Les plaidoiries de la défense Vendredi 15 février, place aux plaidoiries de la défense. Les avocats des 24 détenus ont requis l'acquittement faute de preuves, mettant en avant l'absence de l'intention criminelle et l'inexistence d'éléments constitutifs du crime. Ils ont qualifié les procès verbaux de la police judiciaire de nuls et non avenus, de "copies conformes" les uns des autres et viciés par les contradictions. Le représentant du ministère public a répondu en insistant sur la validité et la légalité des procès verbaux de la police judiciaire, « précisant que les éléments du crime sont réunis, notamment la présence d'un plan minutieux, d'instruments du crime, de fonds et du lieu de crime. Il a également présenté une série de photographies de personnes poursuivies, en uniforme militaire, avec des chefs du soi-disant "Polisario".» selon la MAP. Il a également présenté des photos d'enfants palestiniens présentés par une chaîne de télévision espagnole comme des victimes sahraouies de Gdim Izik, sans que l'on sache très bien le rapport avec le procès en cours. Selon la défense, les photos des accusés avec des responsables du Polisario, présentées par le parquet, sont "la véritable raison de la poursuite" dont ils font l'objet. Le même jour, le CNDH a publié son rapport préliminaire sur le procès. L'institution présidée par Dris El Yazami relève que le procès s'est déroulé "dans des conditions normales et a été marqué, en général, par le respect des procédures". Le CNDH précise toutefois que ces observations sont basées sur des données générales et sur le rapport préliminaire sur le déroulement du procès (jusqu'au 13 février), « abstraction faite de la phase précédant le procès », c'est à dire sans avoir examiné la procédure d'instruction et les procès verbaux signés par les accusés. La défense avait énuméré les vices qui ont entaché l'enquête et la préparation du dossier mais le parquet avait précisé que toute contestation des décisions du juge d'instruction devait se faire au niveau de la chambre d'appel près la Cour d'appel de Laâyoune et non devant le tribunal militaire. Après un dernier mot des accusés ce samedi matin, les juges militaires devaient entamer les délibérations. Accusés et familles de victimes attendent désormais le verdict de la Cour.