L'ONG américaine International Crisis Group tente de dresser un tableau objectif de la situation en Tunisie dans un rapport publié aujourd'hui et intitulé « Tunisie : violences et défi salafiste ». Allant à l'encontre de certaines idées préconçues, le rapport d'International Crisis Group concède dans un premier temps que la politique du parti islamiste au gouvernement Nahda, faite « de dialogue, de persuasion et de cooptation » a permis d'éviter le pire. Mais, poursuit le rapport, cette politique connaît des limites et le parti conservateur est aujourd'hui pris en étau entre des expressions plus radicales de l'islam politique et les forces progressistes et laïques. A l'attention de Nahda, l'ONG, dans ses recommandations, conseille de promouvoir un islam « ancré dans l'héritage du mouvement réformiste tunisien » et ce, dans le but de « réduire les risques de radicalisation religieuse ». Car il y a bien une radicalisation religieuse en Tunisie. On recense de nombreuses attaques de maisons closes, de cinémas, de centres culturels depuis 2011 et de nombreux groupes sont nés, à l'instar de l'Association de promotion de la vertu et la prévention du vice, légalisée en février 2012 sous l'appellation « Association centriste de sensibilisation et de réforme », « association d'ampleur nationale ayant pour objectif d'appeler les citoyens à la droiture morale et à suivre les règles de la Charia. » De manière très approximative, l'ONG, sur la base d'entretiens avec des militants nahdaouis, des membres de force de l'ordre, estime le nombre de citoyens tunisiens « partageant les convictions salafistes scientifiques et jihadistes, ainsi que le style vestimentaire et corporel qui les accompagnent » à 50 000 personnes, sur une population totale de plus de 10 millions de tunisiens. Le mouvement, le parti, la sécurité Le rapport s'attarde ensuite sur la définition ambiguë du mot « salafiste » et sur l'évolution du mouvement salafiste en Tunisie, de l'ère de répression sous Ben Ali à l'amnistie générale d'après la révolution. Le rapport s'attarde sur le « lobby » exercé par les salafistes dits « scientifiques » et sur l'enracinement local des salafistes dits « jihadistes ». Enfin, le rapport décrypte longuement les rapports de Nahda avec les salafistes, analysant les contradictions internes à l'organisation (l'existence de courants ; celui des prédicateurs plus religieux et celui des hommes politiques plus pragmatiques) ainsi que les dilemmes que vit le parti : « s'il devient plus prédicateur et religieux, il inquiètera les non-islamistes ; s'il se conduit de manière politique et pragmatique, il s'aliènera une partie importante de sa base et créera un appel d'air profitant à la mouvance salafiste et aux partis situés à sa droite. » Et, finalement, à propos de l'approche sécuritaire de la question, l'ONG met en garde contre l'installation d'un « cercle vicieux – durcissement de la logique sécuritaire et radicalisation des salafistes-jihadistes » qui n'est selon elle, pas à exclure. Digérer les extrémistes ? On sent, à la lecture du rapport, toute la difficulté que représente l'intégration des salafistes à a la vie publique. Ainsi, le « pari de l'intégration des prédicateurs pacifiques » peut conduire à une « wahhabisation des lieux de savoir ». La société tunisienne est-elle, comme l'ont assuré aux enquêteurs les militants nahdaouis, « suffisamment modérée sur le plan religieux » pour que « les extrémistes soient peu à peu « digérés » dans le creuset tolérant de l'islam malékite tunisien » ?