La découverte de l'Amérique par les Anglais revue par Terrence Malick donne un film poétique, sensible, très sobre et sans incriminations. Un regard à la fois tendre et juste sur la naissance d'un monde autre. Quatre films en presque quarante ans de service. C'est à la fois peu et beaucoup surtout quand on signe “Badlands”, “Les moissons du ciel” et “La Ligne rouge”. Avec “Le Nouveau monde”, il fallait s'attendre à tout. Au pire comme au grandiose. Sept ans après la fine ligne rouge, nous voilà frappés par une magnifique entrée en matière : une inversion de l'angle de vue : la caméra est placée du côté des Indiens plutôt que des Anglais. Dans cette recherche d'une autre approche de la rencontre entre deux mondes que tout sépare, il ne faut chercher aucune véracité historique. On est happé par la maîtrise de la caméra, la lenteur des mouvements, la chorégraphie subtile des déplacements et la découverte de part et d'autre de deux univers étranges. Le parti pris est tout aussi clair, mais il reste en filigrane. Très vite l'auteur-réalisateur pose son histoire. Pocahontas, la jeune indienne qui sauve le colon anglais Smith, prend les devants de la scène. Le point de vue est pour un moment du côté de la fille. On fait revivre le mythe et l'histoire déroule ses facettes pas très éloignées des versions officielles. Le poème s'écrit à partir du moment où Pocahontas sauve le soldat. Les hommes et la nature sont drapés du même reflet, celui de la douceur, de la romance, de l'épique histoire d'un peuple qui adopte son colonisateur. Avec toujours ces digressions qui font de Terrence Malick l'unique cinéaste-poète encore en activité. On cadre sur le visage de Colin Farrell et on enchaîne sur un oiseau en vol, une plante qui se meut sous la brise ou une goutte d'eau sur l'herbe humide et foulée par les magnifiques pieds de cette belle Indienne, déesse incontestée de la sagesse et de la simplicité. Le conte se joue en voix-off comme d'habitude dans le cinéma de Malick. Il en devient presque une symphonie tant les découpes sont harmonieuses et le montage d'une rare efficacité. Finalement, depuis “Badlands”, on peut voir les films de Malick comme d'autres écoutent des sonates à la mesure parfaite sans accrocs de sonorités ni dissonances. Et il ne faut pas voir dans cette linéarité du récit poétique une volonté d'éviter des difficultés techniques. Loin s'en faut, le film est tout entier une large réflexion sur le monde moderne avec des outils simples. Ce qui rend aux Indiens leur nature première d'immense civilisation qui n'a jamais été contaminée par des valeurs modernes telles que la propriété, la compétition, la domination. Voilà la résurgence d'un monde perdu qui prend forme sous l'oeil attentif d'un cinéaste qui s'attache aux détails d'un paradis perdu comme dans “La ligne rouge” et la mort de l'innocence merveilleusement incarnée par un Jim Caviezel (dont Farrell est ici le pendant brut) qui nage dans l'azur avant le sang de la guerre. Là, c'est Pocahontas contre la famine des Anglais, une fille généreuse qui épouse le sol sur lequel elle déploie ses rêves et un groupe d'hommes voraces épris de fausse gloire. Entre les deux mondes, il y a la nature, le chant des oiseaux, les arbres et le ciel (avec toute sa palette de couleurs) qui tranchent avec la platitude des humains. Sans nous demander à quoi pourrait servir cet épisode merveilleux sur la naissance d'un nouveau monde, tenons-nous en à la question du film : qui suis-je ? À chercher la réponse, on comprendrait pourquoi le cinéma a encore besoin de poètes. “Le Nouveau monde”. Un film de Terrence Malick. Etats-Unis, 2005. Durée : 2h15 Avec : Colin Farrell, Q'Orianka Kilcher, Christian Bale, Christopher Plummer, David Thewlis. Sorties en salles au Maroc : 15 février 2006