Comment le nouveau directeur général de l'ODEP (l'Office d'exploitation des ports) compte mener la réforme portuaire à bon port? Mohammed Abdeljalil explique son approche. La Gazette du Maroc : après quatre mois passés à la tête de l'ODEP, quels sont les chantiers prioritaires qui vous attendent ? Mohammed Abdeljalil : j'arrive à la tête de l'ODEP à un moment crucial pour le secteur portuaire. Celui-ci est appelé à vivre une mutation importante qui passe par une réforme en profondeur. Dans ce processus, l'Odep est appelé à jouer un rôle important. Il y a donc un chantier prioritaire qui m'attend, c'est celui de la réussite de la réforme du secteur portuaire pour la partie devant être réalisée par l'ODEP. Nous devons entreprendre un certain nombre de projets dans un délai ne dépassant pas une année une fois que la loi déjà adoptée par les deux chambres aura été publiée. Quelle est la partie de cette réforme devant être réalisée par l'ODEP ? L'ODEP doit se transformer pour donner naissance à deux nouvelles entités. Il s'agit d'une part, d'une société anonyme qui héritera de toutes les attributions commerciales dont se charge actuellement l'ODEP et d'autre part, d'une autorité portuaire (l'Agence nationale des ports) qui, elle, reprendra l'ensemble des attributions de puissance publique dont se charge encore l'ODEP comme la police portuaire, la gestion du domaine public en plus d'autres attributions nouvelles telles que la préparation et la gestion des contrats de concessions pour l'exploitation des terminaux portuaires. A l'instar d'autres organes de régulation comme l'ANRT, cette autorité portuaire jouera-t-elle le rôle de gendarme ? C'est une comparaison qui peut effectivement être faite. L'ANRT est le régulateur des acteurs de la téléphonie. L'ANP sera le régulateur des acteurs dans le secteur portuaire. En plus, elle sera responsable de la maintenance de certaines parties des ouvrages portuaires comme les digues et les jetées, le dragage des chenaux et des bassins. A partir de quelles ressources, cette Agence va-t-elle financer les travaux de maintenance ? La question des recettes de l'agence est déjà prévue dans la loi. Ses recettes proviendront des redevances des concessions et des autorisations données aux opérateurs privés ou publics, des droits portuaires, des redevances d'occupation temporaire du domaine public etc… Sur la libéralisation des ports, des divergences existent entre les tenants de la centralisation et de la régulation. Comment mettre tout le monde d'accord ? Je vais répondre en deux temps. La première chose, c'est que le projet de réforme portuaire qui est passé a été approuvé à l'unanimité par les deux chambres du Parlement. J'insiste sur ce terme car c'est la preuve d'un consensus général. Maintenant, hormis ce côté, il faut savoir que tous les professionnels qui représentent l'industrie, la CGEM, les chargeurs, le Conseil national du commerce extérieur (CNCE) ont non seulement adhéré à ce projet mais l'ont appuyé.Ils ont d'ailleurs mené des études qui ont conforté l'idée selon laquelle le secteur portuaire marocain avait atteint une limite et qu'il fallait changer son mode de fonctionnement pour l'améliorer. Il faut admettre que le fait de passer d'un mode de gestion ancien à un autre mode, aussi clair soit-il, engendre des appréhensions. Ce sont ces appréhensions naturelles qu'avaient exprimées les partenaires sociaux de l'ODEP au début du processus de la réforme. La Sodep devrait remplacer l'Odep. Où en est-on avec cette problématique? Ce n'est pas la Sodep qui va remplacer l'ODEP. Aujourd'hui l'Odep est le manutentionnaire à terre. Il est sur tous les quais, il ne travaille pas sur les navires. Un des principaux apports de la réforme du secteur portuaire, c'est justement de mettre fin à la rupture de la chaîne de manutention entre le bord (le navire) et le quai (à terre). Comment fonctionne le système portuaire actuellement ? Lorsque les navires arrivent et accostent, les sociétés privées que nous appelons des stevedores emploient des dockers pour s'occuper de tout ce qui est manutention à bord. L'Odep, de son côté, intervient à terre à l'aide de ses différents engins. Cette séparation est l'un des principaux gisements d'amélioration de notre secteur. Le projet de réforme vise à mettre fin à cette rupture dans la chaîne de manutention. Ce chantier veut dire que, dans certains ports, on va demander à l'Odep de faire de l'espace pour ces opérateurs qui font le bord afin qu'ils puissent aussi travailler à quai. Ils pourront ainsi faire de la manutention à bord et à quai. Pour sa part, l'Odep interviendra, elle aussi, à quai et à bord. Au lieu d'avoir partout sur les quais l'Odep et partout sur le bord des stevedores privés, on verra la Sodep et les sociétés, chacune dans son espace, offrir un service de manutention complet bord et quai. Ainsi, elles seront en concurrence. Le navire qui viendra accoster au port pourra alors choisir son manutentionnaire. Dans l'avenir, au fur et à mesure de l'extension de nos infrastructures portuaires, de nouveaux acteurs de la manutention portuaire pourront apparaître, ce qui est de nature à renforcer la compétition au bénéfice des usagers des ports. Toutefois, la concurrence dans le secteur des ports doit être régulée par une autorité car il n'y aura jamais suffisamment d'acteurs pour permettre à la compétition de réguler le marché à elle seule. Ce n'est pas comme dans l'automobile ou la grande distribution où vous pouvez trouver une quantité de marques. La finalité est le respect du principe de l'égalité de traitement des usagers. C'est quelque chose que l'ANP devra vérifier. Dans les cahiers des charges de concession, par exemple, elle pourra aussi fixer les tarifs plafonds pour éviter des situations d'entente. L'épisode de la réforme portuaire qui s'est clos, il y a quelque 3 mois entre le syndicat des cadres de l'Odep et les partenaires sociaux ainsi qu'avec les autres centrales syndicales, ne comporte pas le portefeuille de la future Sodep. Quelles en sont les raisons ? La raison est très simple. La loi prévoit qu'une convention soit passée entre l'Agence et la Sodep qui arrête les activités qui seront concédées à la future Sodep. Il y a eu des discussions et des accords de principe sur lesquels le ministère est tombé d'accord avec les partenaires sociaux de l'ODEP. Ceux-ci ont bien compris la portée de ces engagements. Ils ont donc accepté de signer les propositions d'amendement qui avaient été convenus entre eux et le ministère mais sans parapher ce qu'ils appellent communément le portefeuille. Selon une enquête du Conseil national du commerce extérieur effectuée en 2002, les ports marocains sont loin d'être compétitifs. Leur inquiétude se justifie d'autant plus que 95 % du commerce extérieur y transite. Avez-vous des solutions à leur apporter ? La solution reste la réforme portuaire. Il faut bien comprendre qu'on ne fait pas une réforme sur un coup de tête. Il y a un certain nombre d'études qui ont montré que le secteur portuaire présentait des gisements d'améliorations importants. Concrètement, la mise en concurrence des acteurs portuaires créera une amélioration de la qualité de service et une meilleure vérité des prix. Donc, il est légitime de s'attendre à l'amélioration des services et des prix des prestations après l'entrée en vigueur de la loi et le temps, 12 mois, qu'il nous faudra pour la mettre en œuvre. Ceci dit, les études ont montré aussi qu'il y avait des gisements d'amélioration de la compétitivité portuaire et qu'il y en avait aussi pour des coûts de passages portuaires. Selon toujours les mêmes études, ces gisements se situent entre 20 et 40 %. C'est ce que prévoient les études. La réalité nous l'apprécierons à l'exercice de la concurrence. 50 % de ce trafic transite par le port de Casablanca, or, dans ce dernier, on fait 17 manipulations de containers par heure alors que chez les concurrents, ce nombre est de 40 par heure. Où se situent les problèmes ? Avant de vous répondre, j'aimerais préciser une chose. Lorsqu'une étude donne un potentiel d'amélioration, cela signifie qu'il pourra être atteint dans le temps.Sur la question des 17 manipulations par heure sous un seul portique, la référence sur les 40 par heure n'est pas la bonne. Cette cadence fait référence aux ports de transbordements. L'extension du terminal Est du port de Casablanca dont le coût s'est élevé à 1,5 milliard de dhs est achevée. Il a une capacité de stockage de 52 hectares et offre 600 mètres linéaires de quai avec une profondeur de 12 mètres. Il comporte aussi six portiques de 40 tonnes qui coûtent chacun environ 65 millions de dhs. Tous ces investissements visent la réalisation d'un service de qualité. À fin 2004, les rendements au port de Casablanca se situaient autour de 25 mouvements par heure à l'import et 19 à l'export et nous continuerons à faire le nécessaire pour les améliorer.