Islamisme marocain Une première : le MUR adresse une lettre ouverte à Al Adl Wal Ihsane pour la mettre en garde sur les dérives éventuelles de 2006. Récit. Un nouvel épisode dans l'histoire tumultueuse des relations inter-islamistes, où le lexique, allant de la bonne parole jusqu'à l'invocation, ne cache pas les enjeux de stratégie politique, tantôt antagoniste, tantôt convergente. Une lettre, adressée de la part du «Mouvement Unification et Réforme» (MUR) à l'association Al Adl Wal Ihsane, publiée dans un numéro spécial de «Attajdid», donne le ton. En usant du style épistolaire, resté jusqu'alors l'apanage du Cheikh Yassine, le MUR compte, apparemment «officialiser» les différences qui séparent ces deux tendances de l'islamisme marocain. De quoi s'agit-il en fait ? Corpus L'adresse directe, au-delà du souci commun se situe dans un contexte qu'elle définit elle-même : «La vague des rêves prémonitoires (Moubachchirates) et autres visions prophétiques» qui déferle et scande l'agenda politique de la Jamaâ de Yassine. «Une telle vague, note la lettre, qui a débordé et est arrivée au médias». D'où la nécessité, juge le MUR, de «prévenir», et de «porter conseil». Une attitude qui «n'est nullement animée par l'envie». Seule la communauté de destin, ajoute la lettre «dicte une telle démarche». «Nous sommes communément res-ponsables» précise la lettre. En fait, la déferlante adlie, avec son cortège de visions et de rêves, risquent «d'impacter négativement, et sur la Daâwa, et po-litiquement et médiatiquement» sur la mouvance islamiste. Pour les auteurs de «message d'admonition», le risque est grand de «faire le jeu des milieux hostiles à la Daâwa (prosélytisme) et à la mouvance islamiste en général». Verser de l'eau dans le moulin des «ennemis déclarés», n'est pas le seul grief reproché à la «culture mystique» de la Jamaâ. Même au niveau cultuel, les visions, «telles qu'elles sont relatées, vénérées et diffusées», sont nulles et non avenues. Du point de vue du MUR, ayant évolué dans le giron des “frères musulmans” et le rigorisme sunnite, le soufisme de la Jamaâ de Yassine est, somme toute, mal vu. Le penchant «mysticiste» du Cheikh et ses adeptes a toujours été d'un point de vue doctrinaire sujet à contestation de la part des islamistes du PJD. «La vision peut-être une œuvre sabbatique», ripostent-ils. Ainsi, force est d'éviter de «céder à la tentation». Pis encore : «Des visions racontées par les membres de la Jamaâ dépassent, et de loin, les intrigues du Malin. Irrecevables, ces visions portent atteinte à Dieu et à son Messager». La profusion des visions, «jamais inégalée dans l'histoire de la Oumma (communauté musulmane) !» est également mise à l'index. Une manière, peut-être de signifier au Cheikh qu'il est allé un peu plus loin ? Une chose est sûre : «La vision, outre ses prétentions pédagogiques culturelles et mobilisatrices, pêche également par la vénération, sinon le culte de la personne du Cheikh !» Politique Hissé au rang des Saints et des hommes dieux, le Cheikh est presque adoré. Tout mysticisme est fini en politique. Ainsi, les visions 2006, vues sous l'angle de la mobilisation de la Jamaâ, préfigurent un bras de fer entre celle-ci et l'Etat. D'où, l'éventualité d'une tension qui, toute proportions gardées, ne manquerait pas de drainer les Islamistes du MUR, et donc du PJD, dans son sillage. En clair : au-delà du côté «moral», le PJD peut craindre, comme la lettre l'a laissé entendre, des répercussions négatives sur sa position elle-même. A cet égard, l'ambiance post-16 mai est encore sans doute aucun, vivante dans la mémoire de ses responsables. L'après 16 mai, faut-il le rappeler a coûté très cher aux amis de Benkirane. Une traversée de désert qu'ils ne sont pas prêt à refaire. Surtout, au cours d'une année charnière (2006), au moment où les pronostics leur promettent monts et vallées pour l'année 2007. Il serait tendancieux, cependant de réduire la démarche actuelle au seul souci électoral : la ligne de démarcation, tout aussi théologique et jurisprudencielle que tactique est évidente entre les deux formations. Souvent, «la khilafa» de Yassine bute sur le pragmatisme politique de Saad Eddine Othmani qui ne cache pas ses préférences turques, allusion faite ici, effectivement au PJD d'Ardogan. Ceci étant toute escalade mue par la mystique et portée sur des desseins politiques ne manquerait pas de pénaliser le PJD. Au lieu de se «rabâcher» sur l'interminable discussion politique sur le par-ticipationnisme, l'adresse directe du MUR «attaque» le fond mystique des choix adlis. Une tactique dont le dessein d'acculer les amis du Cheikh est évident certes, mais qui transpose le débat sur un champ autre que celui des enchères qui sont autant de fond de guerre pour les frères de Nadia Yassine. Affaire à suivre...