Les mouvements de regroupement ou au contraire de division qui ont fait l'actualité des partis politiques ces dernières semaines illustrent le poids des conservatismes et les difficultés du renouveau. Ceci au moment où, dans la société, les enjeux demeurent aussi inquiétants… Les remous que connaît la scène politique depuis quelques semaines peuvent-ils être interprétés comme des signes de mouvement vers une évolution devenue inéluctable ou bien ne sont-ils que la répétition des mêmes atavismes qui n'ont cessé de prédominer ? La fusion des trois partis de la « mouvance populaire » au sein d'un seul parti unifié sous le sigle éponyme de Mouvement populaire tient davantage du rassemblement contraint plutôt que d'un quelconque renouveau. Après les péripéties liées aux tractations entre les trois composantes jusque-là rivales, marquées en fin de parcours par l'exclusion de Bouazza Ikken de la présidence de l'Union démocratique, l'opération de la fusion s'opéra le vendredi 24 mars dernier en moins d'une journée. Le congrès de la fusion, prévu initialement pour 3 jours, s'est ainsi transformé en simple formalité sans débat d'aucune sorte. Le Mouvement populaire reste ainsi fidèle à ses vieilles pratiques coutumières, la figure du vieux chef de 93 ans, Mahjoubi Aherdane proclamé président, restant plus que symbolique. On a certes évoqué la nécessité de constituer un « grand pôle haraki » pour dépasser l'émiettement des partis, conformément « aux attentes du Roi et à l'esprit de la loi sur les partis ». Mohand Laenser désigné, par acclamation, secrétaire général, avec à ses côtés Mohamed Fadili comme adjoint, a indiqué que le MP « est un parti nouveau par ses structures mais fidèle à ses origines ». La nouveauté paraît, cependant, encore virtuelle. Les tractations sur les dosages à observer dans la composition des instances prévues, conseil national, comité central et bureau politique, feront prévaloir le poids du clientélisme et du clanisme au sein de cette “mouvance”. Si parmi les dirigeants on se prévaut du fait que celle-ci a tout de même évolué et qu'elle compte nombre de cadres et de compétences alors que sa base est plus largement urbaine, il n'en reste pas moins que l'identité idéologique et politique du Mouvement reste peu définie et son organisation assez archaïque. Flou organique On sait que pendant des décennies ce flou organique, à la fois traditionnaliste et populiste à coloration berbériste et rurale, lui avait permis d'être un serviteur zélé du système tout en se distinguant des “partis de l'administration” qui, sans base réelle, devaient tout à l'appui de l'Intérieur. Le Mouvement populaire, parviendra-t-il à se transformer et à mieux élaborer son identité alors que le charisme autoritaire du vieil Aherdane continuera d'incarner davantage « la fidélité » que le « renouveau ». Toujours est-il que les ambitions affichées ne sont pas modestes, puisqu'en prévision des élections de 2007, le MP ne cache pas son appétit en prétendant à une meilleure part du gateau gouvernemental. Le poids électoral escompté et le flou identitaire font que le rôle de “joker” qu'il a jusqu'ici joué peut être maintenu, soit dans une coalition dirigée par le PJD ou dans celle conduite par l'USFP ou l'Istiqlal. Ainsi le Mouvement populaire amorce une “mise à jour” par le regroupement et un aléatoire projet de structuration tout en conservant ses principales caractéristiques. Est ce à dire que les conservatismes demeurent encore assez pesants pour que l'exigence d'évolution attendue soit pleinement entendue ? A l'autre bout de l'échiquier politique, on a vu aussi se manifester la même tendance profonde à la répétition. Le parti du congrès national ittihadi, qui a tenu ses assises nationales les 12 et 13 mars dernier a engendré une nouvelle scission, l'aile conduite par le secrétaire général en titre, Abdelmajid Bouzoubaâ, ayant dénoncé les irrégularités ayant, selon elle, entaché ces assises. A nouveau c'est le courant syndicaliste qui a les faveurs de Noubir Amaoui, secrétaire général de la CDT et, qui se trouve accusé de main-mise sur le parti et de falsification des cartes de congressistes. Après avoir cautionné le déroulement du congrès, Bouzoubaa a, par un surprenant coup de théâtre, annoncé sa démission de la commission administrative et la préparation d'un congrès avec ses partisans. Le congrès national ittihadi né d'une scission de l'USFP connaît à son tour une division presque similaire. Cela en devient caricatural : on se demande pourquoi Noubir Amaoui a, de nouveau, donné son aval à l'hégémonie des syndicaux dans son propre parti ? Faut-il considérer que celui-ci n'avait pas réellement de raison d'être et que coupés de l'USFP ses membres étaient isolés et voués aux querelles de petits clans, sans aucune perspective politique ? Le difficile renouveau Au sein de l'USFP, confortée par l'intégration de l'ex-PSD, le triste spectacle des querelles autour de Amaoui est, sans doute, perçu comme une preuve a contrario de la nécessité de l'union des différents courants de la gauche socialiste. Il n'en reste pas moins que cette perspective d'union a aussi besoin d'être davantage confortée par plus de renouveau tant en matière d'idées et de projets que dans les structures d'organisation et les formes d'action à déployer dans la société. Là aussi des pesanteurs, des habitudes, des conservatismes sont à surmonter. Au-delà des bonnes résolutions proclamées et des actions qui sont entreprises, beaucoup reste sans doute tributaire d'un sursaut de créativité, de mobilisation et de résolution à gauche. L'action politique pour être réellement réhabilitée et stimulée, doit prendre en compte les réalités, assez inquiétantes, de l'évolution actuelle de la société. Autrement la sphère politique risque d'être vouée aux manœuvres et intrigues du microcosme ou à la perte de substance et aux divisions internes sans réel enjeu (comme au sein du Congrès national ittihadi). L'enjeu principal est celui du devenir de la société où des forces ultra-conservatrices, plus ou moins intégristes islamistes ou tentées par l'extrémisme, sont depuis longtemps à pied d'œuvre. Au moment où beaucoup se résignent aux pronostics donnant le PJD fortement majoritaire aux prochaines élections et où même des libéraux et des ténors de la « société civile » lui font les yeux doux, il est essentiel que le débat soit porté avec plus de force de conviction au sein de la société et surtout des catégories les plus défavorisées et les plus vulnérables. Ceci y compris avec les moyens les plus adaptés et auxquels ont largement recours les intégristes pour diffuser leur discours. On voit ainsi que l'entreprise de renouveau et de changement est loin d'être aisée et que les pesanteurs conservatrices et la tendance à la répétition restent très prégnantes. Ceci non seulement chez les partis conservateurs mais même chez ceux qui se réclament du changement. Faut-il se résigner à cette sorte de fatalité ?