La littérature en procès Le tribunal chargé de juger l'écrivain turc Orhan Pamuk, poursuivi pour des propos sur les massacres d'Arméniens, commis sous l'empire ottoman, a été ajourné au 7 février 2006. Un procès qui révèle encore le chemin à faire par la Turquie sur la voie de l'ouverture et de la liberté d'expression. Un tel procès risque de mettre en danger le processus d'adhésion de ce pays à l'Union Européenne. La Turquie rate décidément toutes les occasions pour se racheter. Le procès en cours de l'écrivain turc Orhan Pamuk est une autre tache noire à ajouter à une longue série d'atteintes aux droits de l'Homme. "S'il y a de nouveaux procès de ce genre, le processus de négociations (pour l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne, entamé le 4 octobre 2005) s'arrêtera," a averti le député européen Joost Lajendijk, qui faisait partie d'une délégation d'observateurs du Parlement européen lors du très médiatique procès du célébrissime écrivain turc Orhan Pamuk, auteur de “Mon nom est rouge”. Lors de ce procés, l'audience s'est très vite muée en brève séance, et les juges ont expliqué qu'ils attendaient l'autorisation du ministère turc de la Justice pour ouvrir les débats sur ce qui peut être le procès le plus honteux de l'histoire turque moderne. Surtout que les affaires de justice qui mettent à mal les hommes de lettres turcs sont légion. On peut citer quelques exemples des plus éclatants comme ceux de l'immense poète Nazim Hikmet dont la nationalité a été retirée par ordre des juges et le cas épineux de l'une des plumes les plus merveilleuses du XXème siècle, Yashar Kemal. Le tribunal auquel a été confié le dossier Pamuk avait fait savoir, le 2 décembre 2005, qu'il ne pourrait juger Orhan Pamuk que si ce ministère lui donnait le feu vert. Le ministre de la Justice Cemil Cicek a déclaré dans un entretien au quotidien Aksam, publié récemment, qu'il attendait toujours la récéption du dossier de l'accusation, qui sera "étudié de fond en comble". Les observateurs savent que quand les affaires de justice sont entamées en Turquie, le temps n'est là que pour aggraver la situation des accusés. Pour Camiel Eurlings, rapporteur du Parlement européen pour la Turquie, qui fait partie de la délégation d'observateurs, "le gouvernement turc a manqué une occasion de mettre fin à ce procès". Très critique à l'égard du gouvernement, ainsi que de "la grande tension qui régnait" au tribunal, Eurlings s'est déclaré "déçu" du résultat qui constitue, pour lui, "une mauvaise journée pour la Turquie". Et la violence est, comme toujours, au rendez-vous quand il s'agit de justice en Turquie. Une femme a asséné un coup sur la tête de l'écrivain avec un dossier devant le tribunal. Le député européen britannique Denis McShane (ex-ministre britannique délégué aux Affaires européennes) a déclaré aux journalistes qu'il avait reçu un coup de poing au visage de la part d'un avocat qui faisait partie d'un groupe de juristes se trouvant au tribunal pour d'autres procès. D'ailleurs, nombreux sont les avocats qui ont protesté contre la présence des observateurs internationaux. "Des observateurs européens ne peuvent pas venir contrôler les juges". À la sortie, certains manifestants se sont jetés sur la voiture de Orhan Pamuk pour tenter de l'empêcher de partir, puis l'ont poursuivi en lançant des oeufs. Orhan Pamuk, lauréat de plusieurs prix littéraires dont le prix Médicis étranger 2005 pour son roman “Neige” est accusé d'“insulte ouverte à la nation turque”, pour des déclarations publiées en février 2005 par un hebdomadaire suisse. Il risque de six mois à trois ans de prison. L'écrivain avait déclaré ce qui suit à Das “Magazin” : "Un million d'Arméniens et 30.000 Kurdes ont été tués sur ces terres, mais personne d'autre que moi n'ose le dire".