Sahara MAROCAIN La mission du nouveau représentant onusien Peter Van Walsum démarre sur un constat d'incompatibilité entre les positions des parties au conflit du Sahara. Pour surmonter un blocage plus inacceptable que jamais, il devra déployer beaucoup d'ingéniosité persuasive pour amener enfin toutes les parties, y compris Alger, à la table de négociation. “Les positions des parties concernées par la question du Sahara sont inconciliables» : telle est la première appréciation formulée par le nouveau représentant de Kofi Anan, Peter Van Walsum, à la suite de sa première tournée dans la région. Après l'échec de la mission de James Baker, un tel constat signifie-t-il que l'impasse reste totale ou que la nouvelle mission confiée au diplomate néerlandais envisage de prospecter d'autres voies ? Le ton sera sans doute donné lors de la présentation par Van Walsum de son premier rapport à Kofi Anan à la fin de ce mois. A travers son compte rendu des consultations qu'il a eues au Maroc, en Algérie (y compris avec les dirigeants du Polisario) et en Mauritanie et son évaluation initiale de la situation, la méthode qui serait la sienne se dessinera. D'ores et déjà on peut relever que le style de Van Walsum semble plus direct et se montre assez franc. Ce qui augure d'une meilleure disposition à prendre en compte toutes les données de la question, la recherche d'une solution viable étant devenue plus impérative que le plan international. Si à Rabat il a tenu à considérer devant Driss Jettou que « les différents points de vue concernant le plan Baker doivent être pris en considération », il a lors de ses entretiens à Alger avec Mohamed Bedjaoui, le ministre algérien des Affaires étrangères, rappelé que ce dernier «connaissait parfaitement le dossier du Sahara », c'est-à-dire depuis qu'il avait participé du temps de Houari Boumediene à élaborer la politique algérienne en la matière. Devant ses interlocuteurs mauritaniens, il a indiqué que pour l'heure « il est impossible de trouver une solution de nature à satisfaire toutes les parties, aucune n'étant prête à faire des concessions même si toutes souhaitent trouver une solution à ce problème ». Le nouveau chef de l'Etat mauritanien, le colonel Ely Ould Mohamed Vall pour faire bonne mesure a réitéré la position de son pays consistant à « soutenir les efforts du secrétaire général de l'ONU en vue d'une solution consensuelle acceptable par toutes les parties ». Van Walsum semble avoir voulu faire sentir que l'impasse n'était plus de mise et que la question devrait être abordée au-delà des positions fermées et des surenchères. Affirmer que les points de vue divergents sur le plan Baker doivent être pris en considération relève-t-il du paradoxe diplomatique ou suggère-t-il plutôt que ce plan ne peut pas être considéré comme une base incontournable? Mission problématique Le rappel par ses collaborateurs de la mission du nouveau représentant onusien est déjà une remise en cause de ce plan puisqu'il s'agit désormais de trouver une solution consensuelle acceptable par toutes les parties du conflit. Déjà le conseil de sécurité de l'ONU avait en octobre 2004 adopté la résolution 1570 qui privilégie une solution politique consensuelle. L'accent est mis davantage sur la bonne volonté des parties, comme vient encore de l'exprimer Kofi Anan en appelant celles-ci « à faire preuve de la souplesse voulue et à coopérer de bonne foi avec M. Van Walsum ». De ce fait pour l'ONU il ne fait plus de doute que le différend sur le Sahara est de nature régionale, tout à fait spécifique. Fini le temps où la question n'était abordée abusivement que comme problème de décolonisation et d'autodétermination. Cette évolution de la perception du problème a été lente et difficile. Au départ la question était restée assez marginale pour les membres les plus influents de l'ONU, et l'Algérie avait mis à profit cette situation et la relative passivité de la diplomatie marocaine pour déployer une intense activité anti-marocaine tous azimuts à l'ONU et sur le continent africain. Par la suite, l'arrivée au pouvoir en Espagne de la droite conduite par José Maria Aznar s'était traduite par une attitude hostile au Maroc et n'avait pas aidé à clarifier la question du Sahara. De plus, l'image du Maroc avait pâti durant de longues années du déficit en matière de droits de l'homme et de démocratie et avait aussi contribué à obscurcir cette question. L'évolution de ces dernières années fut conditionnée par une série de facteurs qui ont modifié la perception et l'attitude des Européens, des USA et de la plupart des pays qui avaient prêté leur soutien ou leur oreille aux menées d'Alger. Il y eut tout d'abord la préoccupation sécuritaire depuis le 11 septembre 2001 et la menace d'extension du danger terroriste. Les risques de déstabilisation de la région au sud de la Méditerranée étaient désormais considérés avec plus de sérieux. Loin de la complaisance dont avait bénéficié Alger pour diverses raisons notamment celles liées à ses hydrocarbures et à ses gros besoins en importations, les pays européens, la France en particulier ainsi que l'Espagne depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement socialiste, ne pouvaient plus minimiser les dangers liés à une déstabilisation du Maroc et du Maghreb. Conflit régional Les deux ex-puissances colonisatrices connaissent parfaitement les soubassements historiques et les causes politiques actuelles du conflit du Sahara. Ils sont loin d'ignorer qu'on ne peut parler ici d'une simple question d'autodétermination comme Alger s'acharne encore à le répéter. Il s'agit en réalité d'un problème algéro-marocain et accessoirement d'un mouvement séparatiste qui n'a cessé d'exaspérer un particularisme régional. Personne ne pouvait plus ignorer que sans un règlement forcément négocié du différend entre l'Algérie et le Maroc d'une part et sans la prise en compte du particularisme sahraoui dans le cadre d'un consensus, aucune issue réaliste ne pouvait être envisagée. Autres facteurs ayant joué dans le sens de cette évolution : l'image de l'Algérie en proie à la guerre civile, et à la contestation multiforme de l'Etat ne pouvait plus être opposée à celle du Maroc où des avancées réelles ont pu être constatées et positivement évaluées de par le monde. Le contexte actuel confère encore plus d'acuité à la question de la stabilité de la région. Avec l'aggravation des flux migratoires en provenance des pays subsahariens et les appréhensions concernant d'éventuels foyers terroristes, le Sahara est devenu un lieu hautement risqué et l'attention se focalise sur lui. La mission de Peter Van Walsum se situe, de ce fait, dans un contexte général et régional modifié. Il lui faudra toutefois prendre en considération que seule la position du Maroc a connu un certain assouplissement. Contrairement à Alger et à ses protégés du Polisario qui ne veulent pas bouger d'un iota sur le plan Baker et l'indépendance du Sahara, le Maroc a été le seul à faire de nouvelles propositions relatives à une négociation sur une autonomie de la région sahraouie qui reste à définir dans le cadre de la souveraineté marocaine. Pour le Maroc il s'agit là d'une concession maximale et non pas d'une manœuvre tactique et il considère qu'on ne peut sur le principe exiger davantage de lui. Van Walsum devra s'interroger, en bonne logique, sur la nature de la solution consensuelle préconisée par l'ONU. Elle implique forcément des concessions de toutes les parties et surtout la volonté de parvenir à un nouvel équilibre dans la région. Les préoccupations, liées à de vieilles rivalités et à une mémoire non apaisée entre l'Algérie (ou tout au moins sa hiérarchie militaire) et le Maroc doivent pouvoir être dépassées. La chose n'est pas aisée car le blocage est profondément installé, même si pour le peuple algérien et surtout ses nouvelles générations, ce conflit n'est guère vécu comme une cause ou une priorité nationales. On doit pouvoir interroger le pouvoir algérien sur son obstination à ne pas régler son contentieux, plus ou moins rationnel, avec le Maroc. Il ne suffit plus de se cacher derrière la sacro-sainte «légalité internationale» pour nier l'implication directe et les motivations du pouvoir algérien. Aucune avancée ne saurait être concevable tant que les partenaires américains, européens et onusiens ne parviennent pas à convaincre Alger de jouer franc jeu et d'accepter de participer à une négociation où elle pourrait enfin dévoiler ses prétentions propres. Principe de la négociation Si aucune solution ne peut être imposée par les partenaires internationaux, il n'en reste pas moins que le principe de la négociation devrait pouvoir être recommandé avec plus de force par eux. Autrement, ils se résigneraient à la plus totale impuissance à faire évoluer la question. Au Maroc où pour l'ensemble du pays et de ses forces politiques, et pas seulement pour le pouvoir, il s'agit d'une cause nationale vitale, il n'y a pas d'équivoque (contrairement à l'Algérie). Lorsque les responsables marocains proposent, comme concession maximale, la négociation sur l'autonomie comme base de règlement définitif, il ne peut s'agir de double jeu et de double langage comme à Alger qui refuse encore d'assumer la réalité de son implication directe. La question de l'autonomie fait l'objet d'un débat au Maroc puisque le premier secrétaire de l'USFP, Mohamed Elyazghi, multiplie les déclarations à la presse quant à la nécessité de consulter le peuple marocain sur la nature de l'autonomie qui serait proposée à l'ONU par le Maroc. Les implications d'ordre constitutionnel pour le pays en matière d'autonomie régionale nécessitent, selon Elyazghi que celle-ci soit au préalable soumise à une acceptation à l'échelle nationale. Manifestement le premier secrétaire de l'USFP entend ainsi rappeler la dimension nationale et populaire de la question du Sahara au Maroc et l'extrême sensibilité à toute concession sur ce plan. Quant au Polisario, il devra tout d'abord faire la preuve de son indépendance déjà vis-à-vis d'Alger. On sait que la tutelle exercée par celui-ci est totale, ce qu'ont relaté nombre de dirigeants et de membres du Polisario qui ont regagné le Maroc. Comme l'avait fait remarquer un auteur marocain, comment un mouvement qui se dit de libération nationale a-t-il pu compter un nombre aussi considérable de défections de ses membres qui ont choisi de se rallier à leur «ennemi» ? Cela ne s'est vu dans aucun mouvement national réel. Aussi est-il temps de reconnaître les limites du Polisario, ses liens de sujétion à la politique régionale de l'Etat algérien et l'irréalisme total du projet d'entité indépendante qui bloque toute possibilité de solution. Peter Van Walsum parviendra-t-il à dénouer ce nœud jusqu'ici inextricable, en commençant par faire admettre à Alger d'assumer plus clairement la réalité de son implication directe dans le conflit ? Il lui faudra faire preuve d'un grand talent et d'une grande énergie pour convaincre toutes les parties de s'engager dans la seule voie viable, celle de la négociation.