Les récents développements sur la scène nationale se sont caractérisés par une réflexion intéressante des élites du monde institutionnel, politique et de la société civile, qui ont réhabilité la mémoire du pays et restitué l'espoir d'un avenir réellement plus prospère. Incontestablement, les travaux effectués par les think tank sur le développement humain 1995-2025 et l'IER sont d'une qualité remarquable et les recommandations soulevées propices à un réajustement des itinéraires à suivre pour un développement accéléré et une croissance durable. Encore une fois, le substrat de nos élites ont montré leur savoir-faire et leur capacité d'anticipation et de réflexion prospective en promettant les chantiers de nouvelles pistes de progrès à un véritable débat national démocratique et constructif. Mais là où le bât blesse, c'est la rupture maintes fois constatée, par le passé, entre une politique élitiste et le défaut des mécanismes de sa continuité sur le terrain de proximité. Sinon, qui animera le débat national sur les deux rapports du cinquantenaire ? Quelles forces sont véritablement en mesure d'investir les régions, provinces, communes, quartiers, douars et villages pour en tirer la quintessence progressiste ? Quel est le baromètre d'audience de proximité des partis politiques, des syndicats, du monde associatif ? Les universités, milieu prédisposé par excellence à la conduite de pareilles initiatives, se trouvent, hélas, ballottées entre des professeurs et chercheurs volontaristes et un monde estudiantin qui bascule dans le camp des forces conservatrices. Les populations des quartiers défavorisés et des bidonvilles sont « noyautées » par les forces de la réaction et de la violence extrémiste tandis que les élites démocrates s'en tiennent aux séminaires de salons. Si bien que nous nous trouvons face à une situation risquant de devenir périlleuse avec, d'un côté, des élites modernes coupées des masses et sans relais de continuité et, de l'autre côté, des forces conservatrices gagnant du terrain dans l'action de proximité. Ce scénario dessert tout débat national objectif, constructif et positif et la vigilance doit être de mise pour occuper les espaces désertés par les démocrates et contrecarrer les avancées des forces rétrogrades. L'heure est à la mobilisation générale, à l'implication pleine et entière des composantes du front démocratique national qui doivent aller au charbon, en dépensant leur énergie sans compter et en sacrifiant leurs loisirs pour la cause d'un débat national de progrès investissant tous les recoins habités du Royaume. Il n'y a plus de temps à perdre, l'heure est à l'urgence, les atermoiements doivent être balayés, les faux prétextes et les justifications de tous bords abandonnés. Toutes les composantes vives du pays, politiques, administratives, économiques, sociales et culturelles, toutes régions confondues, dans un même élan d'abnégation patriotique, sont appelées à stopper les évolutions à contre-courant de l'histoire et à favoriser les alliances naturelles en tissant des réseaux solides fondés sur un encadrement efficace de proximité. Autrement, et au rythme où sont allées les choses ces dernières décennies, celles qui arrivent risquent de conduire le pays, sinon à une crise cardiaque, du moins à des catastrophes « programmées ». C'est, d'ailleurs, la mise en garde principale du rapport de l'équipe pilotée par A. Méziane Belfkih qui, au passage, avait insisté, dans un message d'alarme adressé aux élites marocaines, sur la nécessité de ne plus se gargariser de concepts et de stratégies à tous vents, mais qu'il était temps de passer aux actes et de traduire les objectifs du projet de société moderne et démocratique dans les faits de tous les jours. En clair, si le projet moderniste et progressiste de développement initié par le Souverain a trouvé des appuis crédibles dans les élites nationales et reçu des échos favorables de la société civile structurée, en revanche, la grande inconnue demeure dans les plus grandes franges de la société rurale et périurbaine ; c'est-à-dire là où, justement, la pauvreté et la précarité font le plus de dégâts et servent de plate-forme fertile de mobilisation pour les forces hostiles et réactionnaires. C'est tout dire qu'il faille absolument freiner le développement inégal d'un Maroc à deux vitesses, ce qui n'est possible qu'en réduisant le fossé existant entre une élite engagée et le reste de la société de proximité forcément encore conservatrice.