"La double culture entre souffrance, plaisir et transitionnalité” : sur ce thème auquel l'actualité ne cesse de conférer plus d'acuité, le psychanalyste et enseignant Rouchdi Chamcham a soutenu fin mars dernier à la faculté de lettres de Ben Msik, une thèse de doctorat en sciences humaines-psychologie clinique. Cette soutenance a donné lieu à un débat d'une rare qualité comme on en a hélas fort peu dans nos universités. Présidé par Kacem Basfao, le jury composé d'un éminent professeur de psychologie clinique à l'Université Lumière de Lyon, René Kaës et par les professeurs Hamadi Bekouchi, sociologue et Abdelkader Gonigaï, linguiste a, avec une exigence soutenue, évalué et discuté cette thèse, en soulignant son apport basé sur une recherche pointue et en relevant les aspects nécessitant une exploration plus poussée et un affinement théorique et méthodologique. Pour Rochdi Chamcham la tâche était d'autant plus délicate que cette recherche basée sur son expérience clinique de psychanalyste l'impliquait lui aussi comme objet. La rigueur théorique devant assurer la pertinence de ses analyses et de sa réflexion ne peut tout a fait occulter cette implication, d'où l'empreinte de celle-ci sur le style et le ton de cette thèse, souvent peu conforme aux stricts modèles académiques. Par double culture, l'auteur désigne le vécu socio-culturel des étrangers dans un pays donné (où ils peuvent être minoritaires ou encore majoritaires comme dans certains Etats du Golfe arabique), des personnes adoptées, des populations des anciennes colonies, des familles de couples mixtes, des gens du voyage (gitans, touaregs, etc), des réfugiés, etc. L'univers de la double culture, celui de l'entre-deux, est très fécond lorsqu'il est vécu sans conflit. Cependant même s'il donne lieu à des situations de crise, il n'en reste pas moins que les élaborations de ces crises sont aussi des acquisitions de la psyché humaine. A l'arrière plan de cette thèse se profile la question de savoir si “ la double culture est un handicap ou un avantage à l'aube de ce 21ème siècle mondialisant”. Plaidoyer, on s'en doute, pour le métissage culturel contre les fermetures et les séparatismes communautaires. Même si chaque culture est insérée dans une histoire et des mythes particuliers, il y a lieu de chercher ce qui, en elle, est paradoxal et s'articule à l'autre et à l'universel. La recherche de Chamcham a porté sur les situations de crise et de rupture avec leur lot de difficultés et de souffrances mais aussi leur potentiel de créativité et d'adaptation transitionnelle. Chamcham souligne que le traumatisme culturel est souvent amplifié par des conflits psychiques préexistants. Le travail thérapeutique consiste alors à bien distinguer ces différents niveaux. La thèse aborde les aspects liés au bilinguisme et à l'expression littéraire dans une langue autre que maternelle. L'auteur s'est ainsi attaché à ne pas cloisonner son champ de recherche et à transgresser les limites des savoirs constitués pour mieux cerner la complexité et la subtilité des phénomènes étudiés. René Kaës a qualifié de considérables les enjeux de cette thèse : problèmes de l'exil et de la migration, du métissage et du nomadisme. L'enjeu épistémologique n'est pas moindre car il y a multiplicité de points de vue : psychologique, psychanalytique, anthropologique, sociologique, philosophique. Démarche bien risquée, souvent ardue et qui ouvre un vaste champ de recherches. A ce propos, Chamcham s'interroge non sans angoisse sur l'intérêt qui peut être accordé à la psychologie clinique dans l'université marocaine. “Quel statut, se demande-t-il, notre société réservera-t-elle à la psychologie et aux psychologues en ce début de siècle où l'heure est à la mondialisation et au formatage des esprits ? ”