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Manœuvres militaires entre le Maghreb et les USA
Publié dans La Gazette du Maroc le 13 - 03 - 2006

Lancement de l'Opération Pan-Sahel Initiative (PSI)
Le coup d'envoi de l'opération menée conjointement par huit pays africains (trois du Maghreb et cinq du Sahel) et le Pentagone est décidé pour ce printemps. Si l'on hésite à donner des dates au niveau des Etats-majors, il est clair que les manoeuvres de l'opération Pan-Sahel débutent à partir du 18 mars 2006 pour durer quelques jours avant de cesser pour reprendre durant toute l'année 2006 et une partie de 2007. Ce programme militaire qui vise à lutter contre le déploiement des réseaux terroristes dans la région du Sahel s'appuie sur le Maroc comme plaque tournante.
Les indices ne manquent pas : la visite du directeur du FBI au Maroc qui est immédiatement suivie par celle de Donald Rumsfled, secrétaire américain à la Défense, et Jack Straw, ministre anglais des Affaires étrangères. Et quelques semaines plus tard, on prépare le coup d'envoi des exercices militaires dans la région du Maghreb et du Sahel sous la bannière de la célèbre et néanmoins secrète Pan-Sahel Initiative. Au départ lancée avec quatre pays du Sahel : le Niger, la Mauritanie, le Mali et le Tchad, la PSI (Pan-Sahel Initiative) s'étend “à quatre pays supplémentaires, Algérie, Tunisie, Maroc, et Sénégal”. Ce sont là les propos d'un haut fonctionnaire de l'armée américaine qui viennent corroborer la thèse selon laquelle “Les Etats-Unis projettent de dépenser des centaines de millions de dollars les prochaines années dans huit pays du Maghreb et du Sahel”. Le début de cette action est un programme de 7,5 millions de dollars, concocté par le Pentagone, la CIA et le département d'Etat américain pour assister les armées des huit pays dans le cadre de la lutte antiterroriste. Un budget de commencement, qui, assure-t-on du côté du Pentagone, « pourra dépasser les 100 millions avant la fin 2006 ». L'opération permet de fournir à l'Algérie, à la Mauritanie, au Mali, au Tchad, au Maroc, au Niger, à la Tunisie et au Sénégal “et peut-être même à la Libye” (si l'on en croit les dires d'un haut responsable de l'armée américaine stationnée dans la région du Maghreb sous commandement français) des moyens de communication et des systèmes de vision nocturne, ainsi que des équipements radar et des renseignements. Le début des manoeuvres militaires est prévu entre le 18 et le 21 mars 2006 au large des côtes marocaines avant de pousser plus loin dans le désert couvrant toute la région du Sahel. Le PSI s'étend sur un programme bien défini qui compte des exercices d'entraînements et de formation pour toutes les armées des pays concernés sous le même commandement américain avec “l'appui de quelques unités britanniques dont les têtes de proue sont déjà stationnées en Mauritanie”.
Partenariat de formation militaire
Pour le colonel Victor Nelson, de l'armée de terre américaine, l'Initiative Pan-Sahel (PSI), est un partenariat qui porte sur la formation de militaires des pays de la région. L'opération encourage la coopération « sahélo-maghrébine en matière de lutte contre le terrorisme ». “La PSI est un outil important de la guerre contre le terrorisme et a beaucoup fait pour renforcer les liens dans une région que nous avions largement ignorée par le passé et notamment entre l'Algérie et le Mali, le Niger et le Tchad”, explique le colonel Nelson, le responsable de ce programme pour le Bureau du ministère de la Défense chargé des questions liées à la sécurité internationale. « Nous disons depuis longtemps que si la pression devient trop dure pour les terroristes en Afghanistan, au Pakistan, en Irak et ailleurs, ils trouveront de nouveaux endroits où travailler, et les régions du Sahel et du Maghreb font partie de ces endroits. Considérant les ressources dont nous disposons, nous faisons le maximum pour mener à bien la lutte mondiale contre le terrorisme et la PSI est l'un des projets qui ont vu le jour grâce à ces efforts », ajoute le même colonel Nelson, qui a été, rappelons-le, attaché militaire à Abuja et qui a participé à l'organisation de l'opération “Focus Relief” (OFR), un partenariat couronné de succès en vertu duquel plusieurs bataillons de l'armée nigériane ont été entraînés pour des missions d'urgence de maintien de la paix en Sierra Leone durant l'automne 2001. C'est dire que le projet a été destiné à un homme qui connaît le terrain. Aujourd'hui, le colonel Nelson se concentre sur la PSI, qui est gérée par le département d'Etat et qui utilise des membres des forces spéciales américaines basées en Allemagne pour renforcer le professionnalisme des forces de sécurité du Mali, du Niger, du Tchad et de la Mauritanie, du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie. Le programme comprend une formation de base sur le maniement d'armes, la planification, les communications, la navigation terrestre, la conduite de patrouilles et l'apport de soins médicaux. L'objectif, a précisé le colonel Nelson, est d'aider les pays du Sahel et du Maghreb, qui couvrent une zone pratiquement égale à la superficie des Etats-Unis, à patrouiller les routes empruntées depuis toujours par les commerçants, mais qu'utilisent aujourd'hui les terroristes.
Une zone dangereuse
« Il suffit de regarder de quoi est faite la région du Sahel et le sud du Maghreb. C'est une région reculée dont de nombreuses parties restent sans gouvernement. C'est une zone utilisée traditionnellement pour le passage de contrebande sur une vaste échelle, marchandises illicites et armes entre autres. Elle suscite naturellement l'intérêt des terroristes pour qui de tels endroits se révèlent propices à la conduite de leurs activités ». Selon lui, la collaboration entre les pays du Sahel et l'Algérie et le Maroc s'est accrue après l'organisation, par le Centre africain d'études stratégiques (African Center for Strategic Studies, ACSS), en 2003 à Bamako, d'un atelier portant sur la lutte contre le terrorisme. « Nous y avons invité des responsables aussi bien du Sahel que du Maghreb et avons insisté sur le fait qu'ils devaient coopérer afin de lutter contre les bandits, les contrebandiers et les terroristes qui se servent des zones frontalières à leurs dépens ». Il a précisé qu'un des résultats de cette coopération avait été la récente participation de forces ayant suivi un entraînement offert dans le cadre de la PSI à une opération couronnée de succès contre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) basé en Algérie, une organisation islamiste militante liée à Al-Qaïda. Son chef, Abderezak el-Para a été reconnu coupable de l'enlèvement de 32 touristes dans le désert. « En ouvrant la porte à la coopération régionale et sous-régionale, la PSI et les six compagnies (de soldats) à la formation desquelles elle a participé ont obtenu des résultats sur le terrain contre le GSPC », a fait remarquer le colonel Nelson.
Dans la même optique, il faut prendre en considération l'apport du général Charles Wald qui après avoir effectué une tournée qui l'a mené en Algérie, en Afrique du Sud, au Nigeria et au Gabon, en sa qualité de commandant en chef-adjoint des forces américaines en Europe (Ecom), dont l'état-major coiffe le Maghreb et le Sahel, qui a prévenu que des membres d'Al-Qaïda cherchent à s'établir dans les régions subsahariennes incontrôlées, notamment, “dans la partie nord de l'Afrique, au Sahel et au Maghreb. Ils cherchent un sanctuaire comme en Afghanistan lorsque les Talibans étaient au pouvoir. Ils ont besoin d'un endroit stable pour s'équiper, s'organiser et recruter de nouveaux membres”. D'ailleurs en ce moment même au Maroc, se déroule le procès d'un groupe de salafistes arrêtés dans la région du Sahel sans oublier l'extradition d'un activiste marocain qui s'occupait de la logistique d'envoi de volontaires pour des camps d'entraînement dans le désert malien.
Tractations franco-américaines
À Paris, où l'on a été très susceptible sur toute ingérence militaire américaine dans une région considérée comme une chasse gardée française, on affirme que cette nouvelle présence est acceptée sans problème : « On se trouve dans une période où trop d'Etats ont failli. La tendance aujourd'hui, c'est la coopération avec les Britanniques et les Américains, affirme une source diplomatique. Le problème, c'est l'abandon du continent. Si tous ces pays se trouvaient déstabilisés, c'est nous les Français qui devrions intervenir. Alors, on préfère donner un coup de main maintenant.» Une autre source précise dans la capitale française que, si les Américains n'ont pas sollicité l'avis de Paris avant de se déployer dans la région, cette initiative ne pose pas de difficulté : « Nous n'avons pas une furieuse envie de nous trouver en première ligne. » Une source bien informée précise que la manoeuvre, de conception américaine, contre le GSPC, a consisté à aider les forces armées du Mali, du Niger et de Mauritanie à «harceler» les bandes armées pour les repousser vers des pays comme l'Algérie, le Maroc et le Tchad, où « elles pouvaient être traitées par les meilleures armées du coin ». C'est ce scénario qui s'est déroulé dans le Tibesti, déclenchant par ailleurs une offensive d'un autre mouvement tchadien, le MJDT (Mouvement pour la justice et la démocratie au Tchad), sans lien avec les islamistes.
Quoi qu'il en soit et malgré les sorties rassurantes de part et d'autre, il est clair que la présence des troupes américaines dans la région dérange plus d'un Etat. Ces manœuvres militaires à répétition dont le début a vu le jour en 2004 dans la même région, relancent le débat sur un différend qui réfère au projet d'une base militaire américaine dans le Sud algérien avec un pendant dans le Sahara marocain, projet qui a fait l'objet de nombreuses discussions entre le Pentagone et l'Elysée. Il faut rappeler que c'est là un vieux projet français que les Américains ne semblent pas abandonner puisque selon la même source « les choses semblent s'arranger et les exercices prévus en mars sont le début d'un accord ». Il consistait notamment à utiliser les aérodromes algériens du Sahara afin d'y faire poser d'urgence des avions militaires pour des missions en profondeur en Afrique. L'ambassadeur des Etats-Unis à Alger a récusé cette éventualité en 2005. Il a précisé la démarche US dans le cadre de la démarche Pan-Sahel: « Nous coopérons également avec d'autres pays de la région dans le contexte de l'initiative Pan-Sahel qui vise à renforcer la capacité des gouvernements régionaux à combattre le terrorisme ». En d'autres termes, les Américains préfèrent assister les armées locales en formation et en équipement que d'intervenir directement. D'un autre côté, le général James L. Jones du corps des Marines a déclaré sur les colonnes du New York Times: « Nous allons devoir aller là où les terroristes sont », en citant « les vastes terres du Sahara de la Mauritanie vers l'ouest, au Soudan vers l'est ». Autrement dit, qu'il y ait approbation français, ou pas, les accords sont déjà là et les opérations couronnées une fois par le succès ne peuvent plus reculer surtout que le département de la Défense américain a débloqué de nouveaux budgets pour d'autres opérations jusqu'en 2007.


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