Le projet loi de l'instance nationale de l'intégrité, la prévention et la lutte contre la corruption évoque l'article 159 de la constitution pour souligner l'importance de l'indépendance envisagée de la nouvelle Instance de lutte contre la corruption. Mais malgré cette affirmation, on peut se demander si le projet préparé par l'Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) se donne les moyens de son indépendance tout en offrant les garanties et l'exemplarité en en matière de redevabilité ? Dans son préambule, le projet souligne 10 fondements considérés dans l'élaboration du projet de la future instance : Le caractère national et l'indépendance de l'instance ; celle-ci ne serait être soumise à aucune tutelle. Elle bénéficie de la personnalité morale et de l'indépendance financière. Ses attributions englobent la prévention, les activités d'investigation et de recherche, le conseil, la coopération et le développement de partenariats. Mais elle est aussi chargée de proposer la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la corruption de son suivi et de son évaluation#.# Cependant, contrairement à ce qui est affirmé, l'examen du projet de texte fait apparaître différents problèmes dont certains sont graves pouvant aboutir à une institution non indépendante et inefficace : la ratification de la convention de nations-unies de lutte contre la corruption par le maroc, la mise en place de l'ICPC, la loi sur la protection des témoins, la loi sur la déclaration du patrimoine.... des lois et des projets ratés sont nombreux et rien n'est fait sérieusement pour stopper la banalisation et la consolidation de la corruption systémique. Alors que les marocains attendent des résultats tangibles, une fois de plus le risque est grand de mettre en place une institution, coquille vide pour le décor. Dans ce projet, la participation de la société civile n'est pas envisagée dans le sens de « l'élaboration, le suivi et l'évaluation des politiques publiques » (notamment la lutte contre la corruption) comme prévu dans la constitution (art. 12). Son rôle est minoré ; il est mentionné brièvement en référence au « développement des relations avec les partenaires notamment la société civile ». Ce qui semble tourner aussi le dos aux dispositions de l'article 13 de la convention des NU de lutte contre la convention – ratifiée en 2007 par le Maroc. Dans l'orientation du texte l'instance tend à accaparer le monopôle dans différents domaines y compris dans le domaine de l'éducation et la sensibilisation, le domaine naturellement de prédilection de la société civile. Il est acceptable sinon normal que l'instance formule sa stratégie dans ce domaine, mais que son projet de loi suggère que la stratégie formulée par l'instance puisse devenir celle de tous les acteurs y compris la société civile, c'est un sérieux problème de reniement du rôle de la société civile autonome et indépendante. Toutes les parties concernées sont tenues de fournir des informations sur leurs projets, les mesures en rapport avec la corruption, d'informer sur le sort réservé aux recommandations faîtes par l'instance... mais aucun moyen ou des sanctions ne sont prévus pour rendre les attributions d'accessibilité à l'information effectives. En fait, cette absence de moyens concerne l'ensemble des attributions de la future instance. Par exemple, l'Instance peut initier des audits et des investigations pour accéder à l'information (art 11), mais les moyens pour obliger les institutions concernées à se plier à l'exercice ne sont pas prévus dans le projet de loi. L'instance est qualifiée pour procéder à des opérations d'investigation, de documentation –auprès des personnes morales ou physiques – pour vérifier la véracité des informations sur les cas dont elle a été saisie (ou reçues) (art. 16). Dans ce cas également l'instance peut fixer un délai pour recevoir les informations et document requis, mais si le délai n'est pas respecté et s'il n'y a pas de répondant rien n'est prévu pour obliger l'institution ou la personne concernée à répondre favorablement à la requête. En plus de l'absence de moyens pour rendre effective les larges attributions (contradictoires) de l'instance si les administrations bloquent ou refusent de collaborer, s'ajoute la confusion et le risque de conflits d'intérêts majeurs. En effet, formuler la stratégie anti-corruption, conseiller les politiques et les administrations tout en voulant assurer l'évaluation (et le suivi) sont des fonctions et des rôles absolument non compatibles. D'une manière générale, les fondamentaux de l'évaluation supposent la neutralité et la non implication même dans la conception d'un projet ou de la formulation d'une politique et de ses orientations : qui est responsables quand les problèmes de mise en œuvre sont liés à des orientations erronées, à une mauvaise conception (dans des domaines éminemment politiques)... le conseiller qui a suggéré des orientations inadéquates serait-il apte et qualifié pour évaluer de manière objective. Ceci dépasse ce cas pour interpeller la notion du juge, de l'arbitre acteur impliqué qui est problématique dans ce texte et dans nos institutions – y compris la constitution - d'une manière générale,. Curieusement l'instance de lutte contre la corruption assure une faible redevabilité vis-à-vis du public et des institutions. L'article 13 du projet de loi, dans une formulation peu précise considère que l'instance est qualifiée de préparer et de diffuser des avis, des recommandations, des rapports...Par contre, fait très important, il n'y a aucune obligation explicite de publier les rapports d'activité ( les rapports ou les résultats de ses investigations).. Le texte se contente simplement de signaler l'élaboration et la présentation du rapport de l'instance au parlement. Il aurait été en principe logique que le projet de l'instance décline et applique le principe de l'accès à l'information prévu dans l'article 27 de la constitution en introduisant des dispositions de redevabilité informationnelle. En outre, il est tout de même étonnant que le Parlement soit complètement tenu à l'écart de tout contrôle de domaines qui concernent directement les finances publiques, alors qu'il a des attributions constitutionnelles d'évaluation des politiques publiques. Dans des expériences réussies, les Parlements sont associés – tout en préservant l'indépendance de l'institution de lutte contre la corruption – par la mise en place de comités spécialisés en charge de ce suivi. En fait l'anticipation de l'application de l'article 27 la constitution relatif au droit d'accès à l'information est interprétée de manière anticipée dans un sens restrictif et régressif en rapport avec la lutte contre la corruption. L'art 18 du projet stipule que dans le cas des questions concernant les faits en rapport avec la défense nationale, la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat...le président de l'instance avise le chef du gouvernement qui peut garder le secret ou le lever...La formulation (en arabe) est suffisamment vague (وقائع لها علاقة بالدفاع الوطني أو الأمن الداخلي أو الخارجي للدولة ) pour autoriser l'inclusion dans la Défense nationale les œuvre sociales et les programmes de logements des militaires, les marchés publics d'approvisionnement ordinaires..... Ceci est loin de relever de la fiction. Dans un exemple emblématique récent un programme important de logements des militaires a été traité en dehors de la loi et de la procédure classique des marchés publics. Si cette formulation de l'article 18 du projet de la loi est maintenue, elle imposerait le silence et la future instance et un simple rôle de spectateur figurant face à des transactions considérables et opaques. Alors que la défense des intérêts de différentes catégories du personnel militaire, des citoyens et la protection des deniers publics recommande le respect de la loi et l'adoption de procédures transparentes. Il est assez surprenant que l'article 51 du projet de loi évoque le caractère spécialisé et l'indépendance financière tout en indiquant dans le même article que l'instance peut recevoir des aides financières offertes de n'importe quelle institution nationale ou internationale privée ou publique. Aucune restriction n'est envisagée sauf la suggestion que les déterminants des aides de la coopération seront abordés au règlement intérieur de l'instance. Une fois de plus une question fondamentale est évacuée et laissée à un mécanisme de gestion interne. Les modalités et les règles de la gestion du budget (art. 52) sont aussi laissées au règlement défini et adopté par l'AG. Il est particulièrement surprenant qu'aucune référence n'est faîte aux règles de reddition des comptes et des finances publiques. La formulation actuelle générale et non restrictive de l'article 53 est encore davantage préoccupante. Elle stipule et demande la non application totale des règles et les lois relatives au contrôle des finances publiques à l'instance. La seule limitation en la matière est celle qui concerne le contrôle du conseil supérieur des comptes. Les conditions de l'indépendance de cette instance ne sont pas totalement réunies comme ceci a été souligné dans l'évaluation internationale (Open budget initiative 2010). Si l'intention est d'éviter des contrôles spécifiques qui risqueraient de gêner l'indépendance de l'instance, il est nécessaire de les lister de manière spécifique et devraient bénéficier d'un traitement spécifique (souple) et non de geler l'application des contrôle des finances publiques de manière globale et totale. Ce qui est aussi à déplorer, c'est le fait que le contrôle et l'implication du parlement est complètement écartée, alors qu'il dispose d'attribution claires dans le domaine des finances publiques et de l'évaluation des politiques publiques. Le respect de l'indépendance de l'instance ne peut se faire au détriment de la redevabilité. Au niveau de l'article 54 du projet, il est dit que les comptes de l'instance seront soumis annuellement à une commission désignée par le président composée d'experts comptables et de gestions financière. Aucune précision (ou obligation) n'est fournie sur la certification des comptes de l'instance et de leur publication. Cette désignation constitue en fait une illustration classique de ce qui est généralement qualifié de conflit d'intérêt : la nomination des juges par celui dont la gestion est jugée. Le futur président de l'instance – une personnalité reconnue compétente et intègre -, est nommée par le roi (art 30) pour six années, non renouvelables Le secrétaire général est également nommé par le roi pour six années (art.46). La procédure de désignation et les critères ne sont pas évoqués. En fait, puisque cette instance ne figure pas dans la liste des institutions stratégiques, ce poste ne relève-t-il pas de la procédure générale de nomination prévue par la loi ? Ce qui s'applique aux autres institutions « consultatives » nationales. Le président nommé dispose de pouvoirs discrétionnaires considérables et des d'attributions très larges listés notamment dans l'article 33 du projet. Il est peu soumis à un contrôle et une reddition des décisions. Toutefois, une partie de ses prérogatives est soumise aux délibérations de l'Assemblée générale de l'instance. A l'opposé de ce modèle privilégiant le pouvoir discrétionnaire central (Kaidal)– à l'image de la structure hiérarchisée de l'état - l'expédience mondiale montre que les pratiques réussies des agences de lutte contre la corruption se basent sur des comités indépendants. Ces derniers ne sont pas soumis au pouvoir hiérarchique et dictionnaire du président ou de n'importe quelle autorité. Ils assurent l'examen, l'investigation des cas sans aucune interférence. Il n'est pas inutile de souligner que dans la littérature spécialisée, le pouvoir discrétionnaire (le monopôle) est considéré parmi les principaux mécanismes déterminants dans le développement des risques de la corruption. Or dans la configuration présente, le président nommé (par le roi) dispose d'un pouvoir hiérarchique et personnel important qui sera au cœur de la prise de décision... ce qui représente un risque classique en matière de lutte contre la corruption. La structure de l'instance est principalement composée par le président, le secrétaire général, un comité exécutif et une assemblée générale composée de 29 personnes. Cette structure est fortement déterminée par un dispositif discrétionnaire de nominations pour l'essentiel relevant des attributions du chef de l'Etat. 10 personnes (en plus du président et du SG) seront choisies par le roi et réparties en 5 membres provenant de « la société civile » : 3 personnes choisies parmi les associations considérées spécialisées dans le domaine de la lutte contre la corruption et 2 parmi le corps des enseignants chercheurs.9 nominations seraient choisies parmi le personnel des départements ministériels : Intérieur, Finances, Justice, Education, Communication, Modernisation des secteurs publics... Il n'est pas précisé qui est censé proposer ces personnes ni selon quels critères.6 personnes seraient proposées par les organisations professionnelles : avocats, notaires, experts comptables, CGEM ; 4 candidats seraient proposés par les syndicats les plus représentatifs. Dans la présente formulation du texte, les membres de la société civile seront choisis par le chef de l'Etat, alors que les organisations professionnelles et syndicales sont censées présenter leurs propres candidats. On peut se demander quel sont les motifs et le sens de la désignation des « membres » (« difficile de parler de représentants ») de la société civile par le chef de l'Etat, le sommet de l'exécutif ? En fait, l'Assemblée Générale et l'ensemble de la future instance est une structure non professionnelle cooptées ou désignée – défendant les intérêts de départements ministériels, privés ou catégoriels. Elle est structurée pour être contrôlée (à distance) ou pour favoriser le consensus ou les arrangements au détriment de l'efficacité. Le rôle dominant joué par l'exécutif non redevable dans cette structuration limite sérieusement son indépendance et son rendement. Face à ce risque important, il est préférable que l'instance soit composée de professionnels qui ont les moyens de faire leur travail et qui sont jugés sur leur efficacité, leurs résultats. Dans ces conditions, l'exécutif non soumis à la redevabilité assumera la responsabilité politique des résultats d'une instance configurée pour être une autre coquille vide. De son côté et dans cette situation le devoir de la société civile est de sortir de cette logique de la cooptation ministérielle, de la désignation, de la nomination sans redevabilité pour réclamer une instance basée principalement sur la compétence et le caractère professionnel des ressources humaines qui composent l'instance. D'ailleurs, le rôle de la société civile n'est pas de traquer la corruption, de procéder à l'investigation, d'auditer... mais de réclamer la mise en œuvre d'une politique de lutte contre la corruption et d'apprécier son efficacité et ses résultats. Ceci set plus conforme à sa mission et il a l'avantage de clarifier les rôles et les responsabilités des uns et des autres. La seule autre alternative crédible qui s'offre à la société civile est de refuser d'être instrumentalisée dans une autre institution sans perspectives de lutte contre la corruption. Conclusion : de cette lecture de projet de loi de la future instance de prévention et de lutte contre de la corruption, une conclusion s'impose: l'instance est loin de donner l'exemple en matière de reddition des comptes et de redevabilité. Il s'agit d'une structure qui favorise de manière évidente la nomination et le pouvoir discrétionnaire, évite de manière aussi systématique le parlement et les instances représentatives, s'engage très peu sur des mécanismes de redevabilité et encore moins sur le plan de l'information des citoyens. Il n'y a aucun engagement explicite à publier son rapport annuel et les résultats de ses investigations. Le cumul de vastes attributions en matière d'investigation, de conseil, de formulation de la stratégie nationale et de l'évaluation peuvent générer des incompatibilités et des conflits d'intérêts évidents. Par contre, des attributions anciennes (accès à l'information) ou nouvelles (investigation) risquent de se heurter au refus de l'administration (ou d'autres institutions), et de ce fait elle serait impuissante à agir car dans la configuration actuelle elle ne dispose pas de moyens de sanction pour rendre possible une coopération : c'est ce qui s'appelle manquer de dents.... ! 1. Le préambule et certains articles du projet de loi font référence à la corruption, alors que de nombreux autres utilisent le mot « El Fassad sans que ce terme soit défini. Vu son caractère vague, ses signification multiples et morales et du fait qu'il ne correspond pas à celui consacré par des textes juridiques, on peut s'interroger sur les implications de l'introduction de cette ambigüité ?