Un festival tout feu tout flamme Le premier festival de Casablanca fera date, tant par l'accueil populaire et jeune qui l'a marqué que par le désir d'exprimer une identité vivante et ouverte de la mégapole. " Ana Bidaoui, ana Bidaouia " : le slogan de l'exposition itinérante sur les bus de Casablanca peut être considéré comme la devise du premier festival de la grande métropole. Après cinq années de tergiversations infructueuses, ce festival qui tenait du mirage est enfin né. Au-delà des considérations politiciennes qui ont alimenté récemment des polémiques assez formelles, il reste que le pari a été tenu, notamment grâce aux compétences qui ont assumé la programmation et la réalisation des spectacles. L'accent mis sur le concept d'identité plurielle de Casablanca fut d'un grand secours. Renonçant au modèle stéréotypé de festival folklorique ou centré sur un thème ou un genre, ce concept a mis en valeur l'idée que Casablanca ne peut avoir d'identité que dans sa pluralité et sa créativité. Non pas un moule figé mais un mouvement qui intègre et fusionne les traditions et les impulsions inventives. En ce sens, mieux qu'un colloque, le festival de Casablanca a posé les bonnes questions et trouvé un écho immédiat chez les dizaines, sinon des centaines de milliers de personnes. L'esprit de Casa fut ainsi invoqué. Non pas dans des rituels catalogués ni dans le fourre-tout impersonnel. Malgré les quelques imperfections inévitables dans une organisation de cette ampleur, l'opinion dominante s'accorde pour considérer que cette première version fut réussie au-delà de ce qu'espéraient ses promoteurs et animateurs. Les programmateurs ont vu juste : c'est en misant sur la diversité à tous les niveaux qu'ils ont pu traduire la nature profonde de la ville. Véritable polyphonie, le festival avait, cependant, son fil conducteur. C'est que Casablanca a pour vocation d'intégrer et de mettre en harmonie diverses expressions. Elle ne peut être vivante et en accord avec elle-même que si elle relie et synthétise des formes venues d'au-delà des mers comme des profondeurs du pays. Non pas syncrétisme mais art du contrepoint où, d'échos en échos, les divers arts et expressions redécouvrent leur propre richesse. Contrairement à l'absence de vision des conservateurs plus ou moins rétrogrades et fermés, il y avait ici une perception assez saine et plus naturelle. On ne peut nier la diversité sans se nier soi-même et se condamner à vivre dans une contradiction de tous les instants avec sa propre réalité. C'est ainsi qu'il n'y eut pas rupture ni hétérogénéité entre les parades rythmées et luminescentes qui ont ouvert et clôturé le festival, les concerts, les arts urbains, les projections de films et les animations diverses. Qu'il s'agisse de spectacles invités ou résonnant des rythmes gnaoui, chaabi ou des fusions et autres raps modernes, ce sont les mêmes vibrations et émotions qui étaient présentes. C'est ainsi que Casablanca, comme toute grande mégapole du monde, a pu avoir des spectacles à l'aune de sa démesure. Jusque-là de telles manifestations étaient seulement aperçues sur les écrans de télévision. L'explosion de couleurs, de décibels, de lumières a souligné l'appartenance de Casablanca à la famille des grandes cités du monde. L'accueil fait à la diversité des musiques et des expressions artistiques fut, lui aussi, la preuve qu'être Bidaoui ne consiste pas à être confiné dans un registre étroit. Le désir de diversité exprime un vécu réel et permet de donner corps et densité à la pluralité existentielle des Casablancais. Ce qui est ici en jeu ce sont les figures et les formes en mutation, c'est la reformulation du passé et la gestation, souvent douloureuse, du futur. Rien de figé ni d'étiqueté dans ce mouvement. En ayant opté pour la diversité et le mouvement, les concepteurs du festival ont été droit au cœur du public. Ce qui fait s'exclamer la présidente du festival, Meriem Bensalah, ravie : " les Casablancais sont des gens extraordinaires ". Loin donc des stéréotypes où on veut parfois les enfermer, les Bidaouia de toutes origines ont ainsi vibré à cette pulsation de vie qui leur était offerte comme un miroir où ils se sont spontanément reconnus. Même l'évocation de la mémoire de la ville était entièrement sous ce signe : mémoire non pas seulement nostalgique, mais qui recrée, reformule, toujours tendue vers l'avenir. Le phare d'El Hank servit de symbole à cette mémoire prospective. Habillé par une fresque éblouissante du peintre Mohamed Abouelouakar, il est redevenu le symbole emblématique de cette ville, fille de l'Océan.