POSTE PRINCIPALE DE CASABLANCA Barid Al Maghrib a décidé de rendre à ce bâtiment de 86 ans toute sa superbe. Tout a été reconstitué à l'identique. Deux architectes ont réalisé une excellente restauration de cette grande dame du patrimoine La poste principale de Casablanca n'était plus fonctionnelle depuis belle lurette et perdait ses atours au fil des ans. Mohamed Wakrim, directeur général de Barid al Maghrib souhaitait la rénover et faire revivre l'authenticité des lieux. Sensible aux problèmes du patrimoine au Maroc, il savait que l'image d'une entreprise publique, passe aussi par la qualité des bâtiments qui la représentent . Il a fait appel à deux architectes : Dalal Faraoui et Catherine Baudry. Malgré l'absence de documents historiques, elles ont réalisé un travail remarquable. La restauration de la poste comprend deux parties : l'une intérieure, l'autre extérieure. Les architectes ont conçu un projet de restauration globale. Mais la remise en état a démarré par la partie externe du bâtiment, pour des questions de logistiques. Suite à une longue observation (photos, visites fréquentes des lieux), elles ont effectué des relevés des plans, des façades et des ornements. Lors des lancements des appels d'offres, elles ont tenu à recevoir les entreprises soumissionnaires pour leur expliquer les techniques de restauration. "Aucune entreprise ne mesurait l'ampleur et l'importance du travail à faire. Nous voulions une entreprise structurée et parfaitement habilitée à répondre aux techniques requises pour un tel bâtiment" nous explique Madame Faraoui. Une restauration à l'identique Le chantier débute par la pose d'une nouvelle étanchéité. Au niveau des terrasses, les tuiles détériorées sont remplacées à l'identique. Ce modèle n'existant plus, un moule est conçu spécialement à cet effet : dimensions, courbure et couleur, sont parfaitement respectées. Parallèlement au nettoyage de la pierre, au décapage des fers forgés, au ponçage et à la restauration des marbres, des tests et des recherches sont menés sur différents matériaux. Certains portent sur la compatibilité entre supports anciens et nouveaux revêtements, d'autres sur l'obtention des émaux. Les panneaux de zelliges étaient très abîmés : des carreaux manquaient ou étaient cassés. Certains avaient été remplacés par de vulgaires carreaux de faïence. D'autres présentaient des différences de teintes avec les émaux d'origine. Hadj Abdellatif Chahid, mâalem en zellige beldi, venu spécialement de Fès effectue un travail remarquable. Il reprend les pièces une à une et calque les motifs existants sur place. Un échantillon sur panneau permet de retrouver la brillance ou la matité des nuances. La façon patine ou vieillissement artificiel redonne une parfaite homogénéité avec les émaux conservés. Un réel travail de décapage et de recherche des motifs initiaux est accompli à tous les niveaux Celui des grilles de protection métalliques et des fenêtres extérieures est titanesque. "imaginez des motifs en fer forgé, n'ayant jamais subi de décapage depuis 1920. Il nous a fallu 4 mois, sans interruption" explique Dalal Faraoui. En terrasse, la frise périphérique en plâtre du bâtiment est re- sculptée. Trois mois d'investigation minutieuse permettent de reconstituer le motif des rosaces. La menuiserie en bois du dôme est aussi décapée et vernissée. Le sol de la galerie et en périphérie du bâtiment est entièrement refait. Les marches menant vers la loggia sont recouvertes de marbre blanc. Le nettoyage de la pierre existante au niveau des colonnes, colonnettes, médaillons… est fait au karcher et jets de sable (nettoie et reconstitue en même temps). Cette démarche rigoureuse est aussi appliquée à la peinture qui doit être compatible avec les enduits anciens. Le choix se porte sur une peinture projetée italienne (ne fissure pas, imperméable et ayant une excellente durabilité). La seule nouveauté : des spots encastrés au sol ou discrètement positionnés au niveau des colonnettes, assurent une mise en lumière de l'édifice. "Ne sont restés sur ce chantier que ceux qui le méritaient. Nous avons tous adoré travailler sur ce projet et nous l'avons fait avec cœur et passion. Chacun voulait y laisser son empreinte " se souvient Dalal Faraoui. Les architectes ont su préserver l'harmonie des lieux. Deux autres architectes de Barid al Maghrib les ont accompagnées tout au long de cette aventure. " Le contact était excellent entre nous. Quand on restaure un bâtiment faisant partie du patrimoine, ça renforce l'esprit d'équipe. Nous étions tous conscients (corps d'états compris) de la valeur et de la délicatesse de ce projet. Ce bâtiment étant un pan de l'histoire, nous n'avions pas droit à l'erreur ". L'intérieur de la poste sera la prochaine étape. Les guichets (qui ne sont pas d'origine) n'étant plus adaptés aux normes actuelles, seront remplacés. Mais tout ce qui fait la beauté du lieu sera préservé : l'horloge qui ne fonctionnait plus reprendra du service. Le dôme, le plafond en bois et le lustre seront remis en état. D'autres projets sont en cours : le réaménagement du Musée de la poste à Rabat ; et à Casablanca, le bureau de poste de Bourgogne et celui du Maârif (sur Bir Anzarane). Les architectes voulaient que le passant ne soit pas indifférent au bâtiment et à la beauté des détails architecturaux. L'une d'entre elles nous dira "Tout le monde posait des questions, prenait des photos. J'ai réalisé que les Marocains aimaient leur patrimoine et ne demandaient qu'à le sauvegarder". Nous savons ce qu'il nous reste à faire… Fiche technique Maître d'ouvrage : Barid al Maghrib. Maîtres d'œuvre : Dalal Faraoui et Catherine Baudry, architectes. Entreprises : SCEZ : gros œuvre et second œuvre, marché à lot unique. Astral : enduits. Luisance : éclairage extérieur. Haj Abdellatif Chahid, Fès : zelliges. CAP.Protect : protection des surfaces après ravalement. Budget : 1, 5 million de dirhams. 8 mois de travaux La rencontre des ornements marocains et de l'Art déco naissant La poste principale de Casablanca fut le premier bâtiment construit sur l'actuelle place Mohammed V. Conçue par l'architecte Adrien Laforgue, grand père de Patrice de Mazières (architecte de renommée), elle fut édifiée entre 1918 et 1920. Elle a dès sa construction, inclut la ville et le Maroc dans les temps modernes alors que son espace et son décor la rattachaient au passé. Zelliges, tuiles vernissées, coupole de bois, entrelacs, tout fait penser aux décors inscrits de calligraphies cursives ou coufiques des medersas mérinides. Mais ce ne sont que des formes géométriques ou végétales, comme si les décors des zelliges avaient préfiguré l'Art déco. Ce bâtiment est la rencontre parfaite entre la géométrie et la technique décoratives des artisans marocains et les principes de composition de l'architecture académique française. Il est le prototype même de l'architecture moderne, aux accents marocains, préconisée par Lyautey. La façade principale (donnant sur le boulevard Hassan II), avec porche et loggia, est coiffée par un auvent couvert de tuiles. L'anecdote raconte qu'à la fin du chantier, Lyautey a exigé le remplacement des tuiles rouges déjà posées par des tuiles vernissées vertes, conformes aux usages marocains. Le choix chromatique associe le beige des murs et le vert des toitures en tuiles. Des éléments en pierre brune ou en carrelage font le contrepoint. Il est clair qu'à cette époque, le mariage des céramiques bleues et vertes du porche, fut l'utilisation la plus inventive des techniques de l'art du zellige. Le panneau de zelliges bleu profond (celui des boîtes aux lettres) est une invitation à découvrir le patio couvert de la salle des guichets.